
Le monde en questions (Isabelle Kortian)
Explore every episode of Le monde en questions
Pub. Date | Title | Duration | |
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#02 – Qu’est-ce que la géopolitique ? | |||
invité.e.s :
Résumé :Gérard Chaliand est un voyageur dont le goût pour les récits d’aventure l’a conduit depuis ses 18 ans de l’Algérie à l’Inde, du Vieux Monde au Nouveau Monde, de l’Occident au Moyen Orient. Références :L’observateur des relations internationales et le spécialiste des conflits notamment asymétriques, est aussi un poète.
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19 Apr 2019 | #03 – Avril, mois des génocides | ||
Invité.e.s :
Résumé de l’émission :En avril, les Tutsi, les Juifs et les Arméniens se recueillent en souvenir de leurs morts, victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, victimes de la Shoah en Europe durant la Seconde guerre mondiale et victimes du génocide de 1915 dans l’Empire ottoman durant la Première guerre mondiale. Yves Ternon, chirurgien et historien, spécialiste des violences de masse et des génocides, évoque les combats de sa vie et surtout son engagement exceptionnel dans l’étude des génocides du XXème siècle dont il s’est fait en France le passeur de mémoire. Dernier ouvrage publié :Frère arménien, Frère juif, Frère Tutsi. Mémoires. | |||
01 Jul 2019 | #04 – Le monde en questions | 01:21:43 | |
Une émission proposée par Isabelle Kortian. Avec la participation de Taline Kortian. Invité :Pierre Haski. Chroniqueur à L’Obs ainsi que dans la matinale de France Inter, Pierre Haski est également Président de Reporters sans frontières (RSF). Résumé :Pierre Haski nous invite à un tour du monde géopolitique commençant par la Chine, avec son livre paru aux éditions Arte et le film (réalisé avec le producteur Hikari) qu’il consacre à Liu Xiaobo, l’homme qui a défié Pékin. Trente ans après le printemps de Pékin et le massacre de la place Tienanmen, le 4 juin 1989, la mémoire de ce vaste rassemblement pour la démocratie est devenue un tabou. A quoi ressemble la Chine d’aujourd’hui, premier pays de la planète par son poids démographique, deuxième puissance économique et militaire après les États-Unis. Qui était Liu Xiaobo, cet intellectuel chinois qui échappa à la répression en 1989, qui refusa l’exil, et fut l’un des principaux rédacteurs de la Charte 08 signée par plus de 300 personnalités prônant une libéralisation de la Chine en 2008 (sur le modèle de la Charte 77 initiée par Vaclav Havel) ? Le prix Nobel de la paix lui fut attribué en 2010. Il mourut en prison en juillet 2017. Le Président de Reporters sans frontières (RSF) revient aussi sur les évolutions et les difficultés du métier de journalistes. Il rappelle qu’en dix ans, plus de 700 journalistes sont morts dans l’exercice de leur profession dont 2 récemment assassinés en Europe. En outre, de nombreux journalistes sont emprisonnés un peu partout dans le monde pour avoir simplement informé leurs concitoyens. La montée des populismes ne facilite pas la tâche des journalistes. Pierre Haski souligne aussi les nouveaux défis auxquels l’organisation est confrontée, face notamment à la désinformation, ce qui l’amène à ouvrir de nouveaux chantiers de réflexion. Auteur de nombreux livres, dont la rédaction fut souvent suscitée par les postes de correspondant qu’il a occupés en Afrique du Sud, à Jérusalem et en Chine, Pierre Haski en évoque quelques-uns et en particulier l’exception que constitue dans sa bibliographie Le droit au bonheur. L’Europe quant à elle, dans un monde incertain et précaire, représente un espoir. Musiques :
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14 Oct 2019 | #06 – Ahmet Altan ou l’éloge de la liberté | ||
Résumé :Je ne reverrai plus le monde, textes de prison, traduits du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, Actes Sud, 2019 Ahmet Altan, est un écrivain et journaliste turc, connu pour son engagement démocratique et ses prises de position courageuses. L’ancien rédacteur en chef du journal Taraf est emprisonné depuis 3 ans, accusé d’avoir participé au putsch raté du 15 juillet 2016. Le 5 juillet 2019, la Cour suprême a cassé sa condamnation à perpétuité aggravée, estimant qu’il n’avait pas commis l’infraction de « violation de la Constitution », mais retînt contre lui celle « d’aide à un groupe terroriste sans en être membre » et décida de son maintien en détention. Décision confirmé le 8 octobre dernier par la 26ème chambre pénale d’Istanbul : Ahmet Altan restera en prison jusqu’à son prochain procès, dont le verdict devrait être rendu le 4 novembre. Je ne reverrai plus le monde sont des textes qu’Ahmet Altan a rédigés en prison. Avec une puissante ironie et un profond humanisme, le romancier, âgé de 70 ans, analyse la nature contradictoire et volatile des accusations portées contre lui, qui peuvent néanmoins lui valoir une condamnation à perpétuité. Il médite sur l’univers carcéral et la cohabitation avec d’autres détenus, sur la condition humaine, sur le dénuement extrême engendré par la privation de liberté, sur la force miraculeuse puisée en soi pour résister à l’anéantissement de sa propre personne ainsi que sur le rôle salvateur de la littérature, de la lecture et de l’écriture. Le livre parait en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, mais pas en Turquie. Invités :
Pour aller plus loin :
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21 Oct 2019 | #07 – Le monde en questions | ||
Avec la participation de Taline KortianRésumé :Joumana Haddad, invitée de ce nouveau numéro de Le monde en questions, est une intellectuelle libanaise et une militante qui, dans ses livres comme dans sa vie de femme et de citoyenne, déconstruit avec patience et passion les représentations aliénantes de la femme arabe, de l’homme arabe, de la rue arabe. Solaire, elle dénonce l’hypocrisie des sociétés moyen-orientales, la corruption, l’incurie des pouvoirs publics. Incandescente, elle brise les tabous, notamment sur le corps et la sexualité des femmes, que les sociétés patriarcales veulent contrôler. Sa force, elle la puise dans la littérature, dans l’écriture et l’action politique, ainsi que dans ce mot de liberté qu’elle découvre, écolière, dans le poème homonyme de Paul Eluard. Car Joumana Haddad est aussi poétesse. Et pour elle, la poésie n’est pas seulement le puissant vecteur de sa révolte face à l’injustice et aux discriminations, elle est au commencement de toute chose, dans ce pouvoir inaliénable que possède tout être humain de dire oui ou bien de dire non. Son engagement culturel et social pour la liberté d’expression et l’éducation fait d’elle l’une des figures les plus influentes de la société civile libanaise et du monde arabe. Fille des Lumières, sa voix transcende les frontières, tisse des liens entre les humains en donnant corps au combat universel de chacun et chacune pour la reconnaissance et le respect de son inviolable dignité. Par-delà la diversité des temps et des lieux, des personnes et des cultures. Quel que soit l’héritage reçu à sa naissance. Après avoir écrit de nombreux essais, de la poésie et du théâtre, Joumana Haddad se lance dans l’écriture romanesque avec Le Livre des Reines, son premier roman. Une hallucinante saga familiale mettant en scène quatre femmes et un siècle de violences. Quatre générations de femmes à la même chevelure rouge, prises dans le tourbillon tragique de l’histoire d’un Orient compliqué et meurtri, de 1915 à nos jours. Une plongée dans un volcan en activité. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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08 Jul 2019 | #05 – Le monde en questions | 01:17:21 | |
Avec la participation de Taline KortianRésumé :L’écrivain Daniel Arsand est l’invité de ce cinquième numéro de Le monde en questions. Daniel Arsant fut libraire, conseiller littéraire, attaché de presse avant de devenir l’éditeur bien connu de littérature étrangère chez Phébus. Formidable passeur de culture, il a fait connaître aux lecteurs francophones des auteurs irlandais, tels que William Trevor, Keith Ridgway, Hugo Hamilton, des auteures turques telles qu’Elif Shafak et Oya Baydar, l’auteure américaine d’origine japonaise, Julie Otsuka et bien d’autres encore. Beaucoup de ces auteurs qu’il a fait connaître furent récompensés par le prix Fémina étranger. Lui-même écrivain, il reçut le prix du premier roman pour La Province des ténèbres, le prix Jean Giono du deuxième roman pour En silence, le grand prix Tyde-Monnier pour Des amants, le Prix chapitre du roman européen pour Un certain mois d’avril à Adana et le prix du roman gay pour Je suis en vie et Tu ne m’entends pas. Grand connaisseur de littérature française, passionné notamment par George Sand, il a préfacé Les beaux messieurs de Bois doré, lors de la réédition de l’ouvrage. À l’oreille :
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28 Oct 2019 | #08 – Le monde en questions | 01:22:52 | |
Résumé :Géographe et enseignant-chercheur à l’Université Lyon 2, Fabrice Balanche est un spécialiste de la Syrie, du Liban et du Proche-Orient en général. Sa grande connaissance du terrain et la cartographie à la fois originale et innovante qui en résulte, font de lui l’un des grands experts internationalement reconnus de la région. Ses cartes de géographie politique donnent à voir et ses propos rendent intelligibles des questions complexes. Fabrice Balanche nous invite dans le cadre d’une analyse géopolitique à ne négliger ni le terrain ni la géographie pour appréhender de façon pertinente le réel et tenir à distance autant que possible les lectures idéologiques du réel qui pourraient nous le faire manquer ou altérer notre jugement. De retour du Nord-Est de la Syrie, où il se trouvait lors de l’annonce du retrait effectif des forces américaines des régions contrôlées par les Kurdes, il parle de l’offensive de l’armée turque que ce retrait rend possible. Sont abordées les questions relatives aux milices supplétives en première ligne dans l’offensive turque, au retrait des Kurdes des territoires qu’ils avaient contribué à libérer de l’État islamique avec l’appui militaire américain et européen, au cynisme des puissances abandonnant les Kurdes à leur sort après les avoir utilisés et laissés bernés d’illusions, au positionnement de l’armée syrienne au fur et à mesure du retrait des forces combattantes kurdes. Retour sur huit années de guerre qui n’auront pas vu le régime syrien s’effondrer, contrairement aux prédictions de nombreux analystes. Sont abordés dans cette émission les questions et thématiques suivantes :
À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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23 Oct 2019 | #09 – La question libanaise | ||
Invitée : Aurélie DaherContexte :Enseignante-chercheuse à l’Université Paris-Dauphine et Sciences Po Paris, Aurélie Daher est une spécialiste du Liban et notamment du Hezbollah. Depuis le 17 octobre 2019, des manifestations pacifiques se déroulent au Liban, dans la capitale, à Beyrouth comme dans les principales villes du pays, pour dénoncer la corruption de la classe politique dirigeante et son incurie. Un quart de la population du pays, toutes confessions confondues, serait descendu dans la rue pour appeler au renouvellement des élites dirigeantes issues des partis confessionnels. Aurélie Daher explique les raisons du mécontentement de chacune des communautés sunnite, chrétienne et chiite vis-à-vis de leurs leaders respectifs. Ces raisons sont multiples et peuvent différer d’une communauté à l’autre, chacune n’ayant pas le même poids démographique ni les mêmes intérêts à une remise en cause de l’équilibre confessionnel ou la promulgation d’une nouvelle loi électorale. Dans ces conditions, la déconfessionnalisation du paysage politique libanais est-elle possible ? Une citoyenneté libanaise est-elle en train de naître ? Si, le 24 octobre, le discours du Président Aoun n’a rien changé à la détermination des manifestants, le discours du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le lendemain, appelait les chiites à rentrer chez eux. La démission du Premier ministre Saad Hariri, le 29 octobre, ne signifie ni la fin de la crise ni qu’il ne puisse être le prochain Premier ministre, dans un pays où, conformément à la Constitution en vigueur, le président du Liban doit être maronite, le premier ministre sunnite et le président de la Chambre des députés chiite. La mobilisation faiblira-t-elle ou se renforcera-t-elle dans un contexte économique difficile? S’agit-il d’une parenthèse destinée à se refermer ou bien tout retour en arrière, à l’identique, est-il désormais devenu inacceptable ? Malgré le ras-le-bol exprimé par les manifestants et l’usure d’un système semblant à bout de souffle, la société civile sera-t-elle en mesure de présenter un projet alternatif ? Des nouvelles personnalités émergeront-elles pour imaginer un nouveau contrat social et le mettre en œuvre, cent ans après la création du Liban ? Pour l’heure, le Hezbollah, né en 1982, est devenu un acteur majeur de la scène politique libanaise et régionale. Aurélie Daher revient sur la montée en puissance du mouvement chiite (dirigé depuis 1992 par Hassan Nasrallah), sur son action sociale et politique, sur ses capacités militaires considérablement renforcées à la faveur de sa participation déterminante à la guerre en Syrie aux côtés du régime d’Assad. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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30 Oct 2019 | #10 – “Par des femmes” | ||
Avec la participation de Taline Kortian. Invitée Tiziana De CarolisContexte :Femme compositeur, pianiste et professeur de composition, Tiziana De Carolis nous parle de son travail de créatrice, mais aussi de son engagement pour faire connaître l’histoire oubliée des compositrices et de leurs œuvres. Peu encouragées à la création, peu initiées à la composition, des femmes ont néanmoins de tout temps produit, parfois sous le nom de leur mari ou de leur frère, des œuvres musicales qui furent souvent par préjugé, lors de leur réception, considérées comme mineures, peu ou jamais jouées, et dont les partitions furent perdues ou jamais rééditées. Tiziana de Carolis nous invite à partir à la rencontre de ce répertoire musical quasiment inconnu, en pointant le silence de l’histoire de la musique au sujet des compositrices. Mais, qui a entendu parler de Rita Strohl, de Claude Arrieu, d’Elsa Banaine, d’Amy Beach ou de Mel Bonis ? Et si, de manière générale, il est difficile pour les compositeurs contemporains de faire jouer leurs œuvres, la difficulté redouble quand il s’agit de faire entendre l’œuvre d’une femme. Pourtant, les choses bougent. Grâce notamment à l’association Présences féminines, au festival du même nom qui a lieu chaque année depuis 2011 et dont la prochaine édition aura lieu du 17 au 28 mars 2020. Sa directrice artistique Claire Bodin intervient en ligne au cours de l’émission pour nous en dire davantage. Grâce aussi au projet de production discographique intitulé Voies(x) de Femmes, lancé par Tiziana De Carolis et Théodora Cottarel afin de mettre en lumière la richesse et la qualité des œuvres vocales des compositrices du XXème siècle comme Lili Boulanger, Régine Poldowski et Germaine Tailleferre, et celles du XXIème siècle telles que Isabelle Aboulker, Graciane Finzi sans oublier celle de Tiziana de Carolis. Grâce aussi à l’éducation, la pédagogie ainsi qu’à la possibilité désormais offerte aux jeunes enfants d’une initiation et d’un apprentissage de la composition musicale. Enfin, si la musique est l’art des sons, les œuvres vocales nous amènent à nous interroger sur la voix, sur son timbre et sa tessiture, ainsi que sur le rapport que chacun d’entre nous entretient avec sa propre voix. À l’oreille :
Pour aller plus loin, deux concerts et deux albums :
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06 Nov 2019 | #11 – Istanbul Rive gauche | 01:20:00 | |
À propos du livre Istanbul Rive gauche, érrances urbaines et bohême turque (1870 – 1980)
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06 Nov 2019 | #12 – La fabrication de l’ennemi | 01:18:03 | |
Avec Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, spécialiste des relations internationales et notamment des questions stratégiques.Contexte :La publication de La Fabrication de l’ennemi l’a fait connaître du grand public, au-delà des cercles d’experts. Dans ce livre publié en 2014 comme dans Dr. Saoud et Mr. Djihad, il s’agit d’abord de partir de faits précis et de s’interroger. Par exemple, quinze des dix-neuf terroristes du 11 septembre 2001 étaient de nationalité saoudienne, aucun des autres n’était Iranien, Irakien ou Nord-Coréen. Pourtant la Maison-Blanche désigna l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord comme l’axe du mal. En revanche, lors du premier attentat contre le World Trade Center en 1993, alors qu’on comptait cinq Soudanais parmi les quinze terroristes, la Maison-Blanche avait pris la décision de frapper le Soudan. En quoi consiste le processus de fabrication de l’ennemi ? Comment l’opinion a-t-elle été préparée à accepter une intervention militaire en Irak, à la suite de l’intervention en Afghanistan, après l’attentat du 11 septembre ? Car, en démocratie, on ne peut lancer une opération militaire extérieure, sans soutien de l’opinion, sans un vote du Parlement autorisant le recours à la force armée, et dans le cas d’une coalition internationale, sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Pierre Conesa revient sur l’épisode des armes de destruction massives que l’Irak de Saddam Hussein aurait détenues, alors que les experts affirmaient le contraire, ainsi que sur les fameuses preuves dont les Etats-Unis affirmaient être en possession. Pour mémoire, la France, dont Jacques Chirac était le Président et Dominique de Villepin, le ministre des Affaires étrangères, avait refusé de se joindre à la coalition menée par les Etats-Unis lors de la seconde guerre du Golfe qui débuta le 20 mars 2003, envahit l’Irak (opération baptisée Liberté irakienne) et mit fin au régime du dictateur Saddam Hussein. Quant à l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole, comment expliquer la clémence des Etats-Unis à leur égard, après le 11 septembre ? Comment expliquer qu’un an après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat du royaume saoudien à Istanbul, le 2 octobre 2018, l’affaire semble désormais bel et bien enterrée ? Le Future Investment Initiative en 2019 ou Davos du Désert s’est tenu à la fin du mois d’octobre comme si de rien n’était. Est-ce l’effet de l’efficacité du lobby saoudien ? Le regard porté sur le prince Mohamed Ben Salmane, présenté comme l’homme du changement, octroyant aux femmes le droit de conduire, est-il conditionné par le lobby saoudien ? En novembre 2020, l’Arabie saoudite présidera le quinzième sommet du G20. Pauses musicales :
Pour aller plus loin :
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05 Nov 2019 | #13 – Opinion et médias, la défiance et après ? | ||
Contexte :Économiste de formation et journaliste free-lance spécialisée dans les alternatives écologiques, Anne-Sophie Novel s’interroge sur la défiance de l’opinion vis à vis des médias. Le phénomène est-il nouveau ? Quelles sont les causes ou les facteurs aggravant de cette crise de confiance ? Ne généralise-t-on pas trop vite ? Et que faire une fois qu’on a campé le décor entre d’un côté un public ne faisant plus confiance aux médias et de l’autre des journalistes confrontés à la profonde transformation de leur métier, devant produire de plus en plus vite du contenu standardisé et soumis à des contraintes économiques et financières. Anne-Sophie Novel place l’urgence écologique au cœur de sa réflexion. Elle sonde l’impensé écologique. Pourquoi l’un des enjeux majeurs pour l’avenir de la planète et de l’humanité, a-t-il tant de mal à s’imposer comme un sujet central, repéré comme tel depuis la fin des années 60 ?
Disait Jacques Chirac en 2002. Pourquoi continuons-nous de détourner le regard ? Produire et consommer différemment s’applique aussi à l’information. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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05 Nov 2019 | #14 – Alaa El Aswany | ||
Avec Alaa El AswanyRésumé :Il ne peut écrire sans écouter Oum Kalthoum ou Edith Piaf. Et cela donne une assez bonne idée non seulement de ses deux amours, son pays et Paris, mais aussi de l’exigence d’Alaa El Aswany vis de sa propre écriture et vis à vis de ses personnages de roman sculptés à l’aune de deux voix sublimes. Le plus célèbre des écrivains égyptiens ne vit plus au Caire, mais à New-York, depuis que le Parquet général militaire a porté plainte, en mars 2019, contre lui pour insultes contre le « Président, les forces armées et les institutions judiciaires égyptiens ». En cause, ses articles critiques publiés en arabe sur Deutsche Welle et son dernier roman sorti fin 2018, J’ai couru vers le Nil (Actes Sud), dont l’action se déroule Place Tahrir, en 2011, pendant ces journées révolutionnaires qui chassèrent Hosni Moubarak du pouvoir et dans la ferveur desquelles le mot peuple, soudain, n’était plus une abstraction. Le roman polyphonique mettant en scène riches et pauvres, privilégiés, démunis, arrivistes, héros et bourreaux, hypocrisie religieuse, tractations entre l’armée et les islamistes, exactions du régime, est interdit en Égypte et dans le monde arabe, à l’exception du Liban, de la Tunisie et du Maroc. Pendant longtemps le succès planétaire de L’immeuble Yacoubian a protégé le romancier. Ce n’est plus le cas désormais. Depuis 2014, Alaa El Aswany, militant engagé en faveur de la démocratie et de la justice, qui, en 2011 par exemple, organisait chaque jour un point presse pour les journalistes notamment étrangers suivant les événements de la place Tahrir, ne peut plus chroniquer dans les journaux égyptiens comme il le faisait auparavant régulièrement. Il ne peut plus paraître à la télévision et même le séminaire de littérature qu’il animait depuis 20 ans est interdit à partir de 2015. De passage à Paris, et pour Radio Cause commune, il parle de l’Égypte d’aujourd’hui et d’hier, de la recherche de la troisième voie – qui ne soit ni dictature militaire ni extrémisme religieux – les deux faces d’un même malheur historique dans lequel est enfermée la société égyptienne depuis des décennies-de la place et du rôle déterminant des femmes durant la Révolution, de la jeunesse de son pays qui n’oublie pas ce qu’elle a vécu en 2011, qui rêve de liberté, qui veut construire l’Égypte de demain dans le respect de la dignité de chaque être humain. Pour mémoire, 60% de la population a moins de 40 ans. Il salue ainsi l’attribution du prix de la littérature arabe 2019 (créé par l’Institut du monde arabe et la Fondation Jean-Luc Lagardère) à l’écrivain Mohammed Abdelnabi pour son roman La chambre de l’araignée (Actes Sud/Sindbad). Pauses musicales :
Pour aller plus loin :
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26 Nov 2019 | #15 – Le Moyen Orient | ||
Invité :Spécialiste du Moyen Orient, de la Turquie et de la question kurde, l’historien et politologue Hamit Bozarslan est Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS). Contexte :L’année 1979 marque une série de ruptures au Moyen-Orient. En février, la Révolution iranienne renverse le régime du Shah pour instaurer une République islamique et conservatrice qui ne cessera de gagner en influence et en emprise dans la région durant les décennies suivantes. En mars, la signature du Traité de paix israélo-égyptien (faisant suite à la visite historique d’Anouar el-Sadate à Jérusalem, à la signature des accords de Camp David, au prix Nobel de la Paix décerné conjointement à Menahem Begin et Sadate) met fin à l’unité revendiquée du monde arabe face à l’État d’Israël. En novembre, la prise de la Grande Mosquée du Caire par des fondamentalistes islamistes inaugure un cycle de violences qui se prolongera dans les guerres des années 80, la guerre civile algérienne des années 90, les attentats du 11 septembre 2001, et jusqu’à nos jours avec Al-Qaïda et l’État islamique. Enfin, en décembre, l’invasion soviétique de l’Afghanistan met fin à la représentation tiers-mondiste selon laquelle seuls les États-Unis sont une puissance impérialiste. L’impact et les conséquences de cette quadruple rupture n’ont cessé de peser sur la reconfiguration des rapports de force au Moyen-Orient d’où désormais toute contestation de gauche a disparu. En 1979, les divers mouvements de gauche, jadis actifs et concurrentiels, sont défaits, victimes de la répression d’États autoritaires et coercitifs, victimes aussi de leurs propres erreurs. Depuis quatre décennies, on assiste au Moyen-Orient à un renforcement de la confessionnalisation, à une cartellisation du pouvoir et une prolifération des milices. Ces processus ont affaibli les États, nés de la chute de l’Empire ottoman, au lendemain de la Première guerre mondiale. Les sociétés à leur tour se désagrègent sous la poussée des logiques de confessionnalisation et de fragmentation du territoire. Comment analyser les mouvements de contestation sociale et de protestation pacifique qui secouent le Moyen-Orient actuellement ? Ils attestent, chacun dans leur spécificité, d’une forte demande démocratique. Et il n’est pas inutile dans un souci de compréhension de mobiliser à leur sujet les réflexions du philosophe Claude Lefort, sur l’invention et l’indétermination démocratiques. Critiquant la corruption, l’incurie des autorités publiques et l’injustice sociale qu’elles génèrent, ces mouvements de protestation attestent aussi de la volonté de sortir de la violence, de redonner du sens à leur indépendance et projet de société, de ne plus être l’otage d’ingérences extérieures ou de rivalités entre puissances étrangères, régionales ou non. C’est dans ce contexte qu’intervient la revendication d’une citoyenneté transcendant les communautarismes et la critique d’un modèle étatique reposant sur des allégeances religieuses et confessionnelles, causant un blocage politique et institutionnel, empêchant l’émergence de toute alternance. S’agissant de la Turquie, connaissant une dérive autoritaire, répressive et déstabilisante, depuis quelques années, des processus de cartellisation ou de miliciarisation sont-ils aussi à l’œuvre ? Depuis la fin de l’Empire ottoman et la création de la République de Turquie, comment comprendre la succession ou la concurrence de périodes violentes et de périodes de transformation démocratique contrariées ou avortées ? Comment expliquer que le projet d’une citoyenneté inclusive ait échoué à plusieurs reprises, tout en persistant sous forme d’aspiration ? Des tendances longues, contradictoires ou non, sont-elles repérables depuis la Révolution Jeune-turque ? S’agissant de la question kurde en Turquie, et celle de la représentation de l’autre en politique, comment comprendre le revirement d’un pouvoir entamant au plus haut niveau des négociations avec le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) – afin de mettre fin à 40 ans de guerre civile ravageant le Sud-Est anatolien, habité majoritairement par des Kurdes – puis, après la rupture de ces mêmes négociations, se lançant dans la destruction des villes kurdes, l’arrestation des maires kurdes, dont le député Selahattin Demirtaş, président du parti démocratique des peuples (HDP) et candidat à l’élection présidentielle de 2018 ? Quelles sont les conséquences de l’offensive militaire turque dans le Nord-est syrien contre les forces militaires kurdes, lesquelles jouèrent un rôle déterminant dans la lutte contre l’État islamique aux côtés de la coalition occidentale ? Quel avenir et quel espoir pour les Kurdes répartis sur quatre États (Turquie, Syrie, Irak, Iran) ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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31 Jan 2020 | #16 – Vers la fin du contrat social en Syrie ? | ||
Contexte :Politiste à l’Institut de recherche pour le développement, Laura Ruiz De Elvira est spécialiste de la Syrie. Ses recherches portent essentiellement sur la sociologie de l’action collective, de l’engagement et sur les pratiques d’aide et les politiques sociales. En Syrie de 2006 à 2010, doctorante à l’Institut Français du Proche Orient de Damas, elle effectue ses recherches sur les associations caritatives, confessionnelles ou non, et leur maillage territorial. Ces associations de bienfaisance, durant la décennie qui précède le soulèvement populaire de 2011, jouent un rôle de plus en plus important au moment où l’État syrien en voulant se moderniser se décharge de certaines fonctions et missions sociales qu’il accomplissait traditionnellement en faveur des plus démunis. Dans un contexte de paupérisation, n’excluant pas la constitution de quelques grandes fortunes affichant un luxe tapageur inaccessible à la plupart de la population, ces associations sont en première ligne pour faire face à l’exode rural faisant suite à la grande sécheresse de 2007, à l’afflux de réfugiés en provenance d’Irak à partir de 2003, à la défaillance des secteurs publics de la santé et de l’éducation. Après l’éphémère printemps de Damas, l’État policier resserre son contrôle social et politique sur la population, mais il devient de plus en plus évident qu’il ne dispose d’aucun levier d’action pour faire fonctionner les institutions, moderniser les infrastructures du pays, redistribuer les richesses, protéger les plus faibles. Laura Ruiz de Elvira publie chez Karthala, Vers la fin du contrat social en Syrie. Associations de bienfaisance et redéploiement de L’État (2000-2011). Un ouvrage qui nous permet de comprendre comment le désengagement de l’État a rendu possible l’émergence progressive de nouveaux acteurs sociaux, ainsi que celle des aspirations au changement, au niveau local et national, accélérant la perte de contrôle par le régime d’une partie de son territoire. Les premières manifestations pacifiques sont l’expression de cette forte demande de démocratie. Dans les zones ou les quartiers assiégés par le régime et bombardées, des conseils locaux tentent d’organiser les villes (ramassage d’ordures, scolarisation des enfants, projets agricoles pour nourrir la population, projets culturels, etc. ). Le succès de ces expériences de démocratie participative dépend souvent des forces rebelles, des multiples milices ou de l’État islamique, contrôlant les régions en question. Il dépend aussi de l’évolution des combats sur le terrain. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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31 Jan 2020 | #17 – Dracula et moi | ||
À propos d’un livre pour enfant de Nathalie Wolff et Elsa Oriol, Dracula et moi, éditions Drôle de zèbre, 2019. Avec la collaboration de Pancho.Invité(e)s :
Contexte :Une petite fille part sur les traces de ses grands-parents, à la recherche d’un manuscrit qu’ils abandonnèrent dans leur fuite précipitée d’un régime tyrannique. Elle entraîne ses parents et sa sœur aînée dans ce voyage, qui remonte le temps sans obérer le présent et l’avenir. À l’oreille :
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14 Feb 2020 | #18 – Le monde selon Alexandre Adler | ||
Contexte :Alexandre Adler est historien, journaliste, spécialiste des relations internationales. Sa culture phénoménale, encyclopédique, chose rare de nos jours, le pousse à vouloir comprendre le monde, l’embrasser d’un seul regard, le rendre intelligible même quand le sens de la marche du monde semble nous échapper ou que les outils conceptuels pour penser le réel font défaut. Pas d’histoire, sans philosophie de l’histoire. Pas d’humanité concevable sans triomphe des lumières et de la raison. Pas de vie sans espoir. Le sens d’un événement ne peut se comprendre en l’isolant et sans le mettre en rapport avec d’autres faits survenant ailleurs dans le monde. Il arrive que la grande et la petite histoire se mêlent volontiers dans certaines circonstances. L’histoire avance empruntant parfois des détours ou des chemins de traverse. Du Brexit conduit par Boris Johnson, au Liban où s’est réfugié Carlos Ghosn fuyant le Japon, en passant par la Russie de Poutine. Chrétiens d’Orient. Druzes. Israël. Juifs. Palestiniens. La paix est-elle en marche ? Alors, Alexandre Adler, Facétieux ou visionnaire ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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21 Feb 2020 | #19 – La mère morte | 01:00:03 | |
Invités :
Contexte :Il y a des mots qu’on prononce et qu’un jour on ne prononcera plus. Ils sont peu nombreux. Ainsi en va-t-il du mot « Maman ». (Ou « Papa »). On s’habitue à son tour à s’entendre appeler « Maman ». Il arrive que dans des circonstances tragiques il ne reste plus personne pour vous appeler ainsi. Il arrive que les jeunes partent avant les moins jeunes. Dans La mère morte, Blandine de Caunes raconte comment elle s’est retrouvée confrontée, pour ainsi dire simultanément, à la double disparition de sa mère et de sa fille unique. Lent dépérissement de sa mère, Benoîte Groult, atteinte de la maladie d’Alzheimer, mourant à 96 ans. Violente mort de sa fille Violette, tuée dans un accident de voiture, à l’âge de 36 ans. Existe-t-il un mot, et dans quelle langue, pour décrire l’état de celle qui n’a plus de mère et n’est plus mère à la fois ? Femme libre, romancière, travailleuse acharnée, amoureuse de la pêche et de la mer, Benoîte Groult a marqué de nombreuses générations de femmes depuis la publication, en 1975, de son livre Ainsi soit-elle, un texte fondateur dans lequel elle incarne la voix de l’émancipation féminine. Son engagement pour les droits des femmes en France et dans le monde s’est manifesté de plusieurs façons. Elle a lutté pour le droit à l’avortement. Elle fut l’une des toutes premières personnalités à dénoncer les mutilations sexuelles infligées aux petites filles. Elle a porté le combat pour la féminisation des noms de métiers. Devenue icône du féminisme, Benoîte Groult militait aussi pour le droit de mourir dans la dignité. En 2006, elle publie La Touche étoile, où elle s’attaque aux tabous de la vieillesse et de la mort librement consentie. Convaincue que « le refus de la naissance choisie et de la mort choisie, c’est la même idéologie contre la liberté », elle s’engage en faveur de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité). Lorsqu’elle meurt en 2016, sa fille Blandine de Caunes déclare à la presse : « Elle est morte dans son sommeil comme elle l’a voulu, sans souffrir ». Aujourd’hui, dans La mère morte, la fille revient sur les circonstances de la mort de sa mère. Daniel Arsand, qui partage avec Blandine de Caunes la passion de l’écriture et de la littérature, comme l’atteste leur longue collaboration aux éditions Phébus, souligne la grande liberté dans laquelle Benoîte Groult a élevé ses trois filles ainsi que la transmission du goût de l’écriture qui caractérise quatre générations de femmes dans la famille Groult. Dans l’histoire de la littérature, ce n’est pas toujours le cas. L’auteur des Amants et de Je suis en vie et tu ne m’entends pas, constate à propos de La mère morte, que très peu d’auteurs possèdent le don de dire le plus grave, sans pesanteur. Sans larmoyer. Sans dérision ni autodérision, mais avec une pointe d’humour. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
Et Et | |||
27 Feb 2020 | #20 – Les militantes | ||
En plateau :Ingénieure de police technique et scientifique, spécialisée en balistique, Claire Raphaël est aussi poète et romancière.Depuis l’âge de 18 ans, Claire écrit de la poésie et des textes courts. Aujourd’hui, elle partage sa vie entre la balistique et l’écriture. Elle vient de publier en janvier 2020 Par nos montagnes, un recueil de poèmes centré sur la beauté des massifs montagneux qu’elle affectionne particulièrement. Source pour elle d’inspiration et de ressourcement; lieu propice à la méditation sur le monde, la nature et la condition humaine. Élévation qui déleste le langage de toute surcharge inutile et qui rend aux mots leur force et leur sens. Contexte :Dans Les militantes, son premier roman en librairie (mars 2020), on retrouve, dans un texte au long souffle, la même attention particulière que Claire Raphaël porte au langage. Les mots sont précis, les phrases directes, sans fard, sans détour. Ciselées dans le cru de la vie. La fibre sociale de l’auteure, aussi militante syndicaliste, se révèle dans l’enquête policière menée de main de maître par la narratrice experte en balistique. Une femme assassinée en pleine rue. Vol, viol ? Traces d’agressions physiques ou sexuelles ? Exécutée ? Par qui ? Pourquoi ? Au cœur du sujet :Ce livre est une réflexion sur la violence, sur notre rapport à la violence et sur les effets de la violence. Une citation de Sartre en exergue nous met sur la piste. Sur la multiplicité des formes de violence. Sur les préjugés des uns et des autres, des uns sur les autres, sur les murs qui séparent au point de caricaturer les choses et les êtres, alors qu’il s’agit de faire face à la complexité du réel. L’analyse des rapports sociaux exigent patience et finesse, comme une enquête qu’on n’a pas le droit de bâcler. Il aborde la question des violences faites aux femmes. Peut-on en guérir ? Seul ou collectivement ? Comment surmonter la dévastation que produit l’atteinte à l’intégrité physique et morale de la personne humaine ? En mettant l’accent sur la capacité de certaines femmes à renverser le cours de l’histoire, n’acceptant pas l’assignation au statut de victimes, Claire Raphaël leur rend hommage. Et nous interroge. Ces femmes capables de défier notre monde désenchanté, vautré dans la perte de sens, l’indifférence et le manque de reconnaissance, qui sont-elles ? De nouvelles héroïnes trouvant la force d’apprendre à se battre dans l’adversité, refusant l’ajournement de l’espoir ? Militantes d’aujourd’hui et de demain ? Dans le prolongement de la lecture des Militantes, il serait intéressant de se rappeler par ailleurs ce que tous les observateurs ont noté à propos des manifestations et mouvements de contestation qui ont secoué récemment et continuent de secouer le monde : la participation massive des femmes devenues incontournables dans la formulation et l’articulation de la forte demande démocratique des peuples. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
Mais aussiLe 8 mars, journée internationale des femmes. La Journée Internationale des femmes trouve son origine dans les luttes des ouvrières et suffragettes du début du XXe siècle, pour de meilleures conditions de travail et le droit de vote. | |||
02 Mar 2020 | 21 – Yassin Adnan pour “Hot Maroc” | ||
En Plateau :Incontournable figure de la littérature marocaine, Yassin Adnan est aussi journaliste, et notamment le concepteur et présentateur d’émissions culturelles consacrées aux auteurs et personnalités du monde culturel arabe. Il y eut d’abord l’émission « Masharif », diffusée sur la première chaine de télévision publique au Maroc, de 2006 à 2019, et désormais, depuis 2019, l’émission « Chez Yassin » diffusée chaque mercredi soir depuis le Caire (Égypte). Contexte :Poète et nouvelliste, Yassin Adnan se lance dans le roman avec Hot Maroc, publié au Caire en 2016. Chaleureusement salué par la critique au Maroc comme dans l’ensemble du monde arabe, son premier roman est nominé pour le Prix international du roman arabe (International Prize for Arabic Fiction), souvent appelé le Booker arabe. Ce prix créé en 2007 à Abu Dhabi est le plus prestigieux des prix du roman arabe. Si la poésie a longtemps été le principal genre littéraire du monde arabe, le roman occupe désormais la première place. Son rôle s’avère essentiel pour comprendre le monde arabe contemporain. On ne peut donc que se réjouir des dynamiques de traduction et les encourager, car elles rendent possible le passage à une culture, à un monde que le regard extérieur ne suffit pas à capter pleinement. Résumé :Hot Maroc sort en français aux éditions Actes Sud dans une remarquable traduction de France Meyer. Le roman sera également bientôt publié en anglais. On savourera la grande richesse du bestiaire de Yassin Adnan. Et toute son ironie. La comédie humaine se double d’une comédie animale. La zoologie vient au secours de la sociologie. Chaque personnage a son double, son alter ego en quelque sorte. Il y a l’écureuil à la mémoire phénoménale qui rate ses études d’histoire et de géographie, car il n’est doté que d’une mémoire d’indic, inopérante pour les dates et les cartes, se souvenant seulement de l’endroit où il a caché ses réserves en graines et noisettes. Il y a le hérisson, le chien sloughi, le caméléon, la vache, la chamelle et la pieuvre. Et tout ce beau monde, avant d’entrer dans la vie professionnelle, milite au sein de l’union nationale des étudiants du Maroc, divisée entre groupes gauchistes et groupes religieux islamistes. Ensemble ou séparément, ils livrent des batailles. Pour le retour des renvoyés, pour l’infirmerie ou pour savoir qui des gauchistes ou des islamistes contrôlera la cafétéria. Le passé étudiant laisse des traces qu’un gérant de cybercafé saura exploiter plus tard pour faire et défaire, dans l’anonymat, réputations et carrières de ses prétendus ennemis, par le biais de fake news, pour le plus grand bonheur des services de renseignement qui profitent de son pouvoir de nuisance et le manipulent. Hot Maroc est une radioscopie de la nouvelle société marocaine née des bouleversements économiques des années 80. La médiocrité, la jalousie, la lâcheté, la mesquinerie y constituent un obstacle à l’émancipation et à la démocratie. Le livre pointe comment les intimidations, les menaces, les atteintes à la liberté d’expression passent aussi désormais par la toile qui surveille et punit. Mais tout cela, comme la question des fake news ou de l’ambivalence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, dépasse largement les frontières du Maroc… Yassin Adnan nous interroge sur l’univers dans lequel nous vivons et celui dans lequel nous voulons vivre. À l’oreille :
Ces trois chansons sont citées dans le livrePour aller plus loin :
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06 Mar 2020 | #22 – La question iranienne | ||
En plateau :Spécialiste de l’Iran, Clément Therme est chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du CERI à Sciences Po Paris. Il est également membre associé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et l’auteur des Relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012). Il a également dirigé la publication d’un ouvrage collectif, L’Iran et ses rivaux, Entre nation et révolution, paru aux éditions Passés/Composés en février 2020. Contexte :Le 11 février 1979, la Révolution chassait du pouvoir le chah d’Iran et instaurait une République islamique. Cela se passait 41 ans auparavant, mais la question de l’intégration de l’Iran dans son environnement régional et dans la communauté internationale des États n’est toujours pas réglée aujourd’hui. Le pays qui avait adhéré en 1955 au pacte de Bagdad et jouait le rôle de gendarme du Golfe, renverse son alliance stratégique avec les États-Unis en adoptant une posture clairement anti-américaine, se traduisant notamment par des actes tels la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en novembre 1979 et les attentats à Beyrouth contre l’ambassade américaine et les marines en 1983. L’Iran (le pays ou le régime des Ayatollahs ?) est depuis perçu comme une puissance déstabilisatrice menaçant l’ordre et la sécurité internationales ainsi que la plupart de ses voisins arabes et Israël. Les fluctuations entre nationalisme et exportation de la révolution ne facilitent pas, par ailleurs, la lisibilité de la politique étrangère de Téhéran. Il est notamment reproché à l’Iran de vouloir enrichir l’uranium à des fins non pacifiques afin de se doter de l’arme nucléaire (en violation du TNP, traité de non-prolifération nucléaire), ce qui aurait pour conséquence de bouleverser la donne nucléaire dans la région, comme lui sont reprochés ses ambitions régionales, à travers ses puissants réseaux d’influence, ainsi que son programme de missiles balistiques de plus en plus longue portée. Des sanctions américaines et internationales de plus en plus sévères se sont mises en place au cours des années. Elles isolent chaque fois davantage le pays, aucun des partenaires de l’Iran n’ayant la volonté ou la capacité de laisser se détériorer sa relation avec les États-Unis, quelle qu’elle soit par ailleurs, en s’opposant trop ostensiblement au régime des sanctions. Quel est le coût humain de ces sanctions frappant toute l’économie et la société iraniennes ? Avec une inflation de 43% en 2019, l’annonce de la suppression de la subvention du prix de l’essence par le gouvernement iranien, a provoqué, en novembre 2019, un mouvement de contestation dans les principales villes du pays. Cette fois, même les couches les plus populaires de la société, et pas seulement les classes moyennes, sont descendues dans la rue. Pour dénoncer la pauvreté, la corruption, et demander que l’amélioration des conditions de vie de la population soit la priorité du gouvernement. Les manifestations furent violemment réprimées par les autorités, de même que les réseaux d’influence de l’Iran dans la région intimidèrent et /ou réprimèrent les mouvements de protestation populaire au Liban et en Irak fin 2019. Résumé :Assiste-t-on à l’émergence d’un patriotisme économique par le bas ? Quelle est l’ampleur de la crise de confiance qui semble s’être instaurée vis-à-vis des autorités, accusées d’avoir nié l’émergence de l’épidémie de covid-19, puis d’en avoir minimisé l’ampleur, comme d’avoir menti sur l’origine du tir de missile qui a abattu l’avion de l’Ukraine Airlines International, le 8 janvier dernier ? Et que veut la jeunesse iranienne, généralement diplômée et hautement qualifiée ? De quoi rêve-t-elle à la veille de Norouz, fête célébrant, au premier jour du printemps, le Nouvel an dans le calendrier persan ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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12 Mar 2020 | #23 – Les guerres irrégulières | ||
En plateau :Chercheur au Centre des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste des relations internationales et de sécurité internationale, Elie Tenenbaum travaille en particulier sur la guerre irrégulière, sur la problématique des interventions militaires et des opérations extérieures. Il est l’auteur de Partisans et centurions, une histoire de la guerre irrégulière au XXème siècle (Perrin). Contexte :Opposée à notre représentation classique de la guerre dite régulière, la guerre irrégulière ou « guerre de l’ombre » recouvre des champs aussi vastes que celui de la subversion, de la guérilla, de la guerre psychologique ou de la guerre révolutionnaire. Elle oppose la figure du partisan à celle du centurion. Confronté à un rapport de forces a priori défavorable sur le terrain, le partisan ne porte pas l’uniforme contrairement au soldat d’une armée régulière constituée par l’État, il bouleverse les frontières entre civils et militaires, le front et l’arrière, il évolue dans un contexte qui n’est pas celui de règles et procédures militaires codifiées par le droit international (Conventions de Genève, etc.), même s’il est tenu, s’il veut gagner, à une discipline de fer, en obéissant aux règles de la clandestinité et à un code moral, un code de l’honneur (ne pas parler sous la torture, se comporter parmi la population de manière à les rallier à sa cause et obtenir son soutien de plus en plus massif). La guerre de l’ombre, longtemps en marge des pratiques militaires occidentales, fut réintroduite lors de la Seconde guerre mondiale par la Grande-Bretagne se trouvant, pour un temps, seule à combattre l’Allemagne nazie, consécutivement à l’invasion de la Belgique et la défaite de l’armée française, en moins de six semaines, en juin 1940. La Résistance française, organisée en réseaux, prit la relève et mena la guerre de l’ombre contre l’occupant nazi (depuis Londres et en France dans les villes et les maquis, tenus soit par les Forces françaises libres (FFL) ralliées au Général De Gaulle soit par les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), crées par le Parti communiste français, sans oublier le rôle des combattants FTP de la M.O.I., (la M.O.I. ou main d’œuvre immigrée qui regroupait dès les années 1920 les immigrés communistes trouvant refuge en France, et fuyant répression politique et/ou xénophobe et persécutions antisémites en Europe). Après la victoire des Alliés contre le nazisme, avec l’avènement de la Guerre froide et dans le cadre de la décolonisation, les Alliés, jadis partisans dans la guerre de l’ombre qu’ils menèrent contre l’occupant nazi, jouent désormais en Europe, en Asie et dans l’ensemble du Tiers-monde, le rôle de centurions. Ils se battent loin de chez eux contre des troupes irrégulières qui veulent l’indépendance ou la réunification de leur pays. Ainsi, la France en Indochine, puis les États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Plus tard, en 1979, l’Union soviétique envahissant l’Afghanistan, est confrontée à la résistance de divers groupes rebelles, soutenus par le Pakistan et les États-Unis, avant de se retirer du pays, dix ans plus tard. Après le 11 septembre 2001, les États-Unis, soutenus par une coalition internationale, déclarant la guerre au terrorisme, chasseront du pouvoir les Talibans à Kaboul, pour finalement signer, près de deux décennies plus tard, un accord de paix les réinstallant de facto au pouvoir en 2020 mais permettant le retrait des troupes américaines de la zone. Force est de constater que depuis 1945 et la charte de l’ONU qui oblige les États membres de la communauté internationale à régler pacifiquement leurs différends, la conflictualité n’a pas disparu pour autant. Mais, ce qu’on appelait « guerre régulière » a pour ainsi dire laissé la place à une multiplicité de guerres irrégulières qui n’ont pas cessé après la fin de la Guerre froide. A l’exception peut-être de la Première guerre du Golfe, en 1991, aucun conflit ne rentre dans la catégorie de « la guerre régulière ». Quelles sont les conséquences de cette mutation ? Sur le terrain et sur nos perceptions et représentations de la paix et de la guerre ? À l’oreille :
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19 Mar 2020 | #24 – Le Hirak en Algérie | ||
En plateau :Ancien haut fonctionnaire algérien, ancien Président de la Banque publique d’Algérie, Omar Benderra est économiste de formation. Il fut en charge, de 1989 à 1991, de la renégociation de la dette nationale. Exilé en France depuis 1992, il exerce actuellement les fonctions de consultant économique et financier. Contexte :Avec François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah, il a dirigé la publication d’un ouvrage collectif intitulé Hirak en Algérie, L’invention d’un soulèvement, aux éditions La fabrique. Qu’est que le Hirak ? Il y a maintenant treize mois, le 22 février 2019, débutait en Algérie un soulèvement populaire prenant la forme de manifestations et de marches se déroulant, à l’échelle nationale, chaque vendredi. Déclenchées par l’annonce, le 11 février, de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel, malgré son état physique et mental fortement dégradé, elles ne s’arrêtèrent pas pour autant, lorsque le général Gaïd Salah devint l’homme fort du pays, après la démission du Président Bouteflika, ni après le décès du premier le 23 décembre 2019. La foule demandait et demande en effet le départ de tous les généraux, soit la fin de l’État militaire et policier et l’instauration d’un Etat civil, avec des institutions démocratiques jouant pleinement leur rôle dans le respect de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Que s’est-il passé entre 1962, date de l’indépendance, et 2019, pour que resurgisse dans le pays la revendication d’« indépendance » (« istiqlal »), idée phare qui avait structuré la lutte contre le colonialisme, et qui traduit aujourd’hui le désir du peuple algérien de retrouver sa dignité, sa fierté, sa liberté et sa souveraineté ? Comment les Algériens se sont réapproprié leur histoire afin de redevenir maîtres de leur destin, en s’opposant aux généraux aux commandes de l’État, qui non contents d’avoir confisqué l’héritage de la révolution en détournant ses symboles, vivaient de la rente mémorielle comme de la rente pétrolière du pays, sans considération pour le peuple ? Quelles sont les caractéristiques du Hirak, un mouvement aux racines profondes, un soulèvement pacifique, parvenu à déjouer les tentatives de division, les intimidations, les manœuvres dilatoires, la désinformation ? Comment les manifestants sont partis à la reconquête de l’espace public ? Refus de l’Etat prédateur, policier, militaire, mais aussi lancement d’un vrai débat sur l’avenir de la nation, tel que le pays n’en avait pas connu depuis le premier congrès du FLN en 1957, en Kabylie, durant lequel la primauté du civil sur le militaire avait été affirmé. Mouvement intergénérationnel, comment s’est joué la passation mémorielle entre générations ? Une jeunesse défilant sur les traces d’une autre jeunesse qui s’est battue et sacrifiée pour l’indépendance de 1962. Des manifestations où jeunes et anciens se côtoient, auxquelles les femmes participent pleinement et s’expriment. Quel fut le rôle de ces femmes, dont l’alphabétisation massive ne commence qu’après l’indépendance, dans la transmission de la mémoire, et d’une mémoire différant du discours officiel sclérosé ? Comment le Hirak a exprimé la rupture entre les Algériens et les médias privés ou publics, qui, soutenant le régime et ses manipulations contre le mouvement populaire, n’ont pas couvert les manifestations du vendredi ou celles des étudiants le mardi ? Quels sont les précurseurs du Hirak ? Dans son discours testament du 12 mars 2012, le dirigeant historique de la révolution algérienne, Hocine Aït Ahmed (1926-2015), avait compris que tous ceux et celles qui, au nom d’une autre Algérie, et durant des décennies, ont osé bravé la peur de la répression (notamment les familles des disparus et les familles des victimes du terrorisme), rendraient un jour possible l’avènement du Hirak et auront contribué, par leur courage et détermination, à l’émergence d’une nouvelle conscience politique. Quel avenir pour le Hirak alors que le pays, dépendant de ses exportations de pétrole, est confronté à la chute des cours de ce dernier ainsi qu’à la crise du Covid-19 ? À l’oreille :
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18 Apr 2020 | #27 – Rencontre avec Farouk Mardam-Bey | ||
En plateau :Historien et bibliothécaire de formation, Farouk Mardam-Bey a dirigé de 1989 à 1995 la prestigieuse bibliothèque de l’Institut du monde arabe (IMA). Il dirige actuellement la collection « Sindbad » aux éditions Actes Sud. C’est un formidable passeur de culture et de littérature qui nous invite à voyager dans le monde de la création littéraire au Moyen Orient. Contexte :Comme le remarquaient récemment, l’écrivain égyptien Alaa El Aswany ainsi que le romancier marocain Yassin Adnan, lors de leur passage à Cause commune dans Le monde en questions, il faut lire les écrivains de langue arabe pour comprendre de l’intérieur le monde dont ils parlent et qu’ils évoquent dans leurs récits, afin d’éviter de plaquer sur un réel lointain des grilles de lecture inappropriées et de se défaire « du choc des images » renvoyées par l’actualité. Ainsi, la littérature n’est pas un détour, mais une immersion. En 1988, l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz obtint le prix Nobel de littérature, ce qui contribua à renforcer la présence du monde arabe sur la scène culturelle et mondiale, même si en France, l’auteur n’était pas inconnu du public car partiellement traduit. Prix littéraires récompensent désormais le roman arabe dont le plus prestigieux est le Prix international de la fiction arabe (International Price for Arabic fiction, IPAF), le « Booker arabe » créé en 2007 à Abu Dhabi. Des salons du livre rythment aussi la vie littéraire dans le monde arabe. Mohammed Abdelnabi reçut en 2019 le prix de la littérature arabe, seul Prix français dans ce domaine, créé en 2013 par l’IMA et la Fondation Jean-Luc Lagardère, pour son roman La chambre de l’araignée. Né en 1977, Mohammed Abdelnabi est des représentants de la jeune génération d’écrivains égyptiens. Son roman s’inspire d’un fait divers, l’arrestation en mai 2001 de 52 homosexuels dans un bar flottant sur le Nil, le Queen Boat. Ala Hlehel, né en 1974 en Galilée est un écrivain et journaliste palestinien. Un Palestinien de l’intérieur, citoyen d’Israël, et dont certains écrits sont traduits en hébreu. Il dirige la revue littéraire en ligne Qadita.net dont il est le fondateur. Bon vent, Bonaparte, est un roman historique, doublé d’une interprétation romanesque du siège de Saint-Jean d’Acre par Bonaparte en 1799. La ville forteresse protégée par ses remparts, ne tombera pas aux mains de ce dernier, trahi d’ailleurs par l’un de ses compagnons, mais elle est dirigée par un tyran sanguinaire d’origine bosniaque, au service de l’Empire ottoman. Les deux hommes rêvent de leur bien-aimée durant le siège. Mais la force du roman, d’une grande actualité à plus d’un titre, est de placer en son centre la population de la ville aux prises avec les événements de l’histoire. Un conquérant français veut abattre le gouverneur étranger de la ville, lequel reçoit le soutien de la flotte britannique. La population, victime de leurs exactions, est la grande perdante quel que soit le vainqueur, d’autant plus que bientôt la peste sévira. Mamdouh Azzam est quant à lui né en 1950 en Syrie, dans la province de Suwayda. Ses romans et nouvelles, qui ont tous pour cadre la région druze du pays dont il est originaire et où il vit toujours, ont marqué la littérature syrienne. L’échelle de la mort est un roman court extrêmement dense et puissant, bouleversant dans sa narration tout en retenue, sans pathos. Il raconte l’effroyable mise à mort d’une jeune femme abandonnée par son mari âgé, parti pour le Venezuela, et condamnée, dans son village natal et par sa famille, à une mort lente pour avoir aimé un jeune instituteur avec lequel elle a tenté de s’enfuir. Les crimes d’honneur, tels qu’ils continuent à se pratiquer, dans l’indifférence et sans impunité. Mustafa Taj Aldeen Almosa, né en 1981, dans la province d’Idlib en Syrie, est un auteur plus jeune que Mamdouh Azzam, mais ses recueils de nouvelles et pièces de théâtre lui ont valu de nombreux prix littéraires en Syrie et dans le monde arabe. Contraint de s’expatrier pour échapper à la répression, il réside actuellement à Istanbul, en Turquie. La peur au milieu d’un vaste champ est une anthologie de nouvelles, tirée de six recueils publiés entre 2012 et 2019, témoignant de sa vision pénétrante de la réalité syrienne, hantée par la violence et la mort. Les personnages de ses nouvelles sont des Syriens ordinaires, confrontés chaque jour à la tragédie. Dans ce réel absurde et scandaleux auquel on pourrait s’accoutumer par impuissance ou fatalisme, Mustafa Almosa fait surgir le surnaturel pour sauver le rêve et l’espoir, pour conserver la force du questionnement. Pourquoi c’est ainsi et pas autrement ? De quel droit ? À l’oreille :
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24 Apr 2020 | #28 – Istanbul à jamais | 01:05:17 | |
En plateau :Auteur de films, de documentaires et de fictions courtes, Samuel Aubin est formateur à l’écriture et à la réalisation de films documentaires. Il anime à ce titre des ateliers au Kazakhstan, au Kirghizstan, en Ukraine, en Arménie et en Turquie. Mais il est aussi romancier. Après un premier roman publié en 2017, Le Pommier rouge d’Alma-Ata (éditions Turquoises), il publie aujourd’hui Istanbul à jamais (éditions Actes Sud), un roman qu’il a écrit à son retour en France, après un séjour de quatre ans, de 2013 à 2017, à Istanbul. Christophe Postic est co-directeur artistique des États Généraux du film documentaire de Lussas, en Ardèche. Une manifestation non compétitive, proposant chaque année une semaine de projections, de rencontres et de réflexions autour des enjeux qui traversent le cinéma documentaire. Il a animé plusieurs ateliers d’écriture documentaire, notamment en Asie centrale, avec Simon Aubin, dont il a lu par ailleurs le roman et avec qui il a eu l’occasion d’arpenter la ville d’Istanbul. Contexte :L’engagement et l’implication de Samuel Aubin et de Christophe Postic en faveur du film documentaire indépendant, sont à souligner. N’en déplaise à ceux qui n’y voient qu’une forme de don-quichottisme. Car, l’enjeu, de taille, est bien réel. En promouvant l’indépendance et la qualité, ils contribuent à faire voir le monde dans sa diversité et complexité, loin de toute uniformisation ou homogénéisation du regard dans une société globalisée et mondialisée. Mais comment se construit le regard sur une ville comme Istanbul ? Difficile dans un premier temps de s’abstraire de celui d’Ara Güler (1928-2018), qui forgea notre représentation de la cité trois fois capitale d’empire. Le célèbre photographe d’Istanbul nous a légué quelques-uns des plus beaux clichés de la ville à l’atmosphère empreinte d’une certaine mélancolie, appelée hüzün en turc, expression d’un certain esprit de la ville. Puis vint la tentative de coup d’État de juillet 2016, la répression tous azimuts qui s’ensuivit, alors que le putsch manqué fut, pour la première fois dans l’histoire du pays, unanimement condamnée. Puis vinrent les attentats, ceux de Daech, ceux des Faucons de la liberté du Kurdistan, la guerre dans le Sud-Est anatolien, la pétition signée par 1200 universitaires demandant l’arrêt des combats au Kurdistan, l’arrestation de tous les opposants, réels ou présumés, celle des journalistes, des intellectuels, des universitaires, les purges dans l’armée et les ministères, la réduction au silence par l’introduction insidieuse de la dose d’arbitraire suffisante pour faire perdre aux citoyens confiance en la protection de la loi. Istanbul à jamais sauve de l’oubli cette période pleine d’exaltation, d’aspirations démocratiques et de terreur. Elle nous est présentée à travers le regard d’un Français, Simon, dédié au film documentaire indépendant, conseillant ses étudiants dans l’élaboration de leurs projets respectifs témoignant chacun dans leur spécificité, tantôt d’un esprit contestataire bien vivace, tantôt des résonances intimes ou des séismes que les débats lancés sur la place publique provoquent sur les individus. « Travailler le sensible plutôt que l’argumentaire ». Écrire le réel avec le sentiment. Le détour nécessaire pour toucher le cœur et les esprits, accéder à l’universel, lequel s’appauvrirait sans la contribution de ces auteurs de films documentaires venus de divers horizons. Spectateur engagé à Istanbul, la ville de tous les espoirs et de tous les combats, où tout peut néanmoins basculer à chaque seconde, Simon aimerait faire un film sur Anouche, une Arménienne de France, venue en Turquie faire une thèse d’histoire de l’art sur Mimar Sinan (1489-1588), l’architecte des mosquées d’Istanbul, et sur son mari, Ferhat, un Kurde de Turquie ayant fondé un journal en ligne au moment des manifestations de Gezi, au printemps 2013. Ferhat est proche du Parti démocratique des peuples (HDP) du leader Salahattin Demirtaş, lequel fera entrer sa formation politique au Parlement, en rassemblant démocrates turcs et kurdes dans un mouvement pacifique, et fut emprisonné en novembre 2016, après la levée de son immunité parlementaire. Le soir de la tentative du coup d’État, Anouche disparaît. Simon et Ferhat partent à sa recherche dans la ville. Elle est aussi introuvable que son amie Zeynep, issue d’une famille musulmane, pieuse et conservatrice, votant pour le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir. Ni l’une ni l’autre ne sont putschistes. Sont-elles encore en vie ? Et que pourraient bien faire ensemble ces deux femmes confrontées depuis quelque temps à la question de savoir si la sœur ainée de la grand-mère de l’une est l’arrière-grand-mère de l’autre ? Simon ne fera pas son film sur Anouche et Ferhat. Il rentrera en France, laissant à Istanbul une part incandescente de lui-même. Samuel Aubin signe un roman puissant sur l’Istanbul de ces années-là, dont on ne sort pas indemne. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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28 Apr 2020 | #29 – Rwanda, entre commémoration et quête de vérité | ||
En plateau :
Contexte :Il y a 26 ans, le 7 avril 1994, débutait le génocide des Tutsi au Rwanda. Durant trois mois, durant cent jours, entre 800 000 à 1 million de Tutsi furent exterminés, la plupart d’entre eux durant le seul mois d’avril. Les autres, ceux qui avaient pu s’enfuir de leurs maisons, des églises ou autres lieux publics dans lesquels ils s’étaient, dans un premier temps, réfugiés, furent pourchassés, traqués jusque dans les marais, les forêts ou les caves dans lesquels ils se cachaient pour échapper à leurs tueurs. Des listes établies comportaient les noms des personnalités et opposants, tutsi ou hutu, à éliminer en premier, car considérés comme des obstacles à la mise en œuvre du génocide. Ces événements se déroulèrent dans un pays d’où n’étaient absents ni les ambassades étrangères ni les forces de l’ONU, qui choisirent de se retirer plutôt que de tenter d’empêcher le pire. Les alertes en amont ne manquèrent pourtant pas et remontèrent jusque dans les principales capitales, à Paris et ailleurs. D’où sans doute la nécessité de penser d’abord l’abandon, diffèrent de l’ignorance et de l’indifférence. Pour la communauté internationale, qui sort de la Guerre froide, c’est un cuisant échec. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) n’a pu empêcher la commission du crime de droit international pourtant interdit. Que ce génocide soit qualifié d’agricole, de proximité ou de voisinage, ne change pas la donne. On avait dit : « Plus jamais ça ! », mais , de nouveau, une partie de l’humanité s’octroyait le droit d’en exterminer une autre. Pour le continent africain, qui s’ouvre alors au multipartisme et qui voit Nelson Mendela, Prix Nobel de la paix en 1993, devenir le premier président noir d’Afrique du Sud, le 27 avril 1994, c’est une blessure dont on n’a pas encore fini de mesurer l’ampleur. Notons toutefois que le TPIR (1995-2015) fut le premier tribunal international à rendre des jugements contre des personnes présumées responsables de génocide, sur le fondement des conventions de 1948 et 1949. Il est également le premier tribunal international à définir le viol en droit pénal international et le reconnaître comme un moyen de perpétrer le génocide. Il rendit également une décision historique dans « l’affaire des médias », en étant la première juridiction internationale à déclarer coupables les membres des médias ayant diffusé des programmes destinés à inciter le public à commettre des actes de génocide. Marcel Kabanda souligne que les circonstances exceptionnelles et le confinement marquèrent cette année l’ensemble des commémorations d’avril, mois des génocides. Le 7 avril, date de commémoration du génocide des Tutsi ; le 21 avril, la Journée du souvenir de la Shoah, la destruction des juifs d’Europe par les nazis ; le 24 avril, date de la commémoration du génocide des Arméniens dans l’Empire ottoman. Pas de rassemblement. Pas de possibilité de se recueillir ensemble. Pas de manifestation publique. Pour autant, les gens se sont souvenus ensemble, en ayant notamment recours aux médias, aux réseaux sociaux, grâce auxquels ils ont pu réaffirmer les liens de fraternité et de solidarité les unissant. Beata Umubyeyi Mairesse dit l’effet de sidération produit dans un premier temps par la prise de conscience que, cette année, il n’y aura pas de possibilité de se réunir, de se souvenir ensemble, de se soutenir les uns les autres. Et puis, chacun comprit que cela n’empêchera pas le recueillement. Plus intime. Dans le repli de sa conscience, s’efforcer de penser aux victimes non pas comme un tout, mais à chacune d’entre elles en tant que personne. De fait, il y a dans tout recueillement cette part intime et cette part collective qui coexistent. On ne se souvient pas qu’une fois par an, on survit, on vit, chaque jour, avec et malgré le souvenir. S’agissant du contexte historique, Marcel Kabanda rappelle que le génocide a débuté au lendemain de l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali qui tue dans la soirée le président rwandais Juvénal Habyarimani ainsi que son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira. Celui dont l’avion est abattu par un tir de missile appartient au noyau dur de l’État rwandais refusant de réintégrer les réfugiés Tutsi, bloqués aux frontières du pays, et d’appliquer tous les termes des accords d’Arusha, conclus pour mettre fin à la guerre de 1990-1993. Le génocide s’achève le 17 juillet 1994, après l’entrée dans la capitale des troupes du Front patriotique rwandais (FPR) et la constitution d’un gouvernement issu des accords d’Arusha et dominé par le FPR. Un génocide ne survient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein où personne n’aurait vu passer un seul nuage. Hutu et Tutsi partageant la même langue, le kinyarwanda, la même religion, la même culture, il faut chercher l’origine d’une fracture entre les uns et les autres, dans la construction d’une idéologie opposant de supposés vrais Africains à de supposés faux Africains, par une anthropologie africaniste de la fin du 19ème siècle en Europe, et dans la logique de la politique coloniale en Afrique. L’élaboration d’un schéma racialisant les trois principaux groupes sociaux du pays (Hutu, Tutsi, Twa), durant deux siècles, et bien en amont de la crise des années 1990, n’est pas sans incidence sur la possibilité de transformer l’histoire d’une haine programmée en projet génocidaire. À cela s’ajoutera le soutien de l’État rwandais, de 1990 à 1994, aux réseaux des médias extrémistes (dont la tristement célèbre Radio-Télévision libre des mille collines) faisant l’apologie de la haine et de l’intégrisme ethnique, dénonçant les Tutsi comme un péril et les qualifiant de « cancrelats », de « serpents », de « vermines », dans un processus de déshumanisation. Jouent un rôle moteur dans l’exécution du génocide sur le territoire rwandais, non pas tant les Forces armées rwandaises (FAR) que les milices Interahamwe créées en 1992 par le parti du président Habyarimana. Elles se déploient dans chaque région pour encadrer la population civile, contrainte d’aller « travailler », c’est-à-dire de tuer ses voisins, à l’aide des machettes, des houes et des gourdins cloutés, les « outils de travail » ayant pu faire auparavant l’objet d’acheminement, si besoin, et de distributions locales. Beata Umubyeyi Mairesse se souvient de cette période qui suivit la conclusion des accords d’Arusha et l’instauration du multipartisme. Malgré la peur, il y avait aussi l’espoir, en particulier dans la région de Butare, qui semblait résister à la fanatisation des esprits contre les Tutsi. La crainte que se reproduisent les massacres de 1959 et du début des années 1960, étaient tempérées par la perspective d’un retour à la paix, avec un accord politique pouvant mettre fin à la guerre et à l’insécurité. Dans Ejo, son premier recueil de nouvelles, elle raconte l’avant et l’après. Avant et après le génocide, à travers des voix de femmes. En écrivant des nouvelles, des poèmes, un roman, elle a choisi de ne pas témoigner, du moins directement, sur elle et son histoire personnelle. Mais, de réunir par le biais de la fiction romanesque, ceux qui ont besoin d’être dérangés, qui bien souvent ne veulent ni voir ni entendre, et ceux qui ont besoin de réconfort, car dans la littérature, les vivants, les survivants et les morts peuvent se côtoyer, mais les discours de haine et la déshumanisation de l’autre sont hors-champ. L’enjeu est de faire toute la lumière sur la politique française au Rwanda durant cette période. De quelle nature fut le soutien de la France à l’armée rwandaise et à ses forces de sécurité ? La France est-elle impliquée directement ou indirectement dans le génocide des Tutsi ? Le rapport de la commission, prévu pour avril 2021, est très attendu. Dans un souci de vérité que tout État démocratique doit à ses citoyens. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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08 May 2020 | #30 – StopCovid : l’avènement d’une surveillance numérique de masse ? | ||
En plateau :
Contexte :Dans le but de ralentir la progression de l’épidémie de Covid-19, gérer le déconfinement progressif et éviter un éventuel re-confinement, la France réfléchit à la mise en place d’un système de traçage des contacts des malades, à l’aide d’une application mobile de « suivi de contacts » (« contacts tracing »). StopCovid, c’est son nom, serait respectueux de la vie privée des citoyens, sans autre finalité que celle de protéger notre santé. Des voix s’élèvent néanmoins contre ce projet, notamment parmi les défenseurs des libertés publiques. Certains craignent ou dénoncent la mise en place d’une stratégie de surveillance généralisée des citoyens. Qu’en est-il ? Écrivain et aventurier, Patrice Franceschi mène la vie qu’il a choisi de mener. C’est d’ailleurs le titre d’un de ses livres, La vie que j’ai voulue (Seuil, 2015). Il a conduit de nombreuses expéditions à caractère ethnologique sur 5 continents, mené plusieurs missions humanitaires dans les pays en guerre (Bosnie-Herzégovine, Kurdistan, Somalie). Il prend des risques. Défenseur de la cause des Kurdes, il a écrit Mourir pour Kobané, mais il aurait pu trouver la mort en Afghanistan lorsqu’il combattait aux côtés du commandant Mohamed Amin Wardak, contre l’invasion de l’armée soviétique. Ou disparaître en mer, après avoir franchi la ligne de l’Équateur en capitaine du trois mâts La Boudeuse, lors de l’une de ses expéditions aux allures de voyage des grands explorateurs d’antan. En écrivant Bonjour Monsieur Orwell, il lance un cri d’alarme et s’insurge contre le projet StopCovid qui joue sur l’érosion de notre volonté collective de vivre librement et s’appuie sur les possibilités infinies fournies par les nouvelles technologies. Si le projet voyait le jour, après un vote favorable du Parlement, on basculerait dans une nouvelle ère, celle de la surveillance généralisée mise en place pour notre plus grand bien, pour notre santé, pour la sécurité de tous. Au menu :Si, quand l’intérêt général est en cause, on peut accepter pour une durée limitée une restriction à sa liberté, dans le cas du confinement par exemple, doit-on accepter pour autant, lors du déconfinement, le contrôle intrusif de notre vie privée et de notre intimité, la collecte de données personnelles relatives à notre santé ? Dans un pays comme la Suède, la lutte contre la pandémie ne s’accompagne pas de telles restrictions de la liberté individuelle et des libertés collectives. Quel est le juste équilibre entre liberté et sécurité dans une démocratie ? Pourquoi StopCovid menace-t-il cet équilibre ? Et pourquoi de ce fait met-il en péril la démocratie ? Dans l’histoire, comme dans la vie, il y a des moments où l’on doit faire des choix. « Quand les circonstances et la nécessité l’exigent, nous devons entrer dans la mêlée et préférer la mort à la servitude », écrivait Cicéron dans le Traité des devoirs. Durant la Seconde guerre mondiale, les Résistants ont choisi la liberté ou la mort, refusant la sécurité que l’occupant nazi offrait aux collaborateurs. Sommes-nous encore capables aujourd’hui de nous battre pour la liberté, inaliénable en principe, dans un monde aseptisé où des décennies relatives de paix et de sécurité nous ont éloignés du sens du tragique, où la mort est devenue un tabou, le risque est prohibé et le sens des mots s’est perdu puisqu’on croit possible « la guerre zéro mort », qu’on finit par perdre d’ailleurs ? Sans oublier qu’on qualifie désormais de « guerre » une lutte contre une épidémie. Or, le fait que l’humanité soit confrontée à une épidémie n’a rien d’inédit. Sans remonter jusqu’à la peste noire du Moyen Age, la grippe espagnole en 1918-1919, la grippe asiatique en 1957-1958 et la grippe de Hong-Kong en 1968-1969 sont les trois grandes pandémies du XXème siècle. Quant à la guerre, elle fauche d’abord la jeunesse mobilisée au front… Les activités de recherche et d’enseignement de Célia Zolynski portent sur le droit du numérique, le droit de la propriété intellectuelle, le droit du marché et les libertés fondamentales. Elle est l’auteur de différentes publications dans ces domaines, notamment sur les liens qu’entretiennent le droit interne et le droit de l’Union européenne. Elle anime plusieurs groupes de travail interdisciplinaires et projets de recherches collectives sur la protection et la valorisation des données et la régulation des systèmes algorithmiques. Rapporteur dans l’avis de la CNCDH sur le suivi numérique des personnes, en date du 28 avril 2020, elle appelle tout d’abord notre attention sur le fait que n’ayant pas fait l’objet d’une saisine par les pouvoirs publics, la CNCDH s’est auto-saisie. Pour mémoire, fondée en 1947 sous l’impulsion de René Cassin, la CNCDH est l’institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme française. Indépendante, elle est accréditée de statut A par les Nations unies et sa principale mission est de conseiller les pouvoirs publics en matière de droits de l’homme. Elle précise que l’avis de la CNCDH fait suite à la Délibération n° 2020-046 du 24 avril 2020 portant avis sur un projet d’application mobile dénommée « StopCovid » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cette dernière avait été saisie par le Secrétaire d’État au numérique. Présidée par Marie-Laure Denis, la CNIL souligne dans la délibération précitée que le fait de collecter les listes des personnes que les individus ont fréquentées porte une forte atteinte au principe de la protection de la vie privée des personnes, garantie par la Constitution et d’autres textes de droit. La violation d’un principe constitutionnel ne peut se justifier que par la nécessité de répondre à un autre principe constitutionnel, la protection de la santé, inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946. D’autre part, le recours à des formes inédites de traitement des données peut en outre créer dans la population un phénomène d’accoutumance, propre à dégrader le niveau de protection de la vie privée. Enfin, la CNIL souligne que la conformité aux règles de protection des données à caractère personnel (dispositions du RGPD et de la loi « Informatique & Libertés ») est de nature à favoriser la confiance des utilisateurs de l’application. S’agissant de l’avis rendu par la CNCDH, Célia Zolynski indique qu’il pointe plusieurs risques d’atteinte disproportionnée aux droits et libertés pour une efficacité incertaine de l’application StopCovid. En effet, la seule conformité au RGPD (Règlement général de protection des données) n’équivaut pas à un respect des droits et libertés fondamentaux. Des atteintes notamment transversales peuvent être portées à la protection de la vie privée ainsi qu’aux libertés collectives et être source de discriminations, voire menacer la cohésion sociale. Le consentement libre et éclairé des citoyens sur lequel le fonctionnement de StopCovid reposerait, présente des conditions difficiles à réaliser. Il s’agit de collecter des données personnelles relatives à la santé. Des pressions familiales, professionnelles, sociales peuvent s’exercer sur l’individu afin qu’il se comporte en « citoyen responsable », altérant ainsi sa liberté de choix. Quant à l’efficacité de StopCovid par rapport à l’objectif recherché, à savoir la protection de la santé publique, elle est à ce jour incertaine, en raison notamment des limites de la technologie Bluetooth et de la fracture numérique, alors que les dangers et effets néfastes ne sauraient nous échapper ni les enjeux sociaux et sociétaux. Le recours aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle ne peut remplacer l’investissement dans une politique de santé ambitieuse et inclusive. En outre, l’indétermination de la durée d’application d’une mesure de suivi présentée comme exceptionnelle fait problème. Elle pose la question de l’effet cliquet. Aujourd’hui utilisée pour lutter contre la propagation du Covid-19, demain la même technologie peut être utilisée à d’autres fins. Enfin se pose la question de savoir si les conditions d’un vrai débat parlementaire pourront être réunies. Patrice Franceschi souligne que lorsqu’il s’agit de restriction des libertés et de contrôle, il serait illusoire de penser qu’un retour en arrière soit possible. Nous passons d’un état d’urgence à l’autre, sans en sortir. Il ne croit pas à l’effectivité de gardes fous évoqués pour rassurer l’opinion tels que des données anonymisées, agrégées (comme si elles ne pouvaient pas être croisées), consentement éclairé, etc. Si le projet StopCovid est adopté par les parlementaires, nous entrons dans un engrenage irréversible, dans l’ère de la société de surveillance généralisée. Redoutable mise en danger du modèle de société démocratique, qui, contrairement aux régimes autoritaires, repose sur la liberté, la confiance et la responsabilité de citoyens non infantilisés. La question qui se pose désormais est celle de savoir si nous sommes encore capables de penser et d’agir par nous-mêmes ou si nous acceptons d’être réduits à l’état passif de consommateurs. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour rester libres ? En d’autres termes, entre le Loup et le Chien dans la célèbre Fable de Jean de la Fontaine (I, 5), qui choisissons-nous ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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16 May 2020 | #31 – Le Brésil, son président et le Covid-19 | ||
En plateau :Hervé Théry, ancien directeur du département de géographie de l’École normale supérieure (ENS – Ulm), directeur de recherche émérite au Centre de recherche et de documentation des Amériques (CREDA), un laboratoire de recherche associant le CNRS et l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3. Professeur à l’Universitade de Sao Paulo et co-directeur de la revue « Confins ». Contexte :En octobre 2018, les Brésiliens ont élu à la présidence, Jair Bolsonaro, le chef du Rassemblement national. Il a pris ses fonctions en janvier 2019. La pandémie liée au Covid-19 sévissant actuellement au Brésil, comme ailleurs en Amérique latine, et dans le monde, représente le premier défi majeur auquel le nouveau président de la République est confronté. Comment celui qui a fait campagne en disant qu’il voulait incarner un pouvoir fort et efficace, représentant le peuple contre les élites, gère-t-il la première grave crise de son mandat ? Plutôt mal, observe Hervé Théry. À l’instar des chefs d’État de Biélorussie, du Tukménistan et du Nicaragua, il a choisi la politique de l’autruche. Dénier la crise sanitaire ou minimiser sa gravité. Coronasceptique, il a d’abord dit que c’était une petite grippe, qui ne lui faisait pas peur. Les gouverneurs des 27 États, mesurant davantage la gravité de la situation, ont néanmoins décrété le confinement de la population ainsi que la fermeture des commerces. Les conditions du confinement varient toutefois d’un État à l’autre. Sa mise en œuvre peut poser de vraies difficultés quand beaucoup de gens vivant dans la pauvreté sont obligés de sortir chaque jour pour gagner leur pain quotidien. L’arrêt de la circulation en ville et sur les principaux axes routiers est par exemple une catastrophe pour ceux qui profitaient des feux rouges pour vendre toutes sortes de choses aux automobilistes à l’arrêt. Les partisans du Président, de leur côté, manifestent contre le confinement, dans la capitale comme dans les autres États du Brésil, ne voulant pas sacrifier l’économie à la protection de la santé publique. Ils soutiennent leur Président, s’en prennent aux médias, aux « communistes » dans une ambiance de guerre froide, expriment leur rejet des institutions qu’ils accusent d’empêcher leur président de gouverner et de vouloir profiter de l’épidémie pour le destituer. Certains ont même demandé à l’armée de rétablir l’ordre public ! C’est une minorité certes, mais elle est bruyante, très présente sur les réseaux sociaux, et regroupe les mêmes personnes qui manifestaient en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff, ayant succédé au président Lula. Quel est l’état du système de santé brésilien, alors que le président Bolsonaro vient de se séparer de son deuxième ministre de la santé depuis la crise du Covid-19 ? Il faut distinguer le secteur public, universel, et le secteur privé, disposant à lui seul de la moitié des respirateurs et des lits en soins intensifs. A la faveur de cette crise, un débat se met en place afin de voir comment le secteur public pourrait bénéficier (voire réquisitionner) des moyens du secteur privé. Car la pandémie ici comme ailleurs accentuera certainement les inégalités entre les riches et les pauvres davantage touchés et précarisés, motif récurant du mécontentement social. Une prise de conscience de la nécessité d’investir davantage dans le système public de santé voit le jour au Brésil comme dans d’autres pays d’Amérique latine. Si Alejandro Gaviria, ancien ministre colombien de la santé et de la protection sociale de 2012 à 2018, pointant la diversité des capacités et compétences des systèmes de santé en Amérique latine, déclarait que « sur le même continent, on trouvait l’Europe et l’Afrique », il convient néanmoins de rappeler que l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), fondée en 1902, est la première organisation internationale en matière de santé et, toujours active aujourd’hui, elle s’efforce de renforcer la coopération des différents gouvernements entre eux. Hervé Théry préfère dire qu’au Brésil, en matière de santé comme dans d’autres domaines, on trouve à la fois la Suisse, le Pakistan et le Far West. Ailleurs, ce sont les « 3 B » qui ont fait l’élection de Bolsonaro à la présidence de la République. De quoi s’agit-il ? B comme bœuf. B comme Bible. B comme balles. Les éleveurs de bœufs dans les régions du front pionnier, les adeptes des cultes néo-pentecôtistes (ou évangéliques) et les partisans d’un libre usage des armes à feu, ont massivement voté pour Bolsonaro. S’agissant du premier « B », on notera que les éleveurs de troupeaux de bovins, se considérant comme des pionniers, présentent certaines ressemblances avec ceux du Far West américain de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. S’agissant du second « B », l’émergence et le développement des cultes néo-protestants, résulte historiquement de la condamnation de la théologie de la libération par le pape polonais Jean-Paul II, très marqué par son expérience à l’Est, anticommuniste et conservateur. Depuis son arrivée au pouvoir, le président a méthodiquement démonté le système de protection de l’environnement que le Brésil avait mis en place progressivement à partir de 1975 et notamment depuis la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de sommet de Rio, qui s’est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, du 5 au 30 juin 1992. On peut dire que la politique environnementale de Bolsonaro est une politique contraire à la protection de l’environnement : la courbe du défrichement et déboisement est repartie à la hausse et les incendies de juillet 2019 sont dans toutes les mémoires. Si le ministère de l’environnement n’a pas été supprimé, le président a placé à sa tête un individu qui, lorsqu’il avait été secrétaire d’État à l’environnement dans l’État de Sao Paulo, fut condamné pour crime écologique. Nul ne peut prédire comment la situation évoluera. Les prochaines échéances électorales sont les élections municipales, mais, au Brésil, il n’est pas besoin d’élection pour destituer un président et Jair Bolsonaro continue de bénéficier du soutien de larges secteurs de la société. En tout état de cause, comme le souligne Hervé Théry, le Brésil est un pays émergé, et non plus émergeant, avec de très nombreux atouts : vastes ressources agricoles et minières, fort potentiel hydro-électrique, énergie éolienne, solaire, biomasse, indépendance énergétique, population stabilisée et jeune, excellentes universités, etc. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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23 May 2020 | #32 – Félicien Kabuga, un procès attendu | ||
En plateau :
Marcel Kabanda et Jean-François Dupaquier, qui contribuèrent à l’ouvrage collectif, Rwanda, les médias du génocide, publié sous la direction de Jean-Pierre Chrétien chez Karthala en 1995, furent tous les deux sollicités par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), afin de rendre une expertise sur le rôle des médias dans le génocide (1990 – 1996). Contexte :Le 16 mai dernier, l’homme d’affaires Félicien Kabuga, aujourd’hui âgé de 84 ans, était arrêté en région parisienne. Recherché depuis plus de 25 ans par la justice internationale, visé par un mandat d’arrêt du TPIR émis en 1997 et celui du Mécanisme pour les tribunaux pénaux international (MPTP), la structure chargée d’achever notamment les travaux du TPIR, il pourrait être extradé aux Pays-Bas pour être jugé à La Haye. Il importe tout d’abord de respecter la présomption d’innocence à laquelle tout individu mis en cause a droit dans l’attente de son procès. Désormais arrêté, Félicien Kabuga est présumé innocent tant que la justice internationale ne l’aura pas jugé. D’où l’importance que se tienne son procès et celle du jugement qui sera rendu. Que sait-on de lui ? Où était-il au Rwanda durant le génocide et qu’y faisait-il ? L’homme présidait la Radio-Télévision libre des mille collines. Cette radio, qui a émis de juillet 1993 à juillet 1994, diffusait des appels aux meurtres de Tutsi, et était couramment appelée « Radio Machette ». Selon l’acte d’accusation du TPIR, il jouait également un rôle de premier plan dans le Fonds de défense nationale (FDN), ou fonds de défense civil, qui collectait des fonds destinés à financer la logistique et les armes des miliciens Hutu Interahamwe. Les milices Interahamwe, créées en 1992 par le parti du président Habyarimana, jouèrent un rôle de premier plan dans l’exécution du génocide dans les différentes régions du Rwanda. Félicien Kabuga est également accusé d’avoir utilisé sa société d’import-export pour faire entrer, depuis le Kenya au Rwanda, 581 tonnes de machettes durant l’année 1993. Il appartenait par ailleurs au cercle rapproché du président Juvénal Habyarimana. Quel bilan tirer de l’action du TPIR ? Combien de personnes purent-elles être jugées, combien furent acquittées ? Après une installation difficile, il convient toutefois de souligner que le TPIR fut le premier tribunal international à rendre des jugements contre des personnes présumées responsables de génocide sur le fondement des conventions de 1948 et 1949. Il est également le premier tribunal international à définir le viol en droit pénal international et le reconnaître comme un moyen de perpétrer le génocide. Enfin, il rendit une décision historique dans « l’affaire des médias », en étant la première juridiction internationale à déclarer coupables ceux des journalistes et membres des médias comparaissant devant le TPIR, d’avoir diffusé des programmes destinés à inciter le public à commettre des actes de génocide. Le 22 mai 2020, on apprenait que l’ancien ministre de la défense, Augustin Bizimana, autre fugitif recherché par la justice pénale internationale, était décédé en 2000 à Pointe-Noire au Congo, sans avoir été jugé. Loin d’être un simple fait divers ou de relever de l’acharnement judiciaire face à un homme aujourd’hui âgé et malade, l’arrestation de Félicien Kabuga autorise désormais la tenue de son procès dont l’enjeu est considérable. Il s’agit ni plus ni moins d’établir la vérité s’agissant de ses responsabilités et implications dans le génocide des Tutsi, un besoin vital pour les victimes et pour nous tous. Car, comme le rappelle l’ethnologue malien, Amadou Hampâté Bâ : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». À l’oreille :
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29 May 2020 | #33 – Le pentecôtisme au Brésil | ||
En plateau :Marion Aubrée, anthropologue et enseignante-chercheuse émérite à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Femme de terrain, elle observe depuis plus de 40 ans en Amérique latine, et en particulier au Brésil, l’importance de l’élément religieux dans la structuration des identités. Pionnière dans l’étude du pentecôtisme et néopentecôtisme au Brésil, elle étudie l’essor de ce mouvement religieux protestant né au début du XXème siècle aux États-Unis. Membre du comité de pilotage pour l’élaboration du Dictionnaire des faits religieux (PUF, 2019), elle en rédige plusieurs notices dont l’une sur le pentecôtisme. Contexte :Comme son nom l’indique, ce mouvement religieux issu du protestantisme accorde une place centrale au récit de la Pentecôte, célébrée 50 jours après Pâques, comme l’irruption de l’Esprit Saint sur les Apôtres. Elle représente un second Baptême, le commencement d’une vie nouvelle, une conversion personnelle. Annoncée par le Christ, la venue de l’Esprit Saint témoigne de la puissance de Dieu, de son action qui peut se manifester par des miracles, des guérisons, des dons tel que celui du « parler en langues » (glossolalie). Dans la Trinité chrétienne, l’Esprit Saint est la seule des trois figures ne faisant pas l’objet de représentation anthropomorphique. Il est souvent symbolisé par une colombe ou des langues de feu se posant sur les Apôtres. Le rapport à la Bible, central, ne suppose pas le détour par l’exégèse. Le pasteur, homme marié, est une figure charismatique, celui qui peut convaincre par la parole, convertir par son prêche, guérir les cœurs et les âmes, par exorcisme s’il le faut. Si le pentecôtisme s’est d’abord répandu dans les milieux urbains et parmi les populations les plus pauvres et fragilisées, c’est en partie dû au fait qu’il sait valoriser la subjectivité de l’individu précarisé, souder par l’émotion une communauté de personnes par ailleurs démunies, frappées par l’exclusion sociale ou paupérisées par l’exode rural et menacées d’anomie sociale. L’individu en quête d’un statut et de reconnaissance trouve une voie de salut en devenant pasteur, un moyen de gagner sa vie grâce aux dons des fidèles, ou en affirmant par la conversion son appartenance à une communauté d’élus. Si la religion catholique demeure majoritaire au Brésil, elle n’est désormais plus hégémonique et les pentecôtistes constituent les principaux acteurs des processus de transformation religieuse en cours. Ainsi, un joueur de football brésilien, portant l’effigie de Jésus sur son maillot de football, signale qu’il est pentecôtiste. Né aux Etats-Unis au début du XXème siècle, comment le pentecôtisme s’est-il développé au Brésil ? Par trois vagues successives, la dernière correspondant à ce qu’on a appelé l’avènement du néopentecôtisme remettant en cause l’iconoclasme, développant le télévangélisme, la théologie de la prospérité ainsi qu’une vision manichéenne du monde dans lequel les autres sont diabolisés, en particulier les cultes afro-brésiliens. Ces caractéristiques communes ne doivent toutefois pas occulter la grande diversité et multiplicité des églises se réclamant du pentecôtisme, leur fragmentation, même si certaines ont acquis un poids incontestable par rapport aux autres, par leur dynamisme, en investissant au fur et à mesure dans les médias, la politique, l’économie, au point de représenter désormais une puissance nationale et transnationale. Le succès du pentecôtisme pèse dans le débat politique et les grands débats sociétaux. Mouvement conservateur, qui ne s’est pas dressé contre la dictature et le régime des militaires de 1964 à 1985, mais s’en est accommodé comme expression de la volonté de Dieu, mouvement hostile à la place traditionnellement accordée au corps et à la sensualité au Brésil, mouvement opposé à l’avortement, au mariage pour tous, à l’adoption pour tous, même s’il a pu prendre des positions sociétales parfois plus libérales dans sa concurrence avec l’Eglise catholique. Une partie des classes moyennes a adhéré au néopentecôtisme et, ulcérée par les réformes sociales du parti des Travailleurs (PT) de Lula (Bolsa Familia, démocratisation du transport aérien et des vols intérieurs, etc.), a voté en faveur du président Jair Bolsonaro. Pour mémoire, deux ans avant les élections présidentielles, ce dernier s’est fait baptiser dans les eaux du Jourdain, en 2016, son second baptême (« born again »), quittant le catholicisme pour devenir néo-pentecôtiste. De nombreux observateurs ont noté qu’il devait son élection en octobre 2018 aux fameux « 3 B », le « B » de bœufs pour les éleveurs de bovins, le « B » de Bible pour les évangélistes dont les néo-pentecôtistes constituent plus des deux tiers et le « B » de balles pour désigner les partisans du libre usage des armes à feu, aucun « B » n’étant exclusif de l’autre. Le président Bolsonaro, toujours soutenu par des pans entiers de la société, mais de plus en plus critiqué par une partie des classes moyennes ayant voté pour lui, fera-t-il l’objet d’une destitution ? Cette procédure, qu’elle aboutisse ou non, pourrait-elle avoir un impact sur l’essor du néo-pentecôtisme au Brésil ? À l’oreille :
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05 Jun 2020 | #34 – Violences policières en France : la fin d’un tabou ? | ||
En plateau :Paul Rocher, économiste, diplômé de Sciences-Po Paris, auteur de Gazer, mutiler, soumettre, Politique de l’arme non létale, La Fabrique éditions, 2020. Contexte :Une minute de silence pour George Floyd, ce Noir américain de 46 ans, décédé des suites de son arrestation, le 25 mai dernier, à Minneapolis, aux États-Unis. Une minute de silence, qui s’est prolongée durant 8 mn et 46 secondes, le temps que dura la pression exercée sur son cou par le genou de l’officier de police qui l’avait plaqué au sol. 8 mn et 46 secondes durant lesquelles ses collègues présents laissent faire, malgré les cris de la foule et ceux de George Floyd : « I can’t breathe », « Je ne peux pas respirer ». La mort de George Floyd a suscité aux États-Unis et dans le monde une vague d’indignation et de colère face aux violences policières, face au racisme ou aux discriminations qui les caractérisent souvent, face à leur impunité, au-delà des cas particuliers. L’onde de choc ne cesse de se propager et la contestation ne faiblit pas. Si la France n’est pas les Etats-Unis, le tabou des violences policières est-il néanmoins ici aussi en train de voler en éclats ? Rassemblement historique le 2 juin à Paris, organisé par le comité Adama. Des milliers de personnes réunies devant le Tribunal judiciaire de Paris, demandent justice pour Adama Traoré, 4 ans après son décès dans la gendarmerie de Persan, le 19 juillet 2016. Depuis, partout en France, des rassemblements ont lieu pour demander la justice et la vérité. Le 4 juin, le comédien Omar Sy lance une pétition contre les discriminations et violences policières en France, qui recueille plus de 100 000 signatures en 24 heures. Appelant de ses vœux une « police digne de notre démocratie », il demande à tous d’avoir le courage de « dénoncer les violences policières » résultant d’un usage disproportionné et abusif de la force et touchant davantage certains de nos concitoyens. « Il n’y a qu’un seul camp, celui de la justice », souligne Omar Sy, et il est urgent que soit remis en cause « un système qui ne peut prétendre à la justice sans mettre fin à l’impunité organisée qui sévit depuis des décennies ». Sommes-nous à un tournant dans la lutte contre les violences policières ? Ces dernières ont valu à la France plusieurs condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour « enquête lacunaire et déficiente », pour « non-enquête », pour « atteinte à la dignité humaine », pour « négligence » dans la mort d’une personne interpelée, pour « violation substantielle du droit à la vie », pour « mauvais traitement » après interpellation. C’est la mort de Rémy Fraysse qui a sensibilisé Paul Rocher à la question des violences policières, le conduisant à une réflexion sur les armes non létales. Équipant les forces de maintien de l’ordre, les armes non létales ne sont pas supposées tuer ou infliger des blessures irréversibles. Présentées comme sans effets secondaires, elles permettraient de « neutraliser », en produisant des « effets incapacitants » ou « irritants ». Ainsi, une balle en caoutchouc ou en plastique, comme son nom l’indique, n’est pas une balle réelle, mais une « une arme de défense ». Est-elle pour autant sans danger pour celui qui la reçoit ? Quelle est la typologie des armes non létales ? Il y a celles qui reposent sur l’énergie cinétique (matraque, canon à eau, balles en caoutchouc et en plastique telles le LBD 40 ou la gamme Flash Ball, condamnée dès 2003 par Amnesty International). Il y a les armes chimiques (diffusion de substances irritantes telles que le gaz lacrymogène). Il y a les armes électriques, tel le pistolet à impulsion (Taser X26 condamné par le Comité des Nations-Unies contre la torture, par Amnesty International, par le Conseil d’État). Il y a encore les armes acoustiques (grenades assourdissantes et grenades de désencerclement), et les armes reposant sur la technologie optique (stroboscope) ou l’énergie dirigée (laser). Dans quelles conditions d’utilisation ces armes seraient-elles inoffensives ? Correspondent-elles aux conditions de déroulement non statique des manifestations ? Les formations nécessaires à leur emploi sont-elles par ailleurs adaptées ? En matière de gestion policière des manifestations, la doctrine a-t-elle évolué ces dernières années ? Tenir à distance les manifestants ? Aller à leur rencontre ? Qu’observe-t-on sur le terrain ? Le risque accru de blessures mutilantes, handicapantes, traumatisantes, voire mortelles n’a-t-il pas un effet dissuasif ou terrorisant sur les manifestants vivement incités ainsi à rester chez eux ? Les violences policières ne portent-elles pas atteinte à la liberté de manifester et celle de circuler librement dans l’espace public ? Car elles ne se produisent pas uniquement dans le cadre de manifestations, elles surviennent aussi lors de contrôles d’identité, et pendant ou après interpellations . En 2017, le défenseur des droits constatait la réalité sociologique des contrôles au faciès, pourtant interdits par la loi. Une personne ressentie comme noire ou arabe a 20 fois plus de « risques » de se faire contrôler par les forces de l’ordre qu’une autre. La peur de croiser sur sa route les forces de l’ordre, la peur de l’arbitraire, la peur des contrôles policiers pouvant entraîner la mort et qui visent certains citoyens plus que d’autres, ne constituent-elles pas de facto une rupture d’égalité et de traitement devant la loi protectrice de tous ses citoyens dans une République réputée indivisible ? Pour mémoire, en 1983, se déroulait en France, du 15 octobre au 3 décembre, la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Les organisateurs de cette marche antiraciste et pacifique, appelée aussi « la Marche des Beurs » avaient demandé, mais n’avaient pas obtenu, le droit de descendre l’avenue des Champs Élysées, à son arrivée à Paris. À l’oreille :
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12 Jun 2020 | #35 – Chacun sa route, chacun son chemin, son rêve et son destin… | ||
En plateau :David Le Breton, anthropologue et sociologue, professeur à l’Université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France (IUF) et chercheur au Laboratoire URA-CNRS « Cultures et Sociétés en Europe ». Spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain, il a notamment étudié les conduites à risques et co-dirigé le Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse (PUF, 2010). Marcher la vie. Un art tranquille du bonheur (Métailié, 2020) est le troisième livre de David Le Breton sur la marche, laquelle est devenue chemin faisant le fil conducteur de son œuvre, sinon de sa vie. En tout cas, il nous invite à découvrir, expérimenter, vivre la richesse et l’infinie potentialité de cette activité humaine. Bonne route ! Contexte :En rupture avec les exigences de rentabilité, d’efficacité et de rivalité, la marche à pied est sans doute l’une des expériences humaines qui rappellent ou incarnent, plus que d’autres encore, l’autonomie, la liberté inaliénable, l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Éloge de la lenteur face au stress des pressions et contraintes sociales. Loisir à chacun de décider de son rythme, de son allure, du tempo de la marche, de là où il pose ses pieds, des traces qu’il veut suivre, des chemins de traverse qu’il veut emprunter ou non, des empreintes qu’il veut laisser derrière lui. Sentiers battus, balisés, hors-piste, voie sacrée, voie royale, route des pèlerins, routes de la soie et des marchands d’autrefois, chemins qui ne mènent apparemment nulle part ou tous à Rome : le détour est parfois long pour advenir à soi-même, mais l’ancien nomade que nous fûmes défie le sédentaire que nous sommes devenus. Il traverse l’existence en quête d’un lieu où se poser ou reposer, d’un gîte avant de reprendre la route, le temps d’une halte, en quête de lui-même. Expérience spatio-temporelle par excellence, la marche est l’occasion de se perdre et de se retrouver, de se délester d’un fardeau trop lourd à porter ou au contraire du superflu, la possibilité d’oublier, de se libérer, de se remémorer, le fait d’être simplement aux aguets, à l’écoute de ses sens, de soi, de la nature, en communion avec le cosmos, de se réconcilier avec son corps, de dépasser le dualisme du corps et de l’esprit, ne plus faire qu’un avec son corps et sa tête. Alors marcher est-il le propre de l’homme ? Au même titre que le rire ? Platon définissant non sans humour dans Le Politique, l’homme comme « un bipède sans plumes », Aristote aimant enseigner en marchant, et dont les successeurs fonderont l’École péripatéticienne, Rousseau écrivant les Rêveries du promeneur solitaire, Giacometti sculptant L’homme qui marche, quelle piste ces penseurs, ces artistes, et bien d’autres écrivains encore, nous signalent-ils de façon récurrente ? N’appellent-ils pas notre attention sur l’homo caminans ? Ne nous invitent-ils pas à méditer sur les liens qu’entretiennent entre eux la marche, l’être et la pensée ? A quelles ressources j’accède par la médiation de la marche ? Marcher, c’est exister, éprouver l’intensité de l’être, c’est aussi penser par soi-même. Dans la singularité. Déambuler dans l’ordre qualitatif et dynamique du monde, établir, réviser ou revisiter ses rapports, ses attaches, ses relations avec soi et autrui. Il y a de multiples façons d’être présent au monde, comme il y a plusieurs façons de marcher. Mais, cela commence toujours par se redresser, défier la pesanteur, l’immobilité, la possibilité de dire non, de partir, de rêver ou de vouloir un autre monde, une autre existence. La possibilité de chercher et trouver sa voie, de choisir sa vie et ses compagnons de route. A tout moment. Car, il n’y a pas d’âge pour marcher. Ni pour l’échapper belle. La marche comme promesse. La marche comme guérison. Marcher pour ne pas perdre pied. Pour reprendre pied quand on est en rupture, quand on a le mal de vivre. Quand on n’a pas trouvé sa voie, quand on ne s’est pas trouvé, quand on a mal à son corps et à son cœur, quand on n’a rencontré que des portes closes, quand on a connu que des mots qui tuent, à la maison ou à l’école, et pas encore de mots qui sauvent, quand on est seul face à une carence éducative, quand on est rejeté, à la rue. La marche comme alternative à la prison, la marche comme une main tendue, la marche comme remède pour aider des jeunes et des adolescents en dérive et en grande détresse. Car chacun a sa place au soleil, chacun a sa chance, toutes les chances en lui. La marche comme une chance, la dernière ou la première. À l’oreille :
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26 Jun 2020 | #36 – Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie : le rapport 2019 de la CNCDH | 01:07:53 | |
En Plateau :
Contexte :Le 18 juin 2020, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, a publié son rapport annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. S’articulant autour de deux grands axes, le rapport a comme objectifs de comprendre le phénomène raciste en France, d’analyser l’action de tous les acteurs étatiques et non étatiques en matière de lutte contre le racisme, et de formuler des recommandations pour le prévenir et le combattre. Nonna Mayer, présente dans ses grandes lignes les conclusions de cette 29ème enquête de la CNCDH qui d’un point de vue méthodologique repose essentiellement sur des entretiens en face à face d’un échantillon représentatif de la population. Plus de trois quarts des Français adhèrent à la lutte contre le racisme. L’indice longitudinal de tolérance (ILT), en hausse constante depuis 2013, se stabilise en 2019 après avoir atteint son plus haut point en 2018. Le renouvellement générationnel et une population de plus en plus diplômée sont des facteurs explicatifs de cette évolution de la société où les normes antiracistes, antisémites, anti-xénophobes prévalent de plus en plus, et plus à gauche qu’à droite. Les questions d’ordre économique et social sont les premières préoccupations des Français, loin devant les questions d’immigration, de racisme et d’intégrisme religieux, qui sont au plus bas. Toutefois, les résultats encourageant sur l’état de l’opinion et les préjugés ne doivent pas faire oublier que le racisme lié à l’origine fait de nombreuses victimes. Il ne doit pas non plus faire oublier qu’il existe une hiérarchie dans les rejets d’autrui témoignant de préjugés particuliers à l’encontre de tel ou tel groupe ou minorité. Des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes sont victimes chaque jour de discriminations dans l’accès aux services publics, à l’éducation, au logement, dans le monde du travail, voire lors des contrôles d’identités et sur les réseaux sociaux. La CNCDH s’inquiète cette année encore de la persistance de préjugés et de discriminations fortes envers certaines minorités et tout particulièrement envers les Roms. Ainsi, le racisme au quotidien reste une préoccupation majeure et une réalité sous-estimée invitant à distinguer logique des opinions et logique des actes, comme en témoigne l’augmentation des actes racistes, à mettre en perspective avec le faible nombre de contentieux pour motif raciste. Depuis de nombreuses années, la CNCDH appelle chaque année les pouvoirs publics à remédier aux causes de la sous-déclaration des actes racistes par les victimes. La prévention et la déconstruction des préjugés dans tous les pans de la société doivent être privilégiés pour une lutte durable contre le racisme. Si la CNCDH est très attachée à une approche globale du racisme, elle tient aussi à souligner les formes spécifiques qu’il peut prendre selon les minorités concernées. Le focus sur le racisme anti-Noirs met en lumière des préjugés encore très actifs, souvent sous-estimés, et propose plusieurs recommandations pour les combattre. Le monde en questions consacrera prochainement une émission au racisme anti-Noirs. Célia Zolynski présente le second focus de ce rapport 2019, relatif à la haine sur Internet, laquelle a augmenté durant le confinement. Le racisme occupe une place importante dans les discours haineux en ligne qui se caractérisent en outre par leur dimension anonyme et virale : diffamations raciales, injures raciales ou incitations à la discrimination, à la haine ou à la violence publique. Lutter contre la haine en ligne est une nécessité et un enjeu social et sociétal. Depuis 2015, la CNCDH recommande à l’État français de se doter d’une autorité indépendante de régulation qui serait notamment chargée de prévenir, de répondre rapidement, et de manière adaptée, au discours de haine sur internet. Le 13 mai 2020, la loi visant à lutter contre la haine en ligne sur internet (dite loi Avia) a été adoptée par l’Assemblée nationale. En juillet 2019, la CNCDH avait émis un avis critique sur ce projet de loi qui visait entre autres à s’en remettre à des acteurs privés (Google, Facebook, Twitter, Snapchat, Youtube, etc.) pour effectuer eux-mêmes une censure des contenus haineux, leur donnant par conséquent un pouvoir non négligeable sur la liberté d’expression des utilisateurs sur leurs plateformes. Bien qu’inquiète en effet et consciente que la diffusion de messages à caractère haineux est favorisée par l’anonymat permis dans les réseaux sociaux, la CNCDH jugeait la loi inadéquate et disproportionnée avec des risques de censures non justifiées. Le 18 juin dernier, le Conseil constitutionnel, s’appuyant notamment sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précisant que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi »), retoquait la loi Avia devant entrer en vigueur au 1er juillet 2020. Le juge constitutionnel considère en effet qu’il existe un risque de surcensure si on laisse les réseaux sociaux se prononcer sur un contenu, sans l’intervention d’un juge. L’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans les 24h, sous peine de lourdes amendes, les contenus haineux qui leur sont signalés, aurait pu inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer des contenus signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Ce mécanisme prévu par la loi risquait ainsi de porter « une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ». On peut par ailleurs s’interroger sur la fiabilité des algorithmes en charge de détecter des contenus illégaux, en lieu et place du juge qui tient aussi compte du contexte pour qualifier et analyser le caractère licite ou illicite d’un propos. Tommaso Vitale intervient sur le racisme anti-rom qui apparaît dans le rapport 2019 comme la forme de racisme la plus banalisée et celle qui suscite le moins de réprobation. La haine à l’égard des « Roms », la plus grande minorité d’Europe, est largement sous-estimée par les médias et l’opinion publique. Méconnus, les « Roms » forment en réalité une mosaïque de minorités, avec des langues, des pratiques religieuses et des religions différentes. Leur présence en France et en Europe est parfois multiséculaire, parfois plus récente, antérieure ou postérieure à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, ou encore plus récente de quelques années ou de quelques mois. Ils représentent par conséquent des chaînes migratoires très différentes, et les plus pauvres parmi eux sont ceux qui sont au début de leur parcours migratoire et ne représentent guère plus qu’un « Rom » sur 20. Pourtant, ils forment la minorité la plus stigmatisée, la plus rejetée, et les préjugés et idées reçues à leur encontre sont nombreux et partagée par plus de la moitié de la population : « groupe à part, refusant de s’intégrer, nomade, contribuant à l’insécurité, vivant de vols et de trafics, exploitant les enfants ». A tel point que le plus grand nombre d’entre eux, ceux dont l’arrivée, l’installation et l’intégration en France est plus ancienne, cachent leur origine pour ne pas être victimes des discriminations et du racisme anti-Roms. Tommaso Vitale rappelle la vague d’agressions contre les Roms qui s’est produite en Ile de France en mars 2020. Trente-sept agressions physiques furent commises à la suite de fausses rumeurs portant sur l’enlèvement d’enfants, attribués à des personnes assimilées aux Roms. Le poids des préjugés envers les Roms était au cœur de ces événements, pour la CNCDH, dans la mesure où l’association implicite entre Roms, pauvreté et menace à la sécurité publique était au fondement des motivations des agresseurs. Il rappelle également que les Tsiganes ont fait l’objet d’une extermination par les nazis durant la Seconde guerre mondiale. La CNCDH recommande l’élaboration d’un plan d’action national contre le racisme anti-Roms qui serait inclus dans le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Le monde en questions consacrera également prochainement une émission au racisme anti-Roms.À l’oreille :
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26 Jun 2020 | #37 – Pas là pour plaire ! | ||
En plateau :Bettina Ghio, chercheuse et enseignante, spécialiste du rap hexagonal, auteure de Pas là pour plaire ! Portraits de rappeuses, éditions Le mot et le reste, 2020 Contexte :Le rap hexagonal est la musique la plus vendue et la plus écoutée en France, mais il est aussi mal-aimé, souffrant d’une réputation de musique grossière, violente, illettrée, sexiste. Si cette réputation notamment de misogynie est volontiers endossée par certains rappeurs, elle n’a pas peu contribué à invisibiliser la place des femmes dans le rap. Or, elles sont présentes dès le début de l’aventure et pas pour faire de la figuration ou seulement danser ! Bettina Ghio nous invite à prendre conscience de la place qu’elles occupent dans le rap français. Elles chantent, elles composent, elles ont le génie de l’écriture rap, elles soulignent le pouvoir performatif du verbe, elles maîtrisent le code de l’ego-trip. Leurs textes sont d’une grande richesse, et les rimes et sonorités vocales sont mises en valeur par un flow rapide et un jeu de paronomases. Ces rappeuses peuvent décontenancer non seulement parce qu’elles déconstruisent les attentes de comportements genrés et sexués, mais aussi parce qu’aucun des maux de notre société et de notre monde n’a échappé ou n’échappe à la captation de leurs mots. Qu’on se le dise, elles ne sont là ni pour plaire ni pour séduire ! Portrait de rappeuses :
Sensibilité féministe très présente dans le rap fait par des femmes:Écoutez la playlist de l’émission Pour aller plus loin :
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27 Jun 2020 | #38 – Adolescence et conduites à risques | ||
En plateau :David Le Breton, anthropologue et sociologue, professeur à l’Université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France (IUF) et chercheur au Laboratoire URA-CNRS « Cultures et Sociétés en Europe ». Spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain, il a notamment étudié les conduites à risques. Ses travaux sur l’adolescence bénéficient d’une notoriété internationale. Citons entre autres : En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie (Métailié, 2007) et le Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse (PUF, 2010) qu’il a codirigé avec Daniel Marcelli. Contexte :Si chaque enfant est un adulte en devenir et si chaque adulte est l’héritier de l’enfant qu’il fut, qu’est-ce qu’un adolescent ? David Le Breton observe que la notion d’adolescence est relativement récente dans nos sociétés, et elle s’est profondément modifiée ces quatre dernières décennies, désormais bordée d’un côté par la pré-adolescence et de l’autre par la post-adolescence. Sans compter l’apparition du néologisme « adulescence » résultant d’une contraction entre adulte et adolescent, pour décrire cet état supposé transitoire qui perdure néanmoins, dans un monde glorifiant le jeunisme, dans lequel aucun rite de passage ne marque l’entrée dans l’âge adulte et où les dimensions de transmission et de filiation sont affaiblies, les rapports entre générations ressemblant de plus en plus à une relation horizontale entre « pairs » (le père, copain du fils, la mère et la fille, deux sœurs), l’enfant restant souvent le dernier lien existant entre deux adultes qui, chacun de leur côté, refont leur vie. S’il y a des adolescents et des adolescentes qui parfois grandissent trop tôt ou au contraire refusent de grandir, l’adolescence en tout état de cause n’est pas une période facile : marquée par l’entrée dans la vie, l’entrée dans la sexualité et le besoin impérieux de trouver sa place dans le monde. Pour certains adolescents, c’est encore plus difficile que pour d’autres. La littérature (L’attrape-cœurs de J. D. Salinger, Les armoires vides ou Ce qu’ils disent ou Rien ou Les années d’Annie Ernaux, etc.) et le cinéma (La fureur de vivre de Nicolas Rey, West Side Story, comédie musicale adaptée au cinéma par Jérôme Robbins et Robert Wise, etc.) se sont d’ailleurs largement emparés du sujet. Quand un jeune a le sentiment de ne pas avoir sa place dans le monde, quand il n’est pas installé dans l’évidence d’exister, il peut adopter des « conduites à risques », expression relevant du vocabulaire de la santé, que le jeune ne vit pas comme telles, mais plutôt comme une tentative douloureuse de se mettre au monde. Il ou elle est dans une détresse psychologique, n’ayant pas acquis le sentiment que sa vie a un sens et une valeur. Il en résulte différentes sortes de comportements traduisant un mal de vivre. Ruptures sociales, toxicomanie, délinquance, scarifications, troubles alimentaires, démission identitaire. Les conduites à risques sont caractérisées par la probabilité non négligeable de se blesser ou mourir, de léser son avenir personnel, de mettre en péril sa santé. Conduites suicidaires qui sont néanmoins des tentatives d’accéder à soi, où le corps prend le relais de la parole qui ne parvient pas à formuler la tension en soi ou la détresse, causées par l’absence de sentiment de sa nécessité personnelle. Tentative de vivre. Le jeune se fait l’auteur de ses souffrances, pour devenir acteur et auteur de sa vie. Garçons et filles, dans les conduites à risques, diffèrent-ils ou non ? Quel faire ? Que dire ? Que faut-il surtout ne pas dire ? Quelles activités peuvent sauver de la détresse ? Quels mots peuvent sauver ? Faut-il pointer le fait que d’autres jeunes, ici et là, ailleurs, se comportent comme lui, comme elle ? Quelles sont les vertus du détour ? Qu’est-ce que la « mine de rien » attitude ? À l’oreille :
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03 Jul 2020 | #39 – Night Fever : retour sur la fabuleuse histoire du disco ! | ||
En plateau :Belkacem Meziane, musicien professionnel, conférencier, chroniqueur pour Soul Bag et New Morning Radio et auteur de Night Fever, 100 hits qui ont fait le disco, paru aux éditions Le mot et le reste (2020). Contexte :New York, 1974. Les communautés gay, noire et latine se côtoient et se mélangent sur les dancefloors du Loft, du Continental Baths ou de la Gallery. Ces nouveaux temples de la nuit appelés « discothèques », ne sont pas seulement des lieux de libération sexuelle et des paradis artificiels, les DJ y sont rois, faisant danser, chaque week-end, sur de la soul, du funk ou des raretés afros et latines, une foule venue oublier les tourments d’une époque en pleine crise économique et existentielle. Chocs pétroliers de 1973 et 1979, fin des Trente Glorieuses, crise économique et sociale, scandale du Watergate, séquelles de la guerre du Vietnam, etc. Une époque qui n’en a pas encore fini avec la ségrégation raciale et où l’homosexualité ne peut s’afficher publiquement. Une époque qui devient aussi plus individualiste, où l’on danse pour oublier. Dans Night Fever, Belkacem Meziane revient sur les origines, l’âge d’or et l’héritage du disco, qui reste encore aujourd’hui l’essence profonde de ce qu’on appelle la dance music. Il rappelle que le concept de discothèque est né en France, en Allemagne et en Angleterre et s’exporte aux États-Unis dans les années 60. Il replace le disco dans son héritage soul, funk, gospel primordial, et le confronte aux différentes sensibilités qui le font grandir pour devenir un style à part entière. Il souligne le rôle des producteurs, dont quelques-uns de génie, eux-mêmes musiciens, dans l’émergence du disco, une musique conçue en studio, faite d’arrangements, avec la participation de musiciens chevronnés. Entre 1974 et 1979, le phénomène disco envahit le monde entier et va changer le cours de l’histoire de la musique. La piste de danse devient alors le lieu emblématique où s’affirme l’impact musical et artistique du disco mais aussi où se retrouvent et s’expriment des minorités victimes au quotidien de discriminations, avant que leurs combats pour l’égalité des droits ne deviennent des enjeux sociétaux majeurs et des luttes mobilisant la société civile. A cet égard, qu’on aime ou non le disco, et quelles qu’aient pu être par ailleurs les dérives commerciales du genre, on n’oubliera pas que la haine du disco (cf. notamment l’autodafé lors de la Disco Demolition Night) fut aussi motivée par l’homophobie et le racisme envers les Noirs, les Latinos et les Italiens. À l’oreille :
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24 Jul 2020 | #40 – Sahel : vers l’embrasement généralisé ? | ||
En plateau :Elie TENENBAUM, chercheur au Centre des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste des relations internationales et de sécurité internationale. Il travaille en particulier sur la guerre irrégulière, sur la problématique des interventions militaires et des opérations extérieures. Il est l’auteur de Partisans et centurions, une histoire de la guerre irrégulière au XXème siècle (Perrin). Qu’est-ce que le Sahel ?Le Sahel (de l’arabe سَاحل sâhil qui veut dire rivage ou côte), désigne une bande de l’Afrique marquant la transition, à la fois floristique et climatique, entre le domaine saharien au nord et les savanes du domaine soudanien, où les pluies sont substantielles, au sud. D’ouest en est, il s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge. Dans sa définition la plus extensive, le Sahel comprend tous les territoires bordant le Sahara: il y a donc un Sahel septentrional et un Sahel méridional. C’est ce dernier qui est cependant désigné quand on ne lui ajoute pas de qualificatif. Contexte :Dans cette région de l’Afrique de l’Ouest qui fut le théâtre de la plus grave crise alimentaire au monde, l’insécurité alimentaire persiste, aggravée récemment par la pandémie liée au Covid-19 (surnommé « le virus de la faim »), la fermeture des frontières et des marchés, celle des principaux lieux de fréquentation ainsi que la limitation des déplacements ayant accentué les difficultés d’accès à l’alimentation pour les populations, mais aussi au fourrage et à l’eau pour les cheptels des éleveurs. L’accélération du réchauffement climatique (1,5 fois plus rapide que la moyenne mondiale) contribue à la dégradation de la situation et renforce la menace de famine en raison de la désertification. A cela s’ajoute des problèmes de gouvernance et de corruption non résolus touchant les états locaux fragilisés par les violences djihadistes et les violences intercommunautaires en pleine recrudescence et gravement préoccupantes. Si la montée de l’insécurité au Sahel a provoqué de la part de la France, de l’Union européenne et de la communauté internationale une prise de conscience de la nécessité de développer et sécuriser ces régions septentrionales, l’absence de conditionnalité des aides n’a pas produit les résultats escomptés. Il y a 7 ans, l’armée française avait été accueillie au Mali avec des fleurs pour avoir délogé les djihadistes ayant accaparé le nord du pays. Ces derniers ont depuis regagné du terrain au nord et au centre et ils restent en capacité d’infliger des défaites. La mort d’Abdemalek Droukdel, chef de l’Aqmi, tué par l’armée française, le 3 juin dernier, n’a pas mis fin à l’extension des zones djihadistes dans la région. Iyad Ag Ghali, originaire de Kidal, membre de la tribu touareg des Ifoghas, ancien bassiste du groupe de blues touareg Tinariwen, formé ensuite aux armes en Lybie, ex-fondateur d’Ansar ed-Din, aujourd’hui à la tête du GSIM (Groupe pour le Soutien de l’Islam et des Musulmans) est désormais le représentant au Sahel d’Aman Zawahiri, chef d’Al-Qaïda. Comment éviter dès lors le piège d’une guerre sans fin qui serait tendu à la France et à l’Europe ? Comment sortir de l’impasse stratégique ? Au Mali, la contestation de la rue a démarré le 5 juin 2020 et les manifestants demandent désormais la démission du président Ibrahim Boubakar Keita (IBK) qui a organisé des élections législatives controversées en pleine pandémie (les 19 mars et 29 avril 2020), n’a pas tenu les promesses de réformes de gouvernance ni redonné au pays sa fierté, fut incapable de faire la paix, de construire une armée et un système sécuritaire efficaces et d’offrir des perspectives économiques et sociales à la population. Cette dernière est aussi excédée par l’absence de sanction des exactions et assassinats extra-judiciaires commis par les militaires ou les milices progouvernementales (ayant pour notable conséquence de faciliter le recrutement de nouveaux djihadistes, et notamment des adolescents), qui ne font qu’accroitre les exactions des islamistes en alimentant la spirale infernale. L’imam Mahmoud Dicko, ce leader religieux très conservateur qui fédère les opposants maliens regroupés dans le M5-RFP (Mouvement du 5 juin et Rassemblement des forces patriotiques), qui est capable de mobiliser contre la corruption du régime et son échec sécuritaire, qui a désormais minoré ses critiques vis-à-vis de la France, représente-t-il une possible sortie de crise au Mali ? Quel impact sur la stabilité du Sahel ? À l’oreille :
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31 Jul 2020 | #41 – Le Rassemblement national en France aujourd’hui : état des lieux | ||
En plateau :Nonna Mayer, sociologue, chercheuse en sciences politiques au Centre d’études européennes et de politique comparée à l’UMR Sciences-Po/CNRS, spécialiste du comportement électoral. Contexte :Quel bilan dresser au lendemain du deuxième tour des élections municipales de juin 2020 dans lequel le Rassemblement national (RN), anciennement Front national (FN), a obtenu des résultats en demi-teinte ? S’il garde l’essentiel des villes conquises, s’il a gagné la ville de Perpignan, le RN n’a pas progressé. Il présentait moins de candidats, alors qu’il a besoin d’élus locaux pour prouver sa capacité à gérer des villes de plus en plus grande importance, et renforcer sa crédibilité dans une stratégie de conquête du pouvoir. Alors que le RN se voyait encore volontiers sur un schéma de 2017, comme l’unique et seul opposant au candidat Emmanuel Macron, au second tour des élections présidentielles de 2022, la percée des écologistes aux dernières municipales (juin 2020) vient compliquer la donne. Si pendant longtemps, et à bien des égards, la formation politique de Jean-Marie Le Pen joua un rôle précurseur en Europe, incarnant un modèle à imiter pour les droites radicales populistes émergentes en Union européenne, demeure-t-il emblématique des droites radicales se multipliant en Europe ? On observe que chacune d’entre elles, outre leurs spécificités respectives, est jalouse de son indépendance vis-à-vis des autres, voire garde ses distances vis-à-vis du RN, donnant à penser, dans ce dernier cas, que le processus de dédiabolisation a davantage fonctionné à l’intérieur des frontières de la France qu’à l’extérieur. Qui vote RN aujourd’hui en France ? Quel est l’électorat de ce parti nativiste et ethnocentriste, adepte de la préférence nationale, qui ne dédaigne pas le recours à un discours populiste simplificateur ? Qu’est-ce que le « Radical Right Gender Gap » (RRGG), expression forgée par la chercheuse américaine Terri Givens, pour désigner le phénomène observé chez les droites radicales populistes, et en particulier en France, selon lequel le genre était avec le diplôme le facteur le plus prédictif d’un vote en faveur du RN : les femmes ne votaient pas ou votaient peu pour le FN, et, d’autre part, plus les individus étaient diplômés, moins ils avaient tendance à voter pour cette formation politique. Or, si effectivement pendant longtemps l’électorat de Le Pen fut majoritairement masculin, ce n’est plus le cas depuis les élections présidentielles de 2012. Comment s’explique ce fait qui se confirma en 2017 ? La 29ème édition du rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, publié le 18 juin 2020 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), montre que plus de trois quarts des Français adhèrent à la lutte contre le racisme. L’indice longitudinal de tolérance (ILT), en hausse constante depuis 2013, se stabilise en 2019 après avoir atteint son plus haut point en 2018. Le renouvellement générationnel et une population de plus en plus diplômée sont des facteurs explicatifs de cette évolution de la société où les normes antiracistes, antisémites, anti-xénophobes prévalent de plus en plus. Les questions d’ordre économique et social sont les premières préoccupations des Français, loin devant les questions d’immigration, de racisme et d’intégrisme religieux, qui sont au plus bas. Toutefois, si l’indice de tolérance est bon, il reste un noyau de gens racistes. Nonna Mayer qui a contribué à ce rapport de la CNCDH, souligne que les enquêtes et les interviews révèlent que plus on se situe sur la gauche de l’échiquier politique, plus l’indice longitudinal de tolérance est élevé, et inversement plus on se situe sur la droite de l’échiquier politique, plus s’exprime un rejet des autres. Ce qui indirectement témoigne de l’existence et de la persistance d’un clivage droite/gauche. À l’oreille :
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10 Aug 2020 | #42 – Musiques du monde arabe | ||
En plateau :Coline Houssais, journaliste et chercheuse indépendante, spécialisée sur les cultures du monde arabe, enseignante au campus Moyen-Orient Méditerranée de Sciences Po. Auteure de Musiques du monde arabe. Une anthologie en 100 artistes, un livre publié en 2020 aux éditions Le Mot et le Reste. Une anthologie novatrice des musiques enregistrées du monde arabe, déclinées sur cent artistes et vingt pays. Contexte :Le monde arabe fait-il nation en musique ? Quel lien existe-t-il entre les rythmes à danser des montagnes et des plaines et les mélodies des salons de musique ? Quels points communs entre le chanteur kabyle Idir, le groupe de rock indie libanais Mashrou’ Leila et le chanteur saoudien Mohammed Abdo par qui les rythmes lancinants des déserts de la péninsule arabique furent diffusés à grande échelle dans le monde arabe ? En quoi les musiques écoutées, dans un ensemble aussi vaste et varié que le monde arabe, participent-elles d’un corpus commun qui justifierait une approche globale mêlant pays, genres, langues et publics ? En quoi ces musiques sont aussi des musiques de leur temps ? Peut-on parler d’une expérience collective transcendant générations, milieux sociaux, frontières et nationalités ? Dessinant une riche cartographie musicale, entre traditions et réinterprétation pop, Coline Houssais nous invite à voyager dans le temps et l’espace à travers une déambulation sonore inédite. À l’oreille :
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13 Nov 2020 | #44 – Le revenu universel d’existence : vers un nouveau contrat social ? | 01:06:33 | |
En plateau (virtuel) :Benoit Hamon est de retour dans le débat public en publiant Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel, aux éditions des Équateurs. L’ancien candidat à l’élection présidentielle de mai 2017, après avoir quitté le PS en juillet 2017, avait en effet pris la décision de faire une pause, à la suite des élections européennes de mai 2019 et le résultat décevant de la liste Génération.s qu’il conduisait. Contexte :Après dix-huit mois de retrait de la vie politique, Benoît Hamon reprend dans son livre, en la développant, l’idée phare de son programme présidentiel de 2017, le revenu universel d’existence. Avec la conviction qu’il faut une « pensée de justice sociale ». Qu’un changement civilisationnel est nécessaire au même titre qu’une transition écologique et énergétique radicale. Que la gauche doit renouer avec le grand récit émancipateur qui fut le sien. Et que le revenu universel sera la grande conquête sociale du XXIème siècle. Son livre, nourri de lectures, argumente, démontre, veut vaincre les réticences et propose un nouveau projet de société. Souhaitant contribuer au rassemblement de la gauche, sans lequel elle risque d’être, en 2022, une fois de plus absente du second tour de l’élection présidentielle, il expose en quoi le revenu universel d’existence est un instrument de justice de nature à éradiquer la pauvreté, alors que les mutations du monde du travail ne cessent d’accroître la précarité sociale et économique des hommes et des femmes, renforcée par l’actuelle pandémie. En quoi la mise en œuvre du revenu universel d’existence (RUE) et la promotion de l’écologie sociale sont-elles les réponses aux crises multiples (sociale, économique, sanitaire, politique et morale) que nous traversons ? Principe de pré-distribution des richesses à la création desquelles les générations antérieures ont contribué, le revenu inconditionnel versé à tous dès la naissance permettrait de réparer les injustices causées par les inégalités, mais serait aussi un outil incomparable d’émancipation. En libérant chacun de la dépendance exclusive au revenu qu’il tire de son emploi, il donne une capacité de négociation et de choix à chaque individu. Il donne plus d’autonomie et de liberté à chaque citoyen et modifie substantiellement son regard sur le travail, en le dissociant de l’emploi. Quelles seraient les principales étapes de sa mise en œuvre ? Au rebours des discours anxiogènes et dystopiques foisonnant, Benoît Hamon appelle « à dissiper les ombres et redécouvrir l’horizon d’une vie bonne ». La création de la Sécurité sociale, l’une des mesures emblématiques du programme du Conseil national de la Résistance, ne se fit-elle pas dans les ruines, la destruction et le désastre de la Seconde guerre mondiale ? Programme courageux, en faveur d’un monde meilleur. D’une portée révolutionnaire incontestable, le RUE entend libérer les individus de la « cage de fer » consumériste, productiviste et capitaliste, et réenchanter l’avenir en réinventant l’économie sociale et solidaire. Il pose les jalons d’un nouveau contrat social. À l’oreille :
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22 Nov 2020 | #45 – Guérilla, guerre révolutionnaire et reflux occidental: retour sur 50 ans d’histoire contemporaine | 01:14:42 | |
En plateau :Gérard Chaliand, géopoliticien et stratège, auteur du premier Atlas géopolitique paraissant en France en 1983, est un observateur engagé des conflits irréguliers depuis plus d’un demi-siècle. Il publie aujourd’hui Des guérillas au reflux de l’Occident aux Éditions Passés/Composés. Contexte :Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, nombre de mutations d’ordre politique, stratégique, psychologique et démographique se sont produites dont le traitement de l’actualité ne rend pas nécessairement compte au jour le jour, et dont l’intelligibilité ne devient manifeste que rétrospectivement, quand le temps long de l’histoire et celui de l’analyse reprennent le dessus. Gérard Chaliand rappelle comment Mao Zedong parvient à la prise du pouvoir en Chine en se servant de la tactique millénaire de la guérilla (utilisée par des forces irrégulières, fondée sur la surprise, la mobilité et le harcèlement, destinée à affaiblir une armée régulière), mais en se faisant le théoricien de la guerre révolutionnaire. Si Clausewitz avait écrit et enseigné que la guérilla en soi ne permettait pas de l’emporter sur l’ennemi, sa transformation en guerre révolutionnaire change la donne. L’adaptation des techniques de la guérilla à la conquête du pouvoir suppose néanmoins un travail politique auprès des populations qu’il faut gagner à sa cause ou dont il faut obtenir le soutien, pour pouvoir les mobiliser et les organiser. Il s’agit avec le temps, la persévérance et la détermination, de transformer sa faiblesse en force. Le Vietnam retient la leçon et adopte à son tour la guerre révolutionnaire aussi bien pour lutter contre la France pour son indépendance que plus tard contre les États-Unis d’Amérique pour sa réunification. Avec l’invention du modèle organisationnel de la guerre révolutionnaire, les peuples mirent en échec les puissances coloniales ou impérialistes, ont conquis l’indépendance qu’on leur refusait ou n’octroyait pas. L’idéologie, quant à elle, a varié, au fil du temps, pouvant être socialiste, marxiste-léniniste, maoïste, nationaliste ou religieuse. Or, confrontés à ce type de guerre révolutionnaire, les Occidentaux ne sont plus en mesure de gagner ou ne connaissent que des non-victoires. Depuis la guerre américaine du Vietnam, c’est à cette réalité nouvelle que nous sommes confrontés. Gérard Chaliand s’interroge sur les causes, les facteurs, et la portée de ce reflux, longtemps masqué par la représentation d’une Amérique surpuissante ou hyperpuissante. L’Europe s’est-elle jamais remise des deux guerres mondiales qu’elle a connues sur son territoire ? Son incapacité à se transformer en puissance politique sinon géopolitique n’est-elle pas le signe d’un avenir hypothéqué depuis longtemps ? Est-il trop tard, oui ou non, pour agir ou réagir ? Silencieuse ou impuissante, l’Europe est absente ou tenue à l’écart ; et quand elle est présente, elle ne peut seule se maintenir sur les terrains opérationnels où elle s’est engagée, en cas de retrait américain. Dans de nombreux endroits dans le monde, acteurs américains et européens sont désormais hors-jeu, comme on vient de le constater récemment dans le Sud-Caucase. À l’oreille :
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27 Nov 2020 | #46 – Beyrouth 2020 – Journal d’un effondrement par Charif Majdalani | 01:02:57 | |
En plateau :Charif Majdalani, écrivain libanais et professeur à l’université Saint-Joseph à Beyrouth, publie Beyrouth 2020. Journal d’un effondrement, aux éditions Actes Sud. Il a reçu le Prix Femina – Prix Spécial du Jury 2020, pour ce livre, le 2 novembre dernier. Contexte :Auteur de 7 romans, Charif Majdalani entreprend l’écriture d’un carnet de bord aux premiers jours du mois de juillet 2020. C’est un récit à la fois intime et politique. Un journal. La situation désastreuse que connaît le Liban, frappé par une crise économique et sociale, redoublée d’une crise morale et politique, ne semble plus pouvoir se prêter à la fiction romanesque. Le style concis, sa puissance évocatrice, les anecdotes et les traits d’humour sont toujours là, mais écrire différemment, au jour le jour, en suivant le rythme calendaire, permet de tenir à distance et contenir l’effondrement lent et méthodique que poursuit dans sa chute le pays en lequel, jadis, certains voulaient voir la Suisse du Moyen Orient. Charif Majdalani témoigne. En spectateur engagé. Le Liban est devenu le troisième pays le plus endetté du monde, il traverse la pire crise économique de son histoire, la monnaie a perdu six fois sa valeur en six mois, rien ne semble pouvoir arrêter la dépréciation de la livre, la chute des salaires. Rien ne semble pouvoir arrêter l’inexorable descente aux enfers d’un pays étranglé par la faillite de l’État clientéliste, miné par la corruption de sa classe politique. Pas même le mouvement de contestation civile, le sursaut insurrectionnel secouant le pays depuis octobre 2019, depuis presqu’un an déjà. Et, pourtant, malgré tout, la vie semble continuer dans la torpeur de ce mois de juillet 2020. Beyrouth vit la nuit presque aussi intensément qu’auparavant, entre débats et désinvolture, puisant une énergie venue de nulle part, et à nulle autre pareille. Et chaque matin, le soleil continue de se lever. Et puis soudain, tout bascule, tout s’accélère. L’explosion du 4 août, à 18h07. Cinq secondes apocalyptiques, qui détruisirent le port de Beyrouth et les quartiers environnants. 2750 tonnes de nitrate terrassèrent la capitale d’un pays s’apprêtant à fêter son centenaire. La violence de l’explosion fait écho à la violence jalonnant l’histoire de ce jeune État. Tout est bousculé, à l’arrêt, les jours ne succèdent plus aux jours, il n’y a plus qu’un seul temps, celui de la rage et de la colère, celui de l’urgence poussant les citoyens à s’entraider, se consoler mutuellement, face à l’incurie des dirigeants. Un élan de solidarité comme une lueur d’espoir et le refus de la fatalité. Partir ? Rester ? Rester debout. Faire face. Dos au mur. Sortir du déni pour inventer et bâtir la réalité de demain. Est-ce encore possible ? Simplement concevable ou bien réalisable ? À l’oreille :
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20 Nov 2020 | #47 – Beata Umubyeyi Mairesse : l’écriture et la parole pour faire face à l’indifférence | 01:10:01 | |
En plateau :L’écrivaine Beata Umubyeyi Mairesse, auteure d’un premier roman salué par la critique, Tous tes enfants dispersés (Autrement, 2019), livre quelques-unes de ses réflexions sur le rôle de la littérature, patrie de la liberté, à l’occasion de la republication, à l’automne 2020, de ses recueils de nouvelles, Ejo suivi de Lézardes, et autres nouvelles aux éditions Autrement. Contexte :Fille unique, issue d’un mariage mixte. Blanche par son père. Noire par sa mère. Enfant passionnée de lecture. Née à Butare, la grande ville universitaire du sud du Rwanda. Langue maternelle, le kinyarwanda, mais scolarisée dès son plus jeune âge à l’École internationale belge de sa ville natale où elle reçoit un enseignement en français. Condamnée à mort en avril 1994, comme sa mère et les siens, parce que Tutsi, Beata Umubyeyi Mairesse échappe aux machettes et aux gourdins en se cachant, et en se faisant passer pour Française en traversant la frontière avec le Burundi voisin. Elle arrive en France à la fin du mois de juillet 1994, où elle finit ses études et réside depuis. Survivante, elle mesure mieux que quiconque, comme chaque rescapé du génocide des Tutsi au Rwanda, comme tout rescapé d’une entreprise d’extermination, ce que cela veut dire. Elle appréhende néanmoins le statut de survivante qui lui colle désormais à la peau, non pas qu’elle le récuse, mais elle se méfie viscéralement de toute visée simplificatrice, de toute étiquette dont on affuble l’autre, pour mieux maîtriser son étrangeté, son altérité. Car elle y voit potentiellement un encouragement à refermer précipitamment un livre, plutôt que de l’ouvrir, une invitation opportune à rester dans sa propre zone de confort, d’où prolifèrent l’indifférence, l’aveuglement, la surdité. Beata Umubyeyi Mairesse a donc pris le parti d’écrire, d’écrire de la fiction plutôt que de témoigner directement, et ses livres sont traversés par la question de la pluralité des identités. Identités assignées, identités voulues, identités assumées. Que faire de données pour ainsi dire initiales, reçues en partage, héritées sans testament ? Comment chacun construit sa vie en cheminant seul ou avec d’autres pour parvenir à une forme d’apaisement ? L’inaliénable liberté de tout être humain ne réside-t-elle dans la possibilité de choisir, de réfléchir ses identités et de travailler sur elles, plutôt que de les subir par la force, la violence, ou le simple regard discriminant des autres et dépourvu d’empathie ? De quels fils conducteurs et bigarrés est tissée l’œuvre de Beata Umebyeyi Mairesse ? Si elle a choisi la fiction romanesque, c’est pour désenclaver le débat, accéder à l’universel par la singularité de ses personnages, femmes, enfants, mères, fils. En se mettant à la place du lecteur, en l’accompagnant en douceur jusqu’aux bords du gouffre que sont les existences des survivants. Elle y parvient en empruntant au genre littéraire de la nouvelle toute sa force elliptique et sa puissance de suggestion. Non pas tant parce qu’il n’est pas possible ou besoin de tout dire, que parce qu’il est difficile de tout entendre, ou de supporter bien longtemps le récit de l’insoutenable. Sans doute aussi le choix de la nouvelle correspond-il à un pari qu’elle fait, une fois encore en se mettant à la place des autres, de ses lecteurs notamment auxquels elle voue une immense attention : les voies sont multiples pour sortir du tropisme de l’indifférence. On ne sait jamais d’avance comment se produira le déclic, ce miracle de l’écriture et ce miracle de la lecture, faisant passer le lecteur de l’absence d’empathie à la sympathie, à l’émotion d’un partage avec l’auteur et à la conscience d’une commune appartenance au genre humain. Pourquoi la nouvelle n’est-elle pas qu’un galop d’essai dans le parcours littéraire de Beata Umubyeyi Mairesse ? Pourquoi, même en écrivant des romans, elle ne renonce pas à ce genre littéraire ? Peut-être parce que c’est la façon qu’a l’écrivaine de rester ainsi dans la proximité du kinyarwanda, qu’elle ne maîtrise plus aussi bien qu’auparavant, mais dont elle a conservé la richesse d’une langue métaphorique, concise, poétique, sa part inaltérable d’oraliture faisant irruption dans le texte français, comme ce mot « Ejo », titre de son premier recueil de nouvelles, signifiant à la fois « hier » et « demain ». Et enfin, comment ne pas si demander si la nouvelle n’est pas la façon la plus percutante de dire la complexité du réel, que l’unité ne s’élabore qu’à partir d’une multiplicité ; que , loin de détruire cette dernière, elle la fortifie ; qu’au discours de haine stigmatisant, simplificateur, réducteur, il faut opposer partout et toujours la pluralité des récits et des voix, fragments de vie, rappelant l’interdiction de tuer, de toucher à l’intégrité physique et morale de tout être humain ? À l’oreille :
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04 Dec 2020 | #48 – Contournements successifs des processus démocratiques en France : quels impacts sur l’État de droit ? | 00:59:34 | |
En plateau (virtuel) :
Contexte :Créée en 1947, sous l’impulsion de René Cassin, la CNCDH est l’institution nationale de promotion et protection des droits de l’homme française, accréditée de statut A par les Nations unies. Elle est le rapporteur national indépendant sur la lutte contre toutes les formes de racisme depuis 1990, sur la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains depuis 2014, sur la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’Homme depuis 2017, et sur la lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBTI depuis avril 2018. Composée d’experts et de représentants d’organisations non-gouvernementales issues de la société civile, telle que la Ligue des Droits de l’Homme et Amnesty International France, la CNCDH rend des avis et fait des déclarations sur les sujets relevant de ses champs de compétences, lorsque des projets de loi ou des mesures gouvernementale portent ou sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés fondamentales des citoyens, aux principes constitutionnels et au bon fonctionnement des institutions démocratiques. Michel Tubiana et Jean-Claude Samouiller, deux grandes figures militant depuis de nombreuses années pour la défense des droits de l’Homme, regrettent que la Commission n’ait pas été une fois de plus saisie par les pouvoirs publics, ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’user de son droit à l’auto-saisine. C’est ce qu’elle a fait, le 26 novembre 2020, en rendant un avis sur la proposition de loi relative à la sécurité globale (et dont Michel Tubiana fut le rapporteur), ainsi qu’en faisant une déclaration sur l’état d’urgence sanitaire (dont Jean-Claude Samouiller fut le rapporteur). En quoi la proposition de loi relative à la sécurité globale, examinée présentement par le Sénat, alarme la CNCDH ?Ce texte redessine de manière préoccupante les contours d’une nouvelle « donne sécuritaire », sans consultation préalable, et porte atteinte à de nombreux droits fondamentaux. Il est créateur d’une insécurité juridique et de risques d’arbitraire, en élargissant (à titre expérimental, sur certaines parties du territoire national) les compétences régaliennes de la police nationale à la police municipale ainsi qu’aux agents de sécurité privée, qui seraient en outre désormais dispensés de toute habilitation et agrément par l’État. Si la mobilisation massive des organisations syndicales des journalistes et de l’opinion publique, ont contraint le pouvoir à revoir sa copie concernant la modification de l’article 24, pour autant cela n’atténue pas les craintes qu’il suscite. En effet, combiné au nouveau Schéma national de maintien de l’ordre, il remet en question une conception transparente et contrôlable de l’usage de la force dans une démocratie, et constitue une atteinte potentielle à l’exercice du droit à l’information ainsi qu’aux droits des victimes de violences policières. Enfin Michel Tubiana souligne que la CNCDH s’inquiète du recours massif aux dispositifs de surveillance aéroportée (drones), aux technologies issues de l’intelligence artificielle, à des fins de dissuasion et d’intimidation, ce qui ne peut que contribuer à accroître la méfiance et la défiance dans un contexte de relations dégradées entre la police et les citoyens. L’absence de débat démocratique sur l’emploi de telles technologies et leurs conséquences sur les libertés fondamentales est une source d’inquiétude.Dans la déclaration relative à l’état d’urgence sanitaire dont Jean-Claude Samouiller fut le rapporteur, la CNCDH s’inquiète de l’adoption par décret de mesures restrictives des droits et libertés. Une dérogation au cadre juridique de l’État de droit nécessite un encadrement de sa mise en œuvre et de sa durée. La compétence exclusive du Parlement pour restreindre les droits et les libertés doit être respectée et implique de limiter le recours à l’état d’urgence sanitaire aux seules situations où le Parlement ne peut se réunir. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Quelle est la légitimité de mesures non fondées sur le choix du législateur ? En tout état de cause, Jean-Claude Samouiller rappelle que les mesures prises, compte tenu de situations exceptionnelles, doivent respecter les principes de nécessité, d’adaptation et de proportionnalité. La CNCDH s’inquiète de la fiabilité de la remontée des données, du choix de fermer les activités considérées comme non essentielles, du traçage numérique via l’application tous-anti-covid, de l’impact des mesures restrictives de liberté sur les plus précaires et les plus fragiles, alors que demeure l’inadéquation des moyens humains et matériels pour faire face à la crise épidémiologique. L’absence de dialogue social est préjudiciable, comme l’est l’absence de débat démocratique mentionnée plus haut, alors que se banalise l’état d’exception en cours, depuis de nombreuses années, tant sur le fond du droit, avec la réinstauration de l’état d’urgence sanitaire que sur la procédure législative, avec l’adoption en mode accéléré de projets de lois ou la propension à légiférer par ordonnances. Le renforcement des pouvoirs de l’exécutif se fait au détriment des pouvoirs législatif et judiciaire. La CNCDH regrette que les pouvoirs publics s’engagent sur une voie toujours plus répressive et optent pour des moyens accrus de surveillance, sans concertation avec la société civile et sans aucun égard pour le respect des droits fondamentaux. Liberté de réunion, liberté de manifester, respect de la vie privée, protection des données de santé individuelles, telles sont quelques-uns des principes constitutionnels et libertés fondamentales remis en cause, directement ou subrepticement, dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Comment sommes-nous progressivement tous devenus des « suspects » aux yeux de nos gouvernants ? Depuis quand le citoyen est-il considéré, non plus comme un sujet de droits et d’obligations, mais comme une menace telle que l’État s’arroge désormais le droit de surveiller non seulement nos actions, mais aussi nos opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales ? Pourquoi et comment l’exception se banalise au point de devenir la règle ? Est-il encore possible de renverser la tendance et de refaire de la défense des droits de l’homme et de la planète la priorité ? Comment sauver l’État de droit face aux dérives autoritaires et répressives ? À l’oreille :Pour aller plus loin :ET | |||
18 Dec 2020 | #49 – L’Iran, année 2020 : bilan et perspectives | 01:02:23 | |
En plateau (virtuel) :Clément Therme, spécialiste de l’Iran, est un chercheur post-doctorant au sein de l’équipe « Savoirs nucléaires » du CERI à Sciences Po Paris. Il est également membre associé de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et l’auteur des Relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012). Il a également dirigé la publication d’un ouvrage collectif, L’Iran et ses rivaux, Entre nation et révolution, paru aux éditions Passés/Composés en février 2020. Contexte :L’Iran fut marqué en 2020 par un certain nombre de coups durs portés par ses adversaires. L’assassinat, le 27 novembre dernier, du scientifique Mohsen Fakhrizadeh, figure historique du nucléaire iranien, ravive le souvenir de l’assassinat, le 3 janvier 2020, du général Qassem Soleymani, commandant des forces Al-Qods, chargées des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution. La guerre au Sud Caucase qui a opposé, du 27 septembre au 9 novembre 2020, l’Arménie à l’Azerbaïdjan, eut notamment pour conséquence de fragiliser durablement la frontière nord de l’Iran, jusqu’ici stable. Des combats opposant les forces d’autodéfense du Haut-Karabagh et les forces armées arméniennes aux forces azerbaïdjanaises, s’y sont déroulés à proximité, entraînant mobilisation de troupes et causant des victimes aussi, côté iranien. La défaite de l’Arménie a permis d’autre part la création d’un corridor à la frontière iranienne, traversant l’Arménie et reliant la province du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan. En outre, l’implication de la Turquie dans le conflit aux côtés de l’Azerbaïdjan a introduit un nouvel acteur dans la région, qui inquiète l’Iran et la Russie, deux Etats n’ayant par ailleurs de mauvaises relations ni avec l’Arménie ni avec l’Azerbaïdjan. La présence de miliciens et mercenaires djihaddistes venus de Syrie, via la Turquie, est un facteur supplémentaire de déstabilisation dans la zone. Enfin, ni les États-Unis ni Israël n’ont caché tout au long des années post-soviétiques l’intérêt qu’ils portaient à l’Azerbaïdjan, non seulement pour ses hydrocarbures et le tracé des oléoducs et gazoducs, mais aussi pour le poste d’observation stratégique unique que cet État devenu indépendant en 1991 offre sur l’Iran ; et cela sans commune mesure avec le cadre conflictuel arméno-azerbaïdjanais strictement parlé. Pour autant, souligne Clément Therme, si l’isolement de l’Iran n’a cessé de se renforcer sur la scène internationale, avec notamment, les accords historiques de 2020 visant à la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU), Bahrein, le Soudan et le Maroc, il convient de noter que l’assassinat de Qassem Soleimani, l’architecte de l’influence iranienne au Moyen-Orient, a eu aussi pour effet secondaire d’attirer les regards sur la présence contestée des États-Unis en Irak. Si l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh est un avertissement pour les scientifiques iraniens, l’intimidation n’a jusqu’à ce jour jamais fait renoncer l’Iran à l’enrichissement d’uranium, et le meurtre du scientifique permet aussi opportunément au régime de pointer les méthodes de services secrets opérant sur des territoires extérieurs afin de neutraliser des cibles, sans considération pour les droits de l’homme. En outre, pour contrer son isolement, l’Iran s’est rapproché de la Chine et de la Russie, s’éloignant davantage des Américains et des Européens. Reste que la politique de « pression maximale » sur l’Iran de l’administration Trump, le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne, en mai 2018, le rétablissement des sanctions internationales qui n’avaient été que partiellement levées, pèsent lourdement sur le pays et sa population qui connaît une grave crise économique, préexistante et aggravée par la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid 19. Même si l’Iran a déclaré que le nom du gagnant de l’élection présidentielle américaine lui importait peu et que seule importerait la politique que mènera le futur Président, l’élection de Joe Biden est porteuse d’attentes pour l’amélioration des relations entre les États-Unis et l’Iran. Si elle se produisait, cette dernière néanmoins n’aura pas lieu du jour au lendemain et ses effets directs sur la situation économique et sociale du pays ne seront sans doute pas immédiats. Quatre dossiers doivent trouver leur règlement, celui du nucléaire, celui de l’influence régionale (hégémonique) de l’Iran, celui de son programme balistique, et celui des droits de l’homme. Sans compter la nature idéologique du régime qui complique la donne. La collaboration nucléaire entre la France et l’Iran par exemple n’était pas un problème au temps du chah et d’un Iran, membre du Pacte de Bagdad. Si, dans sa tentative de rapprochement et de normalisation avec l’Iran, Barack Obama s’était appuyé sur la Russie, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden s’effectuera dans un contexte de dégradation relative des relations américano-russes rendant plus difficile aujourd’hui de passer par cette voie. Quelles sont alors les autres voies, face à un régime qui se crispe et réprime par crainte d’un scénario à la Gorbatchev, où la tentative de réformer de l’intérieur l’Union soviétique a précipité son implosion? Le 12 décembre dernier, l’exécution par pendaison de l’opposant et journaliste, Rouhollah Zam, réfugié politique en France, qui s’était rendu en Irak où il a été enlevé, en 2019, est un avertissement aux opposants exilés, de ne pas se risquer à lutter contre le régime, à ses frontières ou à l’intérieur. Les élections présidentielles iraniennes en juin 2021 pourront-elles avoir un enjeu autre que celui du taux de participation des électeurs ? Quels sont les débats parcourant actuellement la société iranienne ? La population lassée d’une parodie d’alternance entre modérés et conservateurs, se mobilisera-t-elle pour les uns ou les autres, alors que le vrai pouvoir en Iran n’est pas entre les mains du Président de la République islamique, mais entre celles du Guide suprême de la Révolution, l’actuel ayatollah Ali Khamenei ? La bataille pour la succession de ce dernier a-t-elle déjà commencé ? À l’oreille :
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23 Dec 2020 | #50 – Liban : retour sur un an de « révolution avortée » | 01:08:10 | |
En plateau (virtuel) :Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à l’Université Paris-Dauphine et Sciences Po Paris, spécialiste du Liban, et notamment du Hezbollah. Contexte :Le 17 octobre 2019, débutait au Liban un mouvement de contestation civile. Des manifestations pacifiques se déroulaient à Beyrouth comme dans les principales villes du pays, pour dénoncer la corruption de la classe politique dirigeante et son incurie. Un quart de la population du pays, toutes confessions confondues, est descendu dans la rue pour appeler au renouvellement des élites dirigeantes issues des partis confessionnels. Qu’en est-il un an plus tard ?Que sont devenues les aspirations populaires à la déconfessionnalisation du paysage libanais, à l’émergence d’une nouvelle citoyenneté, d’un autre mode de fonctionnement institutionnel ? Force est de constater, observe Aurélie Daher, que la crise économique et bancaire que traverse le pays, la plus grave de toute son histoire, et frappant tous les citoyens, a fait de la survie de chacun et chacune, de chaque famille, une priorité. La paupérisation des classes moyennes et l’aggravation de la précarité des plus faibles, a augmenté l’insécurité, y compris alimentaire. La livre libanaise s’est considérablement dépréciée face au dollar, l’argent des particuliers placé dans les banques est bloqué ou réduit en fumée, ceux qui parviennent à nourrir leurs familles n’ont les moyens ni de payer leur traitement médical ni de financer les études scolaires et universitaires de leurs enfants dans un pays où l’enseignement est largement privé et communautaire. Cependant avant même que la crise économique, bancaire, et sanitaire, étrangle le pays, les vieux réflexes et démons communautaires avaient repris le dessus sur la contestation transversale. La démission du Premier ministre, Saad Hariri, le 29 octobre 2019, et l’impossibilité de trouver un autre leader sunnite pour le remplacer, a bouleversé l’équilibre multiconfessionnel du système politique qui répartit le pouvoir et les ressources du pays entre les trois principales communautés. En effet, conformément à la Constitution en vigueur, le président du Liban doit être maronite, le premier ministre sunnite et le président de la Chambre des députés chiite, et conformément à l’interprétation de cet équilibre institutionnel, toute atteinte à cet équilibre doit se traduire par un jeu à somme nulle dans lequel les trois groupes religieux doivent soit tous perdre soit tous gagner. Ainsi, les sunnites se sont-ils désolidarisés de la contestation quand ils estimèrent que seule leur communauté avait perdu au jeu, alors que les chrétiens et les chiites n’avaient, quant à eux, pas été touchés par la démission de leurs dirigeants respectifs. En sonnant la fin de la récréation, le 24 octobre, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, avait appelé les manifestants chiites à rentrer chez eux, ce qu’ils firent. Les Druzes aussi finirent par rentrer dans le rang. Quant aux chrétiens, majoritairement maronites, ils étaient divisés : les partisans de Michel Aoun n’étaient pas descendus dans la rue pour exiger sa démission, contrairement à ceux de Samir Geagea. Dans un État clientéliste, pour trouver et conserver un emploi, ou pour qu’aboutisse la moindre démarche administrative ou relevant de la vie quotidienne, il vaut mieux passer par sa communauté et faire allégeance à ses leaders. Rares sont ceux qui ont les moyens de s’en affranchir et d’y résister. Ajoutons encore que, sur la scène internationale, les mouvements sociaux de citoyens descendant dans la rue pour défendre leurs droits, appeler à un changement politique ou exprimer leur colère, au cours de l’année 2019 (en Irak, au Liban, en Algérie, au Chili, à Hong Kong, en Bolivie, au Venezuela, sans compter en Europe, les Gilets jaunes en France, les Catalans en Espagne, les pro et les anti-Brexit au Royaume-Uni), ont marqué le pas en 2020, la crise du covid ayant limité les possibilités de rassemblements collectifs, la lassitude ou la crise économique ayant fait le reste, sans oublier la répression et l’interdiction pure et simple de manifester. Au Liban, il n’y eut donc de révolution qu’en termes de mécanique céleste. Retour à la case départ ou presque, constate Aurélie Daher. Un an plus tard, Saad Hariri a retrouvé son poste de premier ministre. L’espoir de voir aboutir l’enquête relative à l’explosion du port de Beyrouth (qui fit, le 4 août dernier, 200 morts, et plus de 6000 blessés et 250 000 sans-abris), inculper et condamner des responsables politiques, est sans doute illusoire dans ces conditions, malgré les attentes des victimes ou celles de leurs familles, étant donné le fonctionnement du système. Les dirigeants communautaires au pouvoir semblent insubmersibles et inamovibles, le blocage et la paralysie d’autant plus insurmontables qu’aucun leadership alternatif, aucune nouvelle figure politique n’a émergé durant la contestation civile, laquelle fut rejointe par des opportunistes de tous bords et vieux routiers de la politique libanaise. Le Liban s’enfonce dans la crise. Quatre mois après l’explosion du port, Paris et les autres partenaires internationaux du Liban attendent hypothétiquement de ses dirigeants qu’ils réforment le pays en profondeur pour lutter contre la corruption, la gabegie, le clientélisme et l’opacité dont la population libanaise est la première victime. Sans ces réformes, il n’y aura pas davantage de fonds collectés que l’aide d’urgence de 280 millions de dollars débloqués, dont une grande part en farine après la destruction des silos de blé et réserves dans l’explosion portuaire. Or, toute la question est de savoir si la classe politique en place est capable de telles réformes. La levée temporaire et partielle du secret bancaire sur les comptes de la Banque du Liban (BDL) et ceux des institutions publiques permettra-t-elle de relancer l’audit juriscomptable de la BDL ou bien est-ce une nouvelle manœuvre pour gagner du temps ? L’Arabie saoudite avait dans le passé porté secours au Liban afin de soutenir la livre libanaise et les liquidités en devises des banques, de renforcer la stabilité du système financier et apaiser les tensions sur le marché. Ryad avait par exemple renfloué les caisses de l’État libanais, en juillet 2006, par le dépôt d’un milliard de dollars à la Banque centrale libanaise. Elle l’avait déjà fait en 1997, avec un dépôt de 500 millions de dollars. Mais, désormais, Ryad est moins disposé à injecter de l’argent ou se porter garant des obligations financières du pays, n’ayant pas apprécié d’avoir été accusé par Beyrouth (et notamment par le président Michel Aoun)de détenir le Premier ministre libanais, Saad Hariri, lequel avait annoncé sa démission depuis le royaume saoudien, le 4 novembre 2017. Quant aux autres partenaires, ils sont aussi aux prises avec leurs propres difficultés économiques. De quoi demain sera-t-il fait ? Des temps sombres en perspective ?Aurélie Daher note que les Libanais survivent aujourd’hui grâce à l’aide, au soutien et à la solidarité de leur diaspora. À l’oreille :Trois extraits de l’épopée historique musicale intitulée Saïf 840 (Eté 1840) créée et écrite par Mansour Rahbani, en 1988 et reprise ensuite par Élias, Marwan, Ghady et Oussama Rahbani en 2009. La pièce musicale retrace l’histoire mouvementée de cet été chaud où depuis la ville d’Antélias et au sein d’un groupe de résistants multi-communautaires, naît une offensive contre la répression des forces occupantes. Les turbulences de l’histoire libanaise, à travers musique, chant et danses : ses révoltes et ses combats, ses personnages courageux, pittoresques et attachants, ses histoires d’amour. Dans une fresque poétique, au succès non démenti, Mansour Rahbani déconstruit l’histoire pour en souligner sa part d’illusion et de désillusion, mais aussi les volontés, les rêves, les contradictions et les utopies qui ont la vie dure.
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02 Jan 2021 | #51 – Vivre et écrire dans le Kamouraska | 01:10:42 | |
En plateau (virtuel) :Gabrielle Filteau-Chiba, romancière québécoise et militante de la cause environnementale, publie Encabanée, son premier roman, aux éditions Le mot et le reste. Contexte :Traductrice de formation, Gabrielle Filteau-Chiba a quitté le confort d’une vie citadine à Montréal, sa ville natale au Québec, pour vivre durant trois ans dans les conditions les plus rudimentaires d’une cabane sans eau et sans électricité, perdue dans les forêts du Kamouraska. Encabanée, son premier roman (et premier volet d’un triptyque), est né de cette expérience extrême qui l’a marquée et profondément transformée. Est-ce la peur de « s’encanailler », de s’embourgeoiser, qui conduit la narratrice à s’encabaner et affronter solitude et coyotes dans les nuits glacées du Bas-Saint-Laurent ? La peur de se laisser vaincre par l’usure du temps, les compromis et les démissions, l’apathie et le cynisme, pousse-t-elle l’ex-étudiante engagée et jeune femme promise à une brillante carrière, à larguer les amarres et vivre sans filet ? Caprice bobo ou décision irréversible ? Coup de tête ? Coup de foudre pour le Kamouraska. Comment fait-on pour survivre quand l’eau de la rivière est gelée, qu’il fait moins 40 à l’extérieur et qu’il faut sortir chercher du bois ? Le froid qui vous empêche de dormir. La peur de s’endormir et mourir de froid, car le feu s’est éteint dans la cheminée. La neige pour tout horizon. Pour Gabrielle Filteau-Chiba, l’écriture n’est pas un exercice futile. Elle passe par une difficile mise à nu de soi-même dans lequel subsiste l’essentiel, délesté du superflu. Il faut éprouver que l’on est soi-même vivant pour prendre réellement conscience de ce qu’est la vie, que les autres sont des vivants, que la nature est vivante et mérite notre respect et notre bienveillance. Engagée dans la lutte environnementale, la romancière québécoise écrit comme elle vit, en harmonie, en osmose avec la nature, dont elle se sent un élément. Sa prose poétique rend hommage aux générations qui nous précèdent, aux Amérindiens, aux premières nations, à la solidarité qui unit tous les vivants. Avec vigueur et fraîcheur, elle porte l’aube d’un monde nouveau. Son récit est celui d’une conversion, la sortie de l’adulescence et l’entrée dans l’âge adulte, celui de l’éco-responsabilité. Planter un arbre, lutter contre la déforestation, en manifestant pacifiquement, en dessinant, en écrivant, sont chaque fois une merveilleuse façon de cultiver l’espoir, de remporter de petites victoires qui, s’ajoutant les unes aux autres, font sens. Les petites rivières font les grands fleuves. À l’oreille :
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09 Jan 2021 | #52 – Le Congrès de Tours (25-30 décembre 1920), un siècle plus tard | 01:08:24 | |
En plateau (virtuel) :Jean A. Chérasse, cinéaste documentariste, agrégé d’histoire et titulaire du blog « Vingtras » sur Mediapart, auteur de Noël 1920, à Tours. La grande déchirure… Le Congrès fratricide, ouvrage paru aux Éditions du Croquant. Contexte :Du 25 au 30 décembre 1920, se rassemblèrent dans la salle du Manège de Tours, 285 délégués en provenance de 89 fédérations de la SFIO (Section française de l’Internationale socialiste). Fondée en 1905, la SFIO tenait son XVIIIème Congrès. À l’ordre du jour, une question : la SFIO, membre de la IIème Internationale, adhèrera-t-elle ou non à la IIIème Internationale. Prendra-t-elle acte de la faillite de la IIème Internationale, proclamée dès 1915 par Lénine, et se soumettra-t-elle aux 21 conditions requises pour adhérer à la IIIème Internationale ? D’une certaine façon, lorsque s’ouvre le Congrès de Tours, il n’y a pas de suspense et les jeux semblent faits. Les fédérations ont déjà voté massivement pour le oui et les délégués qu’elles envoient siéger à Tours sont porteurs d’un mandat favorable à l’adhésion à la IIIème Internationale. En effet, la IIème Internationale fait l’objet d’un double rejet, au lendemain de la Première guerre mondiale. Elle fut incapable d’empêcher la Guerre, qui fut une hécatombe, et a échoué dans la mise en œuvre de son programme qui était de réaliser l’union des prolétaires de tous les pays, y compris contre la guerre. En outre, plusieurs de ses représentants en France ont participé à l’Union sacrée, proposée dès le 4 août 1914 à toutes les formations politiques, lesquelles l’acceptent, convaincues que la guerre sera courte et victorieuse, et votent les crédits de guerre, voire pour certains deviennent membres du gouvernement. La IIème est désormais discréditée, et c’est ce qui domine les esprits. En outre, Ludovic-Oscar Frossard, Secrétaire général de la SFIO et Marcel Cachin, Directeur du journal L’Humanité, fondé par Jaurès, se sont rendus au pays de la Révolution d’octobre 1917 et en sont revenus enthousiasmés. Qu’est-ce qui néanmoins fait du Congrès de Tours un moment historique, un tournant dans l’histoire de la gauche en France ? Quel effet eut sur les participants la lecture du télégramme de Zinoviev ? Quel effet produisit l’arrivée de Clara Zetkin au Congrès, au nez et à la barbe de la police ? Si Jaurès n’avait pas été assassiné le 31 juillet 1914, le cours de l’histoire aurait-il été différent ? Pourquoi, cent ans après un Congrès qui provoqua une scission durable entre socialistes, adhérents de la IIème Internationale et communistes, adhérents de la troisième Internationale, prendre le temps de repenser l’événement, qui a par ailleurs fait l’objet de nombreuses et excellentes études ? Jean A. Chérasse en étudiant le déroulement du Congrès, ses motions et ses débats, rappelle les attentes dont il était porteur. Il restitue l’atmosphère de fête qui y régnait, celle d’un espoir dans un avenir meilleur, de nouveau à portée de main et suscité cette fois par la jeune Révolution russe d’Octobre 1917, et par la création encore plus récente de la IIIème Internationale en mars 1920. C’est le souffle de la Commune de Paris et de ses 72 journées qui rejaillit sur les participants et anime les débats. Le souvenir partagé d’une expérience révolutionnaire, aux antipodes de ce que sera l’expérience socialiste en Union soviétique, réunit les militants à Tours avant la rupture, le schisme, la déchirure qui traumatisera la gauche française et dont elle porte encore aujourd’hui les stigmates dans son incapacité à s’unir pour définir un objectif commun pour combattre un ennemi commun. Jean A. Chérasse nous invite à penser les traces et les conséquences toujours vivaces du Congrès de Tours en le mettant en perspective avec l’histoire de la Commune de Paris. Quelle expérience originale et unique de gouvernance instaura-t-elle ? La Commune dont on commémorera, au printemps 2021, le 150ème anniversaire, peut-elle aujourd’hui nourrir le débat de la gauche orpheline d’un projet de société théorique et pratique, émancipateur du collectif et de l’individu ? Que reste-t-il de la Commune? Que fut-elle réellement et que signifia-t-elle vraiment, avant de faire l’objet de récupération ici et là ? À l’oreille :
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15 Jan 2021 | #53 – La guerre, hier et aujourd’hui : retour d’expériences | 01:29:26 | |
En plateau :Michel GOYA, historien, ancien colonel des troupes de marine, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat, a enseigné à Sciences-Po et l’École pratique des hautes études (EPHE), en parallèle de sa carrière opérationnelle. Auteur de nombreux ouvrages dont Les Vainqueurs (Tallandier, 2018) et S’adapter pour vaincre (Perrin, 2019), il tient également un blog consacré aux questions stratégiques, intitulé La voie de l’épée. Contexte :Michel Goya analyse comment l’armée française est devenue en 1918 la plus moderne du monde, sinon la plus puissante, après l’effondrement de l’armée allemande, à l’issue d’un processus de transformation unique dans toute l’histoire de la France. En l’espace de 4 ans, elle effectue un saut qualitatif qui la fait passer du pantalon rouge au casque d’acier et au char d’assaut, surmontant le traumatisme de la défaite de Sedan (le 1er septembre 1870), grâce à une industrie de guerre imaginative et performante. La remarquable capacité d’adaptation dont elle fit preuve dès les premiers mois de la guerre et qui ne cessera de se renforcer tout du long, lui permet de vaincre en 1918. Et les vainqueurs, ce sont d’abord les soldats et leurs officiers qui, sur le terrain, font preuve d’ingéniosité et d’une indéniable aptitude au changement, qu’il soit organisationnel, logistique, balistique, opérationnel.Par quel processus l’armée victorieuse en 1918 entame un déclin qui la conduira à la défaite de 1940, à l’issue de ce qu’on appellera la drôle de guerre (3 septembre 1939- 10 mai 1940) ? Si, bien entendu, de nombreux facteurs politiques, sociaux et internationaux, contribuent à l’explication de cette défaite cinglante, Michel Goya souligne qu’il convient de ne pas négliger d’un point de vue militaire celui de la perte d’un savoir théorique et pratique, l’absence de transmission d’une expérience qui fait qu’une génération plus tard, et sous un nouveau commandement militaire, on n’est plus dans la même configuration. Quels enseignements en tirer ? qu’est-ce que vaincre ? Si vaincre, c’est imposer sa volonté à l’ennemi ou l’adversaire, cela signifie que l’on se prépare aussi à parler avec lui, à négocier, en vue d’un règlement politique instaurant les conditions d’une paix durable. On ne prend pas la décision politique de faire la guerre pour tuer, même s’il y aura des morts, mais pour obtenir des effets stratégiques. Dans le monopole de la violence par l’État, on se rappellera utilement que l’emploi de la force armée ne sert pas les mêmes objectifs que l’emploi des forces de police, même si la confusion existe parfois, jusqu’à ce que l’analyse correcte de la nature du conflit ne vienne clarifier les choses ou forcer à les voir autrement (exemple de l’évolution de la position de la France face au FLN de 1954 à 1962, au cours de la guerre d’Algérie). Mais, que se passe-t-il quand on fait la guerre non plus à un État, fût-il déclaré voyou, mais à une nébuleuse terroriste, comme c’est souvent le cas depuis le 11 septembre 2001 ? Michel Goya revient sur l’engagement de la France au Sahel, de l’opération Serval à l’opération Barkhane. La première s’est traduite par une victoire relative de la France, qui intervient militairement à la demande du gouvernement malien en 2013, considérant que la déstabilisation de la région est une menace pour sa sécurité. C’est la première intervention de la France en Afrique depuis 1979 et elle parvient à stopper l’avancée des groupes AQMI, Ansar Din et Mujavo sur la capitale Bamako, et reprendre les villes de Goa, Tombouctou et Kidal. La France aurait-elle alors dû quitter le Mali, quitte à revenir plus tard ? Elle fait le choix de rester, l’opération change de nom – elle s’intitule désormais Barkhane- , et de nature, puisque sa mission n’est plus de reconquérir un territoire, mais dans le cadre du G5 regroupant les 5 pays du Sahel, de contenir l’activité de groupes terroristes armés (GAT) à un niveau de conflictualité basse, le plus bas possible, pour permettre aux forces locales de prendre la relève. Or, l’opération commence avec des moyens divisés par 2, par rapport à Serval, dans un contexte de réduction des effectifs et des budgets, au moins jusqu’en 2015, et dans une période où la France est également engagée militairement sur plusieurs autres fronts (en Centrafrique, en Irak et en France où l’armée est mobilisée par l’opération Sentinelle). Autre difficulté, quels effets à court, moyen et long terme, peuvent avoir les formations européennes des armées locales si les problèmes de gouvernance locale persistent (soldes des soldats non payées, fonds détournés, défaillance de l’État dans l’administration et le développement de régions délaissées qui pousse une partie de la population à rejoindre les GAT ? Le coût humain et financier de l’opération Barkhane, sa durée qui atteindra bientôt les limites de l’acceptabilité par l’opinion française, amènera-t-il prochainement la France à revoir son dispositif au Mali ? Que nous apprend d’autre part la guerre qui a opposé du 27 septembre au 9 novembre 2020, l’Arménie, les forces d’autodéfense arméniennes du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan. Tout d’abord, souligne Michel Goya, il s’agit d’une guerre entre États. Laquelle fut d’autre part la révélation d’une rupture stratégique, comme il en arrive dans l’histoire du monde tous les 20 à 30 ans, et l’entrée dans une nouvelle séquence historique et géopolitique. Une rupture stratégique qui prend la forme d’un désastre pour l’Arménie. Dès les premiers jours de la guerre, le rapport de forces était nettement en sa défaveur et elle n’a pu ni s’adapter ni renverser la donne en 45 jours. Notons dans cette guerre la disparition de la troisième dimension, grande innovation de la Première guerre mondiale. Le ciel est resté sans avions, peuplé de drones performants, turcs et israéliens, guidant avec précision les tirs atteignant leurs cibles. L’Arménie était sortie victorieuse de la première guerre du Karabagh (1991-1994), que s’est-il passé en trois décennies ? Quel enseignement tirer du terrain, au-delà des considérations relatives au contexte international et régional, notamment le probable feu vert donné par la Russie à l’Azerbaïdjan, qui lance l’offensive le 27 septembre, avec le soutien de la Turquie ? Michel Goya observe que l’Azerbaïdjan s’est activement et très sérieusement préparé à la guerre, non seulement par l’acquisition de matériel militaire haut de gamme, grâce à l’argent des hydrocarbures, depuis 2000. Mais il a aussi reconstruit patiemment une armée jadis défaite, à l’aide d’une expertise étrangère et diversifiée, durant ces dix dernières années. De son côté, l’Arménie était frappée d’une « inertie consciente », voyant ce qui se passait en face, mais incapable de réagir, de s’adapter, sans doute trop confiante dans la supériorité que lui conférerait in fine le courage et les motivations de ses soldats, quelle que soit par ailleurs leur vaillance. N’évaluant pas non plus correctement les limites de son alliance de sécurité avec la Russie. Comme souvent dans l’histoire militaire, l’armée auréolée de sa précédente victoire devient conservatrice, rétive au changement et à l’innovation nécessaires face aux évolutions qu’elle perçoit, car cela perturberait son fonctionnement et son mode organisationnel. Ne parvenant pas à se remettre en cause, elle n’est pas en mesure d’anticiper la guerre d’après, et manque de réactivité sous pression et dans l’urgence. Quelles sont les autres caractéristiques d’ores et déjà notables de la rupture stratégique à laquelle nous assistons ? À l’oreille :
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22 Jan 2021 | #54 – Kaliméra – Séjours et songes en terre grecque | 01:22:46 | |
En plateau :Nicole Dubois-Tartacap a la passion de la Grèce chevillée au corps. Un pays qu’elle sillonne depuis son enfance – premiers séjours initiatiques avec son père Raymond Dubois – et n’a cessé de visiter depuis des décennies, seule et en famille plus tard. Kaliméra (Transboréal, 2019) est le récit tiré de l’expérience de ses voyages en Grèce, de ses lectures, de ses rencontres et de ses émotions. Un livre qui dit en pointillé la relation amoureuse qu’elle entretient avec cette terre et ses habitants, devenue au fil du temps son Ithaque, sa demeure. ContexteSans l’arrogance propre aux touristes, sans l’indifférence des étrangers qui ne sont que de passage, hors sentiers battus, lieux communs et clichés, Nicole Dubois-Tartacap nous fait voyager en Grèce, avec Athènes, comme première étape. Pourquoi ? Parce que c’est une ville qui ne se livre pas d’emblée, qu’il faut apprivoiser, arpenter, en prenant son temps, et s’y perdant. Athènes demande un effort pour appréhender son désordre au parfum d’Orient, son architecture variée ancienne et moderne, son urbanisme souvent improvisé, résultant de l’urgence d’accueillir à différentes époques ceux et celles qui venaient y vivre et s’y réfugier : exode rural, crise économique, réfugiés grecs d’Asie mineure, à la suite des échanges de populations stipulés par le traité de Lausanne (1923). Athènes décille.Quand on finit par s’y retrouver, on est prêt à larguer les amarres, à se délester de préjugés divers et variés, toujours réducteurs. Car, la Grèce, ce n’est pas seulement ceci ou cela, c’est tout à la fois ! L’Antiquité, Byzance, les Francs et les Vénitiens, l’époque ottomane, la lutte pour l’indépendance, l’occupation italienne de Cos jusqu’en 1937, le refus de laisser les troupes de Mussolini entrer en Grèce depuis l’Albanie en 1940, l’occupation par les forces de l’Axe en 1941, la libération du pays en 1944, la guerre civile grecque de 1946 à 1949, les périodes de dictature militaire, le retour de la démocratie en 1974, l’entrée dans la Communauté économique européenne en 1981. De même, la Grèce, ce n’est pas qu’une ville, qu’une île, que la Méditerranée, ou que… le sirtaki ! Direction EgineUne île où, à la différence de beaucoup d’autres îles grecques, la vie ne se réduit pas à la saison touristique de l’été. Terre hellène chantée par Homère, terre grecque chantée au XXème siècle par les poètes Séféris, Elytis, tous deux Prix Nobel de littérature. En Grèce, les poètes trouvent dans la lumière et dans les pierres une source d’inspiration. On peut ensuite prendre le temps d’explorer quelques autres îles comme Hydra, Mykonos, Paros, Santorin, avant de partir pour le Péloponnèse, à la découverte de Nauplie, Epidaure et son théâtre, Mycènes dont le roi Agamemnon partit faire le siège de Troie, et ressentir l’émotion des retrouvailles avec les Atrides. Rejoindre Sparte, Mystra, la merveille de Morée ou Byzance ressuscitée. Nouvelle étape à Monemvasia et Karytaina, les forteresses des principautés conquises par les Francs au XIIIème siècle, convoitées par les Vénitiens, reprises par Byzance, puis par les Turcs. En route pour le Magne, sa tradition guerrière, ses pierres, l’aridité et l’âpreté de ses paysages, sa musique et la langue de Ritsos, le poète communiste emprisonné sous Metaxas, après la guerre civile et sous le régime des colonels. Nicole Dubois-Tartacap, nous invite à passer de la Méditerranée aux Balkans, à quitter la lumière d’Elytis pour nous rapprocher des brumes froides des Balkans, chères au cinéaste Angelopoulos. Passage obligé par Thessalonique, la deuxième ville de la Grèce, où la mer est partout présente alors qu’à Athènes elle n’est visible que depuis l’Acropole. Thessalonique, la ville oubliée des touristes, où le souvenir de Byzance et de l’Empire ottoman reste vif. Quand Athènes n’était plus qu’un village oublié de tous au début du XIXème siècle, l’ancienne Salonique, ville charnière, occupait une position stratégique au confluent des Balkans et de la Méditerranée. Ville natale de Mustapha Kémal, ville cosmopolite dans laquelle se côtoyaient Grecs, Turcs, Serbes, Bulgares, Tsiganes, Arméniens, Géorgiens, Albanais et Juifs Séfarades, présents depuis l’Antiquité ou depuis le XVème siècle (chassés d’Espagne et parlant le ladino), dont les quartiers furent détruits par l’incendie de 1917 et qui furent ensuite victimes de la Shoah durant la Seconde Guerre mondiale. Visite de Xanthi au nord-est, ville grecque (depuis le partage de la Thrace entre la Grèce, la Bulgarie et la Turquie) dont les habitants musulmans, comme les Grecs d’Istanbul, furent exemptés de l’échange de populations de 1923. A Xanthi, Grecs, Turcs, Pomaks et Roms vivent au rythme du carillon des clochers ou du chant du muezzin, la religion des uns et des autres déterminant le quartier où l’on vit et le marché qu’on fréquente. Brève escale à Missolonghi, avant de partir pour l’ouest, en direction de l’Epire, de ses ponts de pierre et de la légende des emmurés. Et prolonger ensuite le voyage jusqu’en Crète, pour retrouver notamment l’écrivain Kazantsakis et son ami Zorba, rencontré dans le Magne. À l’oreille :
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22 Jan 2021 | #55 – « Les étoiles ne tombent pas, elles vagabondent. » | 01:10:00 | |
En plateau (virtuel):Grand défenseur de la langue yiddish qu’il enseigne et traduit, Jean Spector reçut en décembre 2020 le Prix Révélation de Traduction, décerné par la Société des Gens de Lettres (SGDL). Sans lui et sa détermination, le public français et francophone serait resté dans l’ignorance de cette œuvre magistrale de Sholem Aleykhem, Étoiles vagabondes, restée inédite en France jusqu’en 2020. Honneur au traducteur qui consacra dix ans de sa vie à la traduction de ce magnifique roman signé par l’un des plus grands noms de la littérature yiddish. Déjà épuisé, le roman reparait chez le même éditeur, Le Tripode, en format poche en mars 2021. Contexte :Grand maître de la littérature yiddish, figure tutélaire dont l’ombre plane sur les générations d’écrivains qui lui succédèrent, Sholem Aleykhem (1859-1909), nom de plume de Cholem Naoumovitch Rabinovitch, est l’un des écrivains les plus populaires de son temps. Il est de ceux qui firent accéder le yiddish au statut de langue littéraire, en l’extrayant du foyer familial. Cette langue germanique dérivée du haut allemand, et comportant une part de vocabulaire hébreu et slave, était la principale langue utilisée au cours du dernier millénaire par les Juifs ashkénazes, la langue du quotidien depuis le Moyen-Age, quand l’hébreu était réservé à la prière. Jusqu’à la destruction des Juifs d’Europe par les nazis, le yiddish était parlé par les deux tiers des Juifs au monde. L’œuvre prolifique de Sholem Alekhem, né à Pereyaslav en Ukraine, le 2 mars 1859, est composée de romans, nouvelles et pièces de théâtre. Il fut même le premier à écrire en yiddish des contes pour enfants. Jean Spector précise qu’ Etoiles vagabondes parut tout d’abord sous forme de feuilleton dans deux journaux yiddish de Varsovie. D’où la construction de ce roman picaresque en 161 chapitres relativement courts et se terminant sur un suspense destiné à tenir en haleine le lecteur jusqu’à la parution du prochain numéro. Le roman raconte l’irruption d’une troupe de théâtre itinérante dans un paisible shtetl (une petite ville juive) de Bessarabie. C’est l’enchantement pour les gens de Holenechti qui découvrent émerveillés le théâtre profane. Ce dernier suscitera d’ailleurs la vocation de deux adolescents, celle de Leybl, 13 ans, le fils de l’homme le plus riche de Holenechti et celle de Reyzl, 14 ans, la fille du chantre, un homme très pauvre. Les deux jeunes gens s’enfuient de chez eux, pour entamer un périple qui les conduira de la Bessarabie en Roumanie, de Bucarest à Budapest et Vienne, et de Londres à New-York, depuis le lieu de naissance du théâtre yiddish jusqu’à ses centres de rayonnement les plus importants. Leybl deviendra Léo Rafalesco, l’étoile montante de la scène yiddish, et Reyzl, changeant aussi de nom, deviendra la cantatrice Rosa Spivak. Si la carrière internationale qu’ils accomplissent et le succès qu’ils rencontrent chacun de leur côté souligne l’attractivité du monde moderne qui émancipe l’individu, l’éloignement de leur ville natale annonce aussi le déclin et la fin d’un mode de vie traditionnel. Quel aurait été leur destin s’ils n’avaient pas quitté le shtetl ? Reviendront-ils un jour à Holenechti et dans quel état d’esprit ? Perd-on son âme en aspirant à l’universel ? Pour quel public joue-t-on, chante-t-on ? et quel répertoire ? Étoiles vagabondes est un roman foisonnant, burlesque, rocambolesque, plein d’intrigues et de rebondissements, ne s’interdisant aucune fantaisie ou pitrerie, décrivant la vie des communautés juives d’Europe centrale et orientale à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Un roman de formation et d’apprentissage. Un roman d’initiation où s’enchaînent à un rythme effréné des scènes relatives à la vie interlope des artistes, l’émulation et la féroce concurrence entre troupes de théâtre et têtes d’affiches, les coups bas, les amitiés, les amours, les trahisons, les difficultés pour survivre, la solitude de l’artiste, ses rêves et ses désillusions. La verve comique de l’auteur, la prodigieuse virtuosité de son style entraînent le lecteur dans un tourbillon aussi époustouflant qu’irrésistible en le conviant à la fête spectaculaire du langage, des mots et de la langue, de la création littéraire, de la truculence, du triomphe de l’imagination, de l’improvisation, avec humour et amour des gens de condition modeste. La force invincible du langage comme métaphore du concept de vie. Sholem Alekhem, réfugié aux États-Unis en 1906, après avoir échappé aux pogroms de 1905, est un témoin privilégié de son temps : l’irruption de la modernité, avec son projet politique, les pogroms qui n’ont pas cessé pour autant, et les débats inquiets et tragiques traversant le monde juif essayant de faire face aux mutations ou bouleversements en cours, et hésitant entre assimilation, sionisme ou bundisme. Les juifs d’Europe étaient européens et se sentaient comme tels, alors que chaque Etat du continent se repliait à l’intérieur de ses frontières, État-nation moderne, autour de ses nationaux, dans le rejet et l’exclusion des autres. Recrudescence des pogroms, affaire Dreyfus, signalent la montée des nationalismes et de l’antisémitisme. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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05 Feb 2021 | #56 – Night Fever : la fabuleuse histoire du disco (deuxième partie) | 01:11:32 | |
En plateau :Musicien professionnel, conférencier, chroniqueur pour Soul Bag et New Morning Radio, Belkacem Meziane est l’auteur notamment de Night Fever, 100 hits qui ont fait le disco, paru aux éditions Le mot et le reste, en 2020. Contexte :Le 14 février 1970, jour de la Saint-Valentin, le célèbre DJ David Mancuso inaugure officiellement son club new-yorkais, The Loft, en organisant la soirée Love saves The Day. Un club ouvert d’emblée à tous, contrairement aux clubs sélects de la jet-set. Au Loft, on vient écouter et danser sur une musique rare, de qualité et qu’on entend nulle part ailleurs, proposée par cet ancien hippie, véritable créateur de tendances musicales, et chez qui tous les autres DJs importants du disco vont se former. Belkacem Meziane souligne que la soirée du 14 février 1970 au Loft est considérée comme le point de départ important du phénomène disco dont l’amour devient vite le mot d’ordre. Et pour bien comprendre l’influence considérable des DJs de discothèques dans la constitution d’un répertoire disco originel, il cite l’exemple de David Mancuso passant « Soul Makossa » de Manu Dibango au Loft et enflammant aussitôt la piste de danse : le DJ est le seul à connaître ce titre qu’il a trouvé chez un disquaire de Brooklyn spécialisé dans les musiques afro-caribéennes ; aucune radio ne possède encore un exemplaire du disque. C’est ainsi que beaucoup de titres qualifiés de pré-disco doivent leur succès à des DJs de discothèques qui furent de vrais pionniers dans la fabuleuse histoire du disco. Une musique qui puise ses racines dans un héritage soul funk gospel primordial, qui se développe ensuite en se confrontant à diverses sensibilités, jusqu’à devenir un style à part entière dont l’âge d’or se situe entre 1974 et 1979. New York, 1974. Les communautés gay, noire et latine se côtoient et se mélangent sur les dancefloors des nouveaux temples de la nuit appelés « discothèques », lieux de libération sexuelle et des paradis artificiels, où les DJs font danser, chaque week-end, sur de la soul, du funk ou des raretés afros et latines, une foule venue oublier les tourments d’une époque en pleine crise économique et existentielle. Chocs pétroliers de 1973 et 1979, fin des Trente Glorieuses (1945-1975), crise économique et sociale, publication des Pentagon Papers (1971) par le New-York Times et le Washington Post, scandale du Watergate (1972-1974), fin de la guerre du Vietnam (1955/1965-1975) de plus en plus contestée par l’opinion publique, y compris par certains de ses vétérans, séquelles de la guerre, etc. Une époque qui n’en a pas encore fini avec la ségrégation raciale et les discriminations, la pauvreté qui n’a jamais quitté certains quartiers. Une époque où l’homosexualité ne peut s’afficher publiquement. Une époque qui devient aussi plus individualiste, où l’on danse pour chasser le spleen, pour rêver, le week-end, d’une ascension sociale qui vous est refusée dans la semaine, pour briser le plafond de verre (une expression qui apparaît aux États-Unis à la fin des années 70), pour se libérer du carcan social, pour s’affirmer et pour exprimer son goût de vivre, l’affirmation de soi et le désir d’une autre vie, l’appétence pour un autre monde. Belkacem Meziane nous invite à redécouvrir dix autres titres emblématiques de l’aventure du disco, qui reste encore aujourd’hui l’essence profonde de ce qu’on appelle la dance music. À l’oreille :
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05 Feb 2021 | #57 – Sous le feu : la mort comme hypothèse de travail | 01:28:13 | |
En plateau :Michel GOYA, historien, ancien colonel des troupes de marine, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat, a enseigné à Sciences-Po et l’École pratique des hautes études (EPHE), en parallèle de sa carrière opérationnelle. Auteur de nombreux ouvrages dont Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, paru chez Tallandier en 2015, il tient également un blog consacré aux questions stratégiques, intitulé La voie de l’épée. Contexte :Michel Goya analyse dans cette émission ce qu’est le comportement au combat et la vie près de la mort. Son regard n’est pas celui d’un médecin ou d’un universitaire. C’est celui d’un professionnel, dont l’approche est à la fois empathique et scientifique. Que se passe-t-il quand on entre dans une bulle de violence ? Quelles lois régissent ce monde à part et effrayant dont on peut sortir ou pas vivant, dont on peut sortir grièvement blessé, « dont on sort épuisé, brisé ou exalté, mais toujours transformé » ? Qu’est-ce que la peur fait à l’être ? La peur de tuer ou celle d’être tué. Comment réduit-elle l’initiative, les capacités physiques et intellectuelles ? Comment la peur elle-même met en danger, paralyse ? Comment au contraire rend-elle inconscient du danger ? Comment et pourquoi, dans le feu de l’action et sous pression extrême, un groupe se répartit entre acteurs (minoritaires) et figurants (majoritaires). Comment des hommes et des femmes ordinaires (en CDD, par exemple, en couple ou non, avec ou sans enfants) parviennent à faire des choses qui sortent de l’ordinaire ? Parmi ces choses extraordinaires, on pense aux actes héroïques, qui forcent le destin et renversent parfois la donne sur le terrain, à la cohésion du groupe, au camarade que l’on va sauver au péril de sa vie, aux civils épargnés et protégés, mais il convient de ne pas oublier d’emblée que tuer ne va pas de soi. Comment s’adapte-t-on (ou pas) à la guerre, individuellement et collectivement ? Comment se prépare-t-on au combat, à l’épreuve du feu, en essayant de se mettre en condition le plus possible, sans y parvenir totalement ? Car sur le théâtre opérationnel, il n’y a pas de répétition générale. Et la première est déjà un baptême du feu auquel la préparation physique et mentale s’avère une ressource suffisante ou insuffisante. L’analyse du comportement au combat ne concerne ni la description des batailles ni le stress post-traumatique. Michel Goya précise qu’elle s’inscrit dans une tradition initiée, il y a plus de cent quarante ans, par Charles Ardant Du Picq dont les travaux furent prolongés avant et après la Première Guerre mondiale par une riche école française de pensée militaire qui s’éclipse après la déroute de l’armée française en 1940 et le traumatisme de la guerre d’Algérie. L’étude du comportement au combat devient alors un monopole anglo-saxon, que la France délaisse durant la guerre froide, où la dissuasion nucléaire occupe davantage les esprits que le combat. La fin de la Guerre froide, le retour de conflits armés, principalement asymétriques désormais, l’envoi de militaires français en opérations extérieures, les pertes humaines (plus de 3000 soldats), en refont aujourd’hui une préoccupation centrale. Comment la formation au combat s’attache à mettre en confiance les équipes, et chacun(e) de ses membres, afin de ne pas subir les évènements. Comment se construit dans la durée la cohésion du groupe et comment un turn over trop important le déstabilise ? Comment s’organise la rotation des équipes, chacune ne pouvant supporter qu’une certaine quantité de terreur et de stress, sur une durée limitée ? Comment éviter la perte des compétences ? Quel rôle joue le soutien ou l’absence de soutien de l’arrière dans les conditions de travail (gestion RH, logiciel de paye en état de marche, contexte budgétaire de réduction des moyens et des effectifs, information et soutien de l’opinion, etc.) ? Que se passe-t-il quand les verrous sautent ? Le cas paradigmatique du scandale d’Abou Ghraib. Des militaires de l’armée américaine et des agents de la CIA ont été accusés de violation des droits de l’homme à l’encontre de prisonniers, entre 2003 et 2004, lors de la guerre d’Irak, dans la prison d’Abou Ghraib. Amnesty International fut la première ONG à alerter sur les tortures physiques et mentales, les abus sexuels subis par ces prisonniers violés, sodomisés, exécutés. Michel Goya analyse : des réservistes envoyés en Irak, dont le temps de service est prolongé et qui se retrouvent affectés à Abou Ghraib. Quelle formation ces individus transformés en gardien de prison ont-ils reçu pour les empêcher de commettre de tels actes ? Leur a-t-on expliqué leur mission et leur changement de mission ? Quelle représentation ont-ils ou leur a-t-on inculqué de l’ennemi ? Si on leur a dit et répété qu’ils faisaient la guerre à des terroristes, des monstres, des psychopathes, si on a criminalisé l’ennemi au point de sembler justifier le racisme anti-musulman et anti-arabe, faut-il s’étonner ensuite qu’ils l’humilient et veuillent l’anéantir ? Ce faisant, on a oublié l’essentiel, ou oublié de le leur enseigner, que la guerre dans l’hypothèse où elle ne peut être évitée, doit contribuer à amener l’adversaire à négocier ! Michel Goya insiste par contraste sur la formation déontologique assurée en France et souvent enviée par d’autres Etats. Reste que l’échec d’un seul individu rejaillit sur tous et qu’une exaction commise par un seul soldat est in fine un échec et une faute du commandement. À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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26 Feb 2021 | #58 – Hong Kong, l’insoumise | 01:18:00 | |
En Plateau :François Bougon, journaliste, ancien correspondant de l’AFP en Chine et du journal Le Monde en Asie, est aujourd’hui responsable du service étranger de Mediapart. Sinophone, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Chine et signe, avec Hong Kong, l’insoumise. De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise (éditions Tallandier, 2020), l’un des rares livres en français sur le sujet. Contexte :Le 1er juillet 1997, Hong Kong est rétrocédée à la Chine et les Britanniques quittent le port parfumé dans lequel ils étaient arrivés 156 ans auparavant à bord de canonnières. C’est la fin de la politique du statu quo qui avait permis à la Grande-Bretagne de conserver ce territoire au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en pleine période de décolonisation. Le règlement de la question de Hong Kong n’était pas alors la priorité de la Chine communiste, préoccupée avant tout par la question de la survie de sa révolution et celle de sa consolidation, ainsi que plus tard par le développement de sa puissance économique et géopolitique, avec l’ouverture progressive du pays dans les années 1970. Pour autant, le règlement de la question est simplement différé, la souveraineté chinoise sur Hong Kong étant non négociable pour Pékin. La fin du bail emphytéotique de 99 ans, imposé à la Chine sur les Nouveaux territoires – après le traité de Nankin par lequel l’Empire victorien prenait possession de l’île de Hong Kong et la seconde guerre de l’opium qui lui permettait de conquérir la péninsule de Kowloon – le met à l’ordre du jour. Après deux ans de négociations, la Première ministre britannique Margaret Thatcher et le Premier ministre chinois Zhao Ziyang signent, en 1984, une Déclaration commune, ratifiée l’année suivante, garantissant jusqu’en 2047, un statut particulier à l’ancienne colonie britannique, résumé sous la formule : « un pays, deux systèmes ». L’humiliation des traités inégaux imposés à la Chine impériale au XIXème siècle, que la République chinoise n’a jamais reconnus, et dont Hong Kong était l’emblème, est lavée. Pékin retrouve la souveraineté sur ce territoire chinois. Hong Kong rentre dans le giron de la mère-patrie. Comment comprendre ce qui se passe aujourd’hui à Hong Kong ? Une jeunesse, née après la rétrocession du territoire à la Chine et qui n’a par conséquent jamais connu la colonisation britannique, se rebelle contre l’emprise croissante de Pékin qu’elle dénonce comme une nouvelle puissance coloniale, alors que Pékin se considère comme l’héritière des luttes anticolonialistes ! François Bougon nous invite à déconstruire mythes et clichés sur Hong Kong en nous plongeant dans l’histoire complexe de ce territoire et notamment sur l’identité particulière de ses habitants qui ont vécu un siècle et demi sous tutelle occidentale. Car, Hong Kong n’a jamais été la terre vierge évoquée par le récit colonial : la perle de l’Orient de l’Empire victorien, était déjà peuplée avant l’arrivée des Britanniques par des pêcheurs, agriculteurs et pirates, des Tankas, des Punti, des Hakkas et des Hoklo, et elle fut tout au long de son histoire, une terre d’accueil pour les Chinois du continent fuyant la faim et la misère, un refuge pour les opposants de tous les temps, un lieu d’exil. Elle fut aussi un lieu de confrontation et de tension, un centre de mobilisation politique et sociale, un lieu de réflexion intellectuelle où s’élaborait l’avenir de la Chine, le berceau du mouvement nationaliste qui renversa l’Empire Qing en 1911, et le lieu d’émergence, de transit ou de formation des révolutionnaires communistes, qui changèrent le destin de la Chine au XXème siècle. Hong Kong, acteur et spectateur de ce qui se passe en Chine continentale. Hong Kong, l’insoumise, s’opposa à l’occupant britannique, voire à l’expansion française en Indochine, et ce depuis la seconde moitié du XIXème siècle et durant le XXème siècle, organisant des grèves portuaires, des grèves générales, le boycott des produits britanniques sur place et sur le continent, des attentats. Conflits sociaux des années 1920, pour dénoncer les conditions de travail. Emeutes et attentats dans les années soixante, la révolution culturelle s’invitant à Hong Kong et divisant la population locale chinoise. À quelle époque débute la prise de distance d’une partie des Hongkongais vis-à-vis de la Chine ? Dès les évènements de 1966-1967, où les répercussions de la révolution culturelle auraient durablement effrayé et détourné de la Chine continentale une partie de la population de Hong Kong ? Après la répression sanglante du mouvement étudiant, le 4 juin 1989, place Tiananmen à Pékin, commémoré chaque année à Hong Kong par l’organisation d’une veillée au Parc Victoria ? Après la rétrocession de 1997 et l’attente inquiète qui s’installe ? Avec la manifestation du 1er juillet 2003, lorsqu’un demi-million de personnes s’opposent au projet de loi sur la sécurité nationale ? En tout cas, le mouvement des Parapluies occupant plusieurs quartiers de Hong Kong de septembre à décembre 2014 (durant 79 jours), qui réclame un véritable suffrage universel, jamais instauré du temps des Britanniques, mais qui devait l’être durant la période de transition, s’inscrit dans cette tradition de mobilisations civiles. Il en va de même pour les grandes manifestations de l’été 2019 contre un projet d’extradition vers la Chine présentée par la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam. Comment réagit ou réagira l’establishment local qui a dans l’histoire de ce territoire, chaque fois, pris parti pour le plus fort, qu’il soit britannique, japonais ou chinois ? Que recouvre la revendication d’une identité hongkongaise distincte ? Comment le fait qu’on parle cantonnais à Hong Kong et mandarin en Chine continentale, s’ajoutant à l’existence d’un cinéma hongkongais dont Bruce Lee est une icône, de la canto-pop, de l’esprit du « rocher au lion » symbolisant la fierté d’avoir fait de Hong Kong une métropole financière de premier rang, sont autant d’éléments constitutifs d’une certaine culture et modalités d’existence ? Comment des référents identitaires multiples coexistent-ils ? Comment le discours officiel accordant une place centrale aux Hans, contribue à l’exclusion des différences dont toute expression est réprimée au Tibet et au Xinjiang ? Toutes proportions gardées, cette grille de lecture est-elle, oui ou non, pertinente pour Hong Kong ? Sur un territoire qui n’a jamais été une démocratie du temps des Britanniques, des individus et des organisations se battant pour conserver des droits et libertés dont ils jouissaient, et pour en obtenir davantage, font aujourd’hui l’objet de répression (intimidations, emprisonnements, condamnations, perte d’emploi, etc.). La pandémie met un frein à la mobilisation de la rue et renforce la lutte de l’exécutif local contre ses opposants. Hong Kong peut-il néanmoins gâcher le centenaire du Parti communiste chinois, le 1er juillet 2021 ? Cette crainte conduira-t-elle Xi Jinping, qui n’a oublié ni la pérestroïka de Gorbatchev ni la chute de l’Union soviétique, à rechercher activement une sortie de crise et laquelle ? Que peut d’autre part gagner ou perdre ce territoire de 7 millions d’habitants dans la rivalité sino-américaine pour la place de première puissance mondiale ? Hong Kong, n’est-ce qu’un pion au XXIème siècle, après avoir été le lieu du rapprochement sino-américain au XXème siècle ? Quelle force du point de vue du droit international revêt la Déclaration sino-britannique de 1984, attribuant à Hong Kong un haut degré d’autonomie jusqu’en 2047, dans une période de grand désordre international qui n’épargne ni les normes juridiques ni leur universalité ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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05 Mar 2021 | #59 – Chef de guerre | 00:56:44 | |
En plateau (ou presque) :
Contexte :Entré en 2011 dans les commandos marine, Louis Saillans devient chef de groupe, cinq ans plus tard. Durant les dix dernières années, il a participé à des opérations militaires en Afrique et au Moyen-Orient visant à libérer des otages, capturer des responsables djihadistes ou neutraliser des cibles dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Grâce à des notes prises au cours de ses missions et des documents d’archives auxquels il a eu accès, il dévoile la réalité des missions des forces spéciales. Il existe peu de témoignages et d’écrits sur ce sujet en France. Il nous décrit la vie des soldats de l’ombre partis en mission loin de la France, durant des semaines ou des mois, dont on sait si peu de choses qu’on pourrait presque les oublier ou bien ne plus se rappeler ni quand ni pourquoi ils ont été envoyés à l’étranger, par décision politique. Les médias ne parlent que de certaines de leurs opérations, au cours desquelles il arrive parfois que certains membres des forces spéciales trouvent la mort au combat, sur le terrain. Qu’est-ce qu’un chef de guerre ? Comment devient-on commando marine ? Qu’est-ce qu’un stage commando ? Louis Saillans nous plonge dans le quotidien peu ordinaire des hommes de son groupe dont il est devenu le chef, et la fraternité d’armes qu’il partagent entre eux. En ne disant que le strict nécessaire, sans mettre en danger qui que ce soit ou quoi que ce soit, sans révéler les véritables identités, sauf celles des morts, en floutant les visages et caviardant volontairement certains détails. Il revient sur la formation et la préparation physique et mentale qu’ils reçoivent, afin d’être en mesure, autant que possible, de faire face à des conditions extrêmes. Sans perdre la faculté de juger, la fibre humaine, la voix de la conscience. C’est cependant par un adieu aux armes que s’achève ce témoignage exceptionnel. Celui qui n’a cessé d’observer le théâtre opérationnel depuis dix ans, de le confronter aux enjeux locaux, globaux, internationaux, avec les réponses qu’apportent ou tentent d’apporter les autorités politiques en France, s’interroge sur les raisons pour lesquelles on ne parvient pas, on ne peut pas gagner la guerre, sans la perdre complètement non plus, dès lors qu’il s’agit de lutter non seulement contre le terrorisme mais contre tout ce qui l’alimente, le fait proliférer et prospérer : les trafics en tous genres (drogue, êtres humains, armes, etc.), la corruption qui gangrène les États faibles des régions concernées, ou leur prétendu centralisme qui masque mal la confiscation des richesses et des ressources du pays au profit de quelques-uns et au détriment des autres, au profit d’un groupe ou d’une ethnie au détriment des autres. Il n’est pas le seul à appeler notre attention sur la nécessité de prendre à bras le corps cette dimension de la question et de cesser de croire ou faire croire que face à de tels enjeux stratégiques de paix et de sécurité internationales, la réponse puisse être uniquement militaire. Louis Saillans pense qu’il est urgent de combattre sur le terrain des idées face à de tels enjeux. Il entend s’y consacrer désormais, en s’intéressant notamment à la jeunesse. Pourquoi un très jeune berger d’une région désertique rejoint-il un groupe djihadiste ? Pourquoi ici ou là un jeune est-il tenté d’en faire autant ou attiré par le terrorisme ? La recherche des racines des maux conduit à l’inéluctable question des responsabilités partagées quant à l’état du monde que nous laissons aux jeunes générations. Mas il faut aussi agir et proposer. Quelles fenêtres d’ouverture existe-t-il pour les jeunes face à la crise d’un monde qui semble à bout de souffle, ne proposant d’autre idéal que celui de la consommation, qui réduisant la valeur de l’individu à son pouvoir d’achat ? Comment les aider à se projeter dans l’avenir ? Quelles perspectives dégager face à la sinistrose, l’horizon plombé, la relativisation de toutes choses, le désenchantement généralisé ? Comment aider chaque jeune à trouver les ressources infinies et insoupçonnées en soi, la valeur inaliénable de sa vie, son potentiel, son aptitude à tracer sa route et forger son destin ? À l’oreille :
Pour aller plus loin :
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05 Mar 2021 | #60 – Une histoire du rock chinois | 01:09:59 | |
En plateau :Coraline Aim, journaliste indépendante, spécialisée en culture contemporaine chinoise et sinophone, a découvert le milieu underground pékinois en 2006. Elle est l’auteure de Red Flag, une histoire du rock chinois, paru aux éditions Le mot et le reste en 2018. Dans ce livre tiré d’une centaine de rencontres et interviews d’acteurs et d’actrices de la scène musicale indépendante, réalisées à Pékin et dans d’autres grandes villes chinoises, elle relate l’histoire du rock en Chine. Contexte :Après la mort de Mao Zedong, le 9 septembre 1976, et le lancement de la réforme économique dite des Quatre modernisations par Deng Xiaoping, en 1978, les frontières de la Chine restées longtemps infranchissables s’ouvrent progressivement au monde. Jusqu’alors, et pendant près de trois décennies, rien ni personne n’est pour ainsi dire sorti de Chine ou entré. Ni musique, ni art, ni technologie, ni mode, etc. En outre, la Révolution culturelle, à partir de 1966, s’attaque à ce qu’elle dénonce comme les Quatre vieilleries (les vieilles idées, les vieilles coutumes, les vieilles habitudes et la vieille culture), et accentue violemment la césure instaurée après la Révolution de 1949 et la création de la République populaire de Chine (RPC): les jeunes générations sont privées de liens directs ou indirects avec la riche tradition culturelle et longue histoire du pays. A titre d’exemple, les seuls opéras autorisés et les seuls chants diffusés à la radio sont à la gloire des héros de la Révolution chinoise. L’arrivée de la musique pop, en provenance de Hong Kong ou Taïwan, signifie entendre pour la première des mélodies douces et suaves où il est question d’amour, et de rien d’autre. Coraline Aim nous fait découvrir comment l’émergence de musiques alternatives a contribué à la création d’une scène indépendante chinoise. Comment l’essor du rock chinois installe durablement une contre-culture, en marge de la globalisation et mondialisation du R’n’B américain ou de la musique électro occidentale diffusée aujourd’hui dans les bars et les discothèques de Chine ? Elle souligne que l’histoire du rock chinois est indissociablement liée à l’histoire de la Chine des années 1980 à nos jours. C’est une histoire en accéléré mettant en scène un nombre limité de protagonistes parvenus néanmoins, en trois décennies, à pérenniser l’aventure du rock chinois, jusqu’à en faire un style à part entière. Le rock apparaît pour la première fois en Chine en 1979 et il suit une évolution rapide vers le hard, le heavy metal, puis le punk, le rock indé, le rock psychédélique et toutes sortes de musiques expérimentales. S’il reste un phénomène marginal, jugé décadent par les autorités officielles, son public s’élargit. Et il se développe en rythmant les temps forts de l’histoire contemporaine du pays. Il est au rendez-vous en 1989, lors de la contestation étudiante, place Tiananmen, demandant des réformes politiques (la « 5ème modernisation », celle qui n’était pas inscrite au programme). Le hard rock et le metal naissent à la suite de la répression sanglante du 4 juin 1989, comme un acte de rébellion, en signe de rupture avec le régime. Avec la génération de l’enfant unique et l’avènement de la société de consommation, il devient moins contestataire et davantage une posture : 1989 reste un tabou et il faut contourner la censure. Il profite de l’occasion des Jeux asiatiques de l’automne 1990 pour rebondir, comme du développement d’internet en 1997, de l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2000 et de la désignation de la capitale chinoise pour organiser les Jeux olympiques en 2008, de l’exposition universelle de Shangaï en 2010, etc. Au fil du temps, des labels comme Maybe Mars, des salles de concert comme D-22, des disquaires, des studios d’enregistrement, des festivals comme Modern Sky, des plateformes de streaming font leur apparition et, tout en créant un marché, améliorent considérablement les conditions de la création instrumentale et de sa production, malgré les pressions politiques sur tout ce qui n’est pas culture mainstream. Tout passe par le Bureau de la censure et il faut déployer un talent pour la contourner ou bien s’autocensurer. Après avoir exprimé sa part d’idéalisme et de rêves, le rock chinois exprime désormais davantage un certain désenchantement. D’ouvertement contestataire, il s’est transformé en posture et mode de vie. Moins politisé, il dit le mal-être d’une jeunesse urbanisée et les difficultés du passage à l’âge adulte dans un monde en constante mutation. Chemin faisant, il a forgé sa propre identité, ce timbre particulier et cette sonorité singulière qui l’émancipent de ses emprunts d’origine à la pop occidentale ; et il reste l’un des éléments moteurs d’une culture non mainstream (ou contre-culture), qui ne se limite plus à Pékin, mais s’étend aux autres métropoles chinoises. À l’oreille :
Grand nom de la pop taïwanaise et hongkongaise, Teresa Teng « à la voix de velours » contribue à la diffusion massive de la musique gangtai : « La lune représente mon cœur » est la première chanson gangtai populaire sur le territoire chinois.
La première introduction de la musique occidentale en Chine.
L’ère Heavy metal et Hard rock post-répression de Tiananmen. Le chanteur Ding Wu renoue avec les techniques vocales de l’opéra chinois, des textes poétiques emblématiques de la culture chinoise et des éléments folkloriques.
L’ère punk et la génération de l’enfant unique.
Un groupe de féministes aux textes trashy et politiquement engagés dans le paysage du rock pékinois. Elles chantent en anglais.
Le groupe occupe une place fondamentale dans l’évolution du rock, une référence pour les nouvelles générations. Leurs chansons évoquent les désillusions de la jeunesse urbaine.
L’âge d’or du rock indé en Chine, avant les JO. Le trio Carsick cars, à la sonorité no-wave, devient avec son album homonyme, Carsick cars, la grande référence du rock chinois et le morceau « Zhongnanhai », est l’un des titres les plus emblématiques de l’album, avec son double sens qui lui fait désigner le siège du gouvernement et une marque de cigarettes.
Représentant de la scène punk, le groupe puisant dans le street punk et le métal des années 1980, s’oppose à l’image que la Chine veut donner d’elle l’année où elle organise les JO. Paysage sonore apocalyptique, comme la jaquette de l’album Bastards of the Nation, représentant l’immeuble abritant le siège de la télévision, partiellement détruit. Le dernier morceau du disque, Voice of the People, est interprété en acoustique.
L’ère post JO. Héritier de P. K. 14 et Carsick Cars, Birdstriking utilise des drones qui poussent les sons post-punk vers un style noise et psychédélique. Le titre original de « Colored heart » était en réalité « Ton cœur devrait être de toutes les couleurs et pas seulement rouge », il a été modifié.
Chui Wan utilise dans ce deuxième album, au style très épuré, des instruments traditionnels pour en extraire des sons, en faire des samples, créer des boucles et en faire une improvisation sur du rock psychédélique, voire expérimental.
L’émergence d’une forte culture hip-hop depuis 2016. Le rap est banni des médias officiels et le rappeur GAI a disparu des écrans après un passage en télévision en 2018. Pour aller plus loin :
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19 Mar 2021 | #61 – Voyage au cœur des ténèbres | 01:19:59 | |
En plateau :Patrick de Saint-Exupéry, journaliste, lauréat du Prix Albert Londres et du Prix Bayeux des correspondants de guerre, cofondateur de la revue XXI dont il fut rédacteur en chef pendant dix ans, publie La Traversée. Une odyssée au cœur de l’Afrique, aux éditions Les Arènes. Contexte :Patrick de Saint-Exupéry, longtemps grand reporter au Figaro, était au Rwanda au début des années 1990, avant, pendant et après le génocide des Tutsi qui, d’avril à juin 1994, fit plus de 800 000 victimes. Témoin oculaire de ce crime contre l’humanité, imprescriptible et sanctionné par le droit international depuis l’entrée en vigueur de la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, il n’a cessé depuis 27 ans de s’interroger et d’interroger autour de lui, de se documenter sur ce crime inouï, commis à la fin du XXème siècle, et qualifié de « génocide sous sa forme la plus pure » par l’historien Raul Hilberg. Ses enquêtes et ses livres ont contribué à faire émerger comme incontournable et inéluctable, la question de la responsabilité de l’État français. Ce dernier soutenait en effet alors politiquement, diplomatiquement, financièrement et militairement le régime Hutu qui a planifié, organisé et mis à exécution le projet d’extermination des Tutsi au Rwanda. Pour mémoire, ce pays d’Afrique de l’Est n’a jamais été une colonie française et aucun accord de défense ne liait les deux pays. Lors du dix-huitième sommet France-Afrique qui s’est tenu à Biarritz du 7 au 8 novembre 1994, en présence de Mobutu, le président François Mitterrand valide publiquement la doctrine officielle de l’Élysée, dénonçant comme une vision manichéenne de l’histoire la distinction entre victimes d’un côté et bourreaux de l’autre : si génocide il y a bien eu, duquel parle-t-on ? C’était à ne plus rien y comprendre. La confusion et le doute jetés permirent au déni, au discours niant le génocide, de prospérer et se répandre. Sur la base d’un mensonge, la détention de la boîte noire de l’avion par un militaire français, on accusa d’abord les troupes du FPR de Paul Kagame d’être à l’origine du tir de missiles qui abattit l’avion présidentiel de Juvénal Habyarimana, attentat au lendemain duquel débuta l’extermination des Tutsi. Puis, surgit quelques années plus tard la théorie dite du double génocide : au génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda aurait succédé deux ans plus tard celui des Hutu en République démocratique du Congo ( appelée le Zaïre à l’époque). Subtile, perverse, elle ne nie pas le génocide de 1994, mais le relativise par ce qui se serait produit en 1996. Le poison du déni continue d’être savamment distillé. Car de quoi parle-t-on en voulant créer un effet de miroir entre 1994 et 1996, deux dates qu’on tente de rapprocher au forceps en les mettant sur le même plan, suggérant ainsi une ressemblance et des rapports de même nature ? De génocide ? de guerre ? de violences interethniques ? Que s’est-il vraiment passé en 1996 ? Patrick de Saint-Exupéry décide de se lancer dans une enquête de terrain qui le conduit dans un long périple qui part de Kigali, capitale du Rwanda, à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, en traversant l’immense forêt équatoriale congolaise. Il fait son travail de journaliste. Car si la théorie du double génocide bénéficie de relais importants en France, en Europe et en Afrique, personne avant lui ne s’est donné la peine d’aller enquêter de l’autre côté de la frontière rwandaise. Il voyage à pied, à dos de motocyclette, en bateau sur le fleuve Congo. Il se rend à Goma, Kivu, Walikale, Tingi Tingi, Kisangani, le couloir de la mort, Mbandaka. Il cherche la vérité. Il interroge des témoins et les cite. Dans son sac à dos, le rapport Mapping sur le Congo publié en 2010 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et consacré aux atteintes aux droits de l’homme dans le pays entre 1993 et 2003. Seul un quart des événements recensés dans ce rapport concerne la période sur laquelle se concentrent les recherches de Patrick de Saint-Exupéry, mais il est capital pour plusieurs raisons. Il est brandi depuis sa parution comme une pièce à conviction majeure dans le dispositif des théoriciens du double génocide. Or, les noms des auteurs du rapport ne sont pas cités, les auteurs des témoignages mentionnés pas davantage. Difficile de vérifier les sources dans ces conditions. En outre, l’écriture elle-même du rapport est biaisée. Elle parle de la guerre qui oppose au Zaïre les rebelles congolais de Kabila, soutenus par les troupes rwandaises de Kigali, aux troupes de Mobutu qui sont quant à elles soutenues par les responsables politiques, militaires, miliciens Hutus qui contrôlent une zone du territoire zaïrois, depuis leur fuite du Rwanda, en juillet 1994. Les auteurs du rapport Mapping parle de cette guerre en la décrivant non pas comme une guerre (avec ses violences, ses horreurs, ses massacres, ses crimes de guerre) mais comme un génocide : « Waterloo avec les mots d’Auschwitz ». La rédaction du rapport ne pose-t-elle pas problème ? N’oriente-t-elle pas la lecture des événements ? Quelle est la pertinence de l’analyse ? Et la formulation d’une hypothèse dispense-t-elle de tout processus de validation ? Dans les camps installés à la frontière du Rwanda depuis la mi-juillet 1994, où les responsables politiques et militaires du régime hutu génocidaire ont emmené avec eux armes et richesses du pays, ainsi que deux millions de personnes, s’est construit en deux ans un « Hutuland », un État dans un État au sein du Zaïre (RDC). Sur ordre, les criminels génocidaires ne sont pas arrêtés durant l’opération Turquoise, mais bénéficient de la protection et assistance de Mobutu à la tête depuis 30 ans d’un État désormais failli. Dans ces camps où responsables génocidaires et civils bénéficient tous au même titre du statut de réfugiés, où afflue l’aide humanitaire internationale, tandis que le véto français empêche tout versement d’une aide à la reconstruction au Rwanda, dans ces camps où les épidémies font de nombreuses victimes, la haine des Tutsi est entretenue dans un climat de violence et de revanche paroxystique, propageant alentour « le goût de tuer », diront des témoins congolais de cette époque. En 1996, ces camps qui échappent au contrôle des ONG, sont démantelés et les réfugiés invités à rentrer au Rwanda. 700 000 d’entre eux le feront. Un noyau dur refusera de le faire et prendra la responsabilité de conduire sous son commandement 200 000 personnes, armées pour la plupart, qui s’enfonceront dans la forêt congolaise dans des conditions extrêmement difficiles. Ils mourront pour beaucoup de faim et d’épuisement. C’est bien une guerre qui opposa les troupes de Mobutu et ses alliés Hutu aux rebelles congolais qui prendront le pouvoir à Kinshasa, en empêchant, avec leurs alliés de Kigali, les camps de réfugiés du « Hutuland » de servir de base arrière. Une guerre qui s’est accompagnée de violents combats, mais aussi de massacres. Il y a eu des crimes de guerre. Cela n’est cependant pas un génocide. Aucune équivalence ne peut être posée entre les deux termes. Un crime de guerre n’est pas un crime contre l’humanité, lequel se définit d’abord par son intention d’exterminer totalement un groupe d’individus en raison précisément de l’appartenance de ces derniers à ce groupe ciblé en tant que tel en raison de son ethnie, sa religion, etc. Il n’y a jamais eu d’intention d’exterminer les Hutu en 1996, pas de projet génocidaire à leur encontre. Kigali demandait leur retour et lançait un programme de réconciliation nationale et de lutte contre l’idéologie génocidaire. A l’heure où les démocraties s’inquiètent des fake news, de la désinformation à l’ère du numérique, du succès des théories du complot, de ladite post-vérité ou vérité alternative, on aurait sans doute beaucoup à apprendre en étudiant davantage comment se met en place et fonctionne la mécanique du discours négationniste, consubstantiel à tout projet génocidaire, lequel comprend la fabrication d’un discours visant à le nier. À l’oreille :
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24 Mar 2021 | #62 – Un Printemps nommé Désir | 01:02:54 | |
En plateau (Virtuel) :Sophie Nauleau, écrivain et directrice artistique du Printemps des Poètes, publie Ce qu’il faut de désir chez Actes Sud. Contexte :Le Printemps des Poètes est une manifestation francophone, créée au siècle dernier, en 1999, afin de célébrer la poésie. Il se déroule chaque année en France et au Québec : programmé sur une semaine à ses débuts, désormais sur deux, il rythme, au fil du temps, la saison tout entière, voire davantage, tant son succès l’a durablement installé dans le paysage culturel. On l’attend comme les beaux jours. Depuis qu’elle en a pris la direction artistique, il y a 4 ans, Sophie Nauleau lui attribue chaque année un thème comme un emblème, en suivant l’ordre alphabétique. Un mot, un substantif, lancé comme un défi. Comme il se doit, la lettre A ouvrit la marche : A comme Ardeur, puis vint le tour de B comme Beauté, C comme Courage. En 2021, pour sa 23ème édition (13 –29 mars) la lettre D est à l’honneur, D comme Désir. Force est de constater que ni le courage ni le désir n’ont manqué pour assurer le déroulement de cette manifestation culturelle que la crise sanitaire a contrainte à s’adapter dans l’urgence et se réinventer pour tenir bon et être au rendez-vous. Des milliers d’événements ont eu lieu et se dérouleront encore partout en France : 2500 sont recensés sur le site du Printemps des Poètes. Poésie et Désir : vaste programme ! Libre à chacun de considérer ou non que la poésie, qu’elle soit festive, amoureuse, contemplative, mystique, courtoise ou romantique, lyrique ou épurée, est tout entière Désir. D’autres diront qu’elle est par excellence l’expression du Désir ou d’un désir ? Faut-il les délimiter, différencier respectivement ? Situer ? Entre la réalité et l’imagination ? Entre la vie et le songe, existe-t-il une troisième chose, qui doit être l’objet de notre désir, comme l’écrit Antonio Machado ? Quel est le rôle du désir dans la création poétique ? Mimésis ? Démesure ? Elan au-delà de nous-mêmes ? Si les mots avec leurs sonorités, leur rythme, leur rime et leur agencement peuvent nous bouleverser, nous émouvoir et bousculer l’ordre des choses, n’est-ce pas là le signe qu’il n’y a rien qui nous oblige à accepter le réel comme une nécessité ou une fatalité ? Sophie Nauleau a également contribué par l’écriture à ce Printemps des Poètes en publiant Ce qu’il faut de désir, un récit relevant à la fois de l’essai et de l’autobiographie, nourri de poésie, de poètes et de poèmes, pétri de cette ferme conviction que le désir est au cœur de toute l’aventure poétique, du Moyen Age des Troubadours jusqu’à nos jours. Elle nous entraîne sur mille ans d’un continuum poétique, en tordant le cou au passage à quelques idées reçues. Dans cette invitation au voyage dans le temps et dans l’espace, elle nous fait (re)découvrir au gré de ses lectures, souvenirs et émotions, des figures poétiques oubliées, d’autres plus connues, d’ici et d’ailleurs. Louise Labé, Pernette du Guillet, Jean Meschinot, Charles d’Orléans, Marie de France, Philippe Desportes, Apollinaire, Mahmoud Darwich, etc. Des femmes, des hommes, aimantés par le fil rouge du désir dans un désordre poétique, en toute liberté. À l’oreille :
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02 Apr 2021 | #63 – La souveraineté de la Syrie en question | 01:13:00 | |
En plateau (virtuel)Fabrice Balanche, géographe, enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon-II, spécialiste de la Syrie, du Liban et du Proche-Orient en général, dont l’expertise est internationalement reconnue . Contexte :2011-2021 : Dévastée par 10 ans de guerre, la Syrie semble avoir atteint désormais un niveau de conflictualité relativement bas, même si sur le terrain tout n’est pas réglé, ni figé, parfois simplement différé. Certaines zones peuvent rapidement s’embraser comme le plateau du Golan, le Nord-Est du pays, ou dans la région d’Idlib pour rouvrir l’axe routier Alep-Lattaquié. Sans oublier que la remise en question par l’Iran du monopole nucléaire d’Israël dans la région est source d’une vive tension internationale, qui, si elle dégénérait en guerre préventive, placerait la Syrie déjà située au centre de l’arc de crise, au cœur d’un champ de bataille aux enjeux régionaux et internationaux dépassant de beaucoup le contexte syrien. Toutefois, force est de constater que le régime de Bachar al-Assad ne s’est effondré : ni en 2011, au tout début du soulèvement, ni en 2013 lorsqu’il ne contrôlait plus qu’un cinquième du territoire syrien et à peine la moitié de la population. On assiste en 2021 à un retournement complet de situation, le régime ayant reconquis les deux tiers du territoire (dont la totalité des 6 principales villes du pays) et 65% de sa population. La stratégie contre-insurrectionnelle mise en place pour vaincre les différents groupes rebelles, avec l’aide de ses alliés (l’Iran dès le début, la Russie à partir de 2015) a porté ses fruits. Mais à quel prix ? Les frontières internationales de la Syrie n’ont certes pas été remises en cause, et aucune partition du pays n’a été entérinée par la communauté internationale, constate Fabrice Balanche. Pourtant, à regarder de plus près les différentes cartes du pays, avec l’œil d’un géographe et celui d’un expert en cartographie, il apparaît que la Syrie a perdu de fait le contrôle de la plupart de ses frontières externes. Ce qui pose légitimement la question de savoir ce qu’il reste de la souveraineté pleine et entière du pays, après la perte d’un tel attribut régalien. L’espace aérien syrien est largement contrôlé par la Russie qui surveille aussi ses frontières maritimes. Quant aux frontières terrestres, les forces de Damas n’en contrôlent qu’un tiers, à cette réserve près que ce ne sont pas elles qui stationnent sur ces dyades-là, mais le Hezbollah ou les milices chiites irakiennes. C’est le cas de la frontière syro-libanaise et de celle syro-irakienne. Moins stratégique, la frontière avec la Jordanie sur laquelle l’armée syrienne est revenue en 2018, est néanmoins régie pas un accord supervisé par la Russie laissant une certaine autonomie aux forces rebelles bénéficiant ainsi de liens transfrontaliers. La frontière syro-turque échappe au contrôle de Damas, et la Turquie a érigé un mur tout le long de son tracé, afin d’empêcher les infiltrations du PKK et bloquer l’arrivée des réfugiés. Depuis l’offensive turque d’octobre 2019 et le retrait subséquent des Américains, la Russie a désormais pris le contrôle de l’ancienne zone de contact entre les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’armée turque et ses supplétifs de l’ANS (l’Armée nationale syrienne). Des patrouilles russo-turques supervisent l’effectivité du retrait des FDS de la zone frontalière. A Manbij, ce sont les forces russes qui ont pris le relai des forces américaines et françaises. Semalka/Fresh Kabour reste le seul poste-frontière entre le Rojava (zone kurde constituée des trois cantons de Qamishli, Afrin et Kobane, dont l’incursion turque au nord et à l’est syrien a empêché la réunion) et le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK, au nord de l’Irak). Fabrice Balanche souligne également que dix années de guerre ont exacerbé les frontières internes du pays et les discontinuités territoriales alaouites, sunnites, kurdes, mais aussi druzes (la région druze ayant aussi créé ses propres milices). En outre, les discontinuités se sont aussi démultipliées au sein des zones de mixité ethnique. De même, on observe des fractures durables au sein de villes comme Alep, Homs et Damas, conséquence des sièges et combats meurtriers qui s’y sont déroulés. Loin de réduire le processus de fragmentation interne du pays, la présence de troupes russes, américaines, turques et iraniennes en Syrie contribue au contraire à le renforcer. Dans ces conditions, comment la reconstruction est-elle possible ? Comment bâtir ou rebâtir de solides infrastructures (réseau d’égouts, hôpitaux, écoles, conduites d’eau, réseau d’électricité) sur l’ensemble du territoire en l’absence d’un pouvoir étatique qui en contrôle toute l’étendue ? Damas n’est pas en mesure de peser sur la multiplicité des acteurs locaux jouissant sur le terrain d’une certaine autonomie et du soutien de puissances étrangères. La perte de contrôle des frontières externes et de zones entières à l’intérieur signifient pour le pays une perte considérable de ressources et de richesses. Par exemple : la Syrie, autrefois 4ème exportateur mondial de phosphate ne tire désormais plus le bénéfice de son exploitation à Palmyre et de sa commercialisation. Quel avenir, dans ces conditions, pour la Syrie fragilisée par la perte de sa souveraineté sur ses frontières, entourée de murs ou de barrière de protection, frappée par la dévalorisation de sa monnaie? Un pays réparti en zones d’influence ? Un protectorat russo-iranien avec une zone de sécurité turque ? Quel sort pour les populations civiles déplacées ou réfugiées au Liban, en Jordanie, en Turquie qui ne rentreront sans doute pas chez elles, par crainte de règlement de comptes, de représailles, de dénonciations calomnieuses et d’emprisonnement, et dont les biens, les maisons et les terres sont désormais entre d’autres mains, selon un processus classique de captation des richesses et d’ingénierie sociale ? À l’oreille :
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31 Mar 2021 | #64 – Little Louis in New Orleans | 01:05:00 | |
En plateau :Claire Julliard, journaliste littéraire et écrivain, auteure d’une biographie de Boris Vian et de romans pour la jeunesse, publie Little Louis aux éditions Le mot et le reste, un roman à la première personne, sur l’enfance à la Nouvelle Orléans de Louis Armstrong (1901-1971). Contexte :Louis Armstrong dont on commémore cette année le centième anniversaire de sa naissance, est né et a grandi à la Nouvelle-Orléans. Élevé jusqu’à l’âge de 5 ans par sa grand-mère Joséphine, une ancienne esclave, il l’appelle Maman. Sa mère, qu’il appelle Mayann, reprend alors l’enfant, car elle ne parvient pas à élever seule sa sœur plus jeune que lui, et subvenir aux besoins du foyer. Séparation douloureuse pour cet enfant cabossé par la vie, qui fait connaissance en une même journée de sa mère et de sa sœur, Mama Lucy, ainsi que de la ségrégation raciale, lorsqu’en prenant le tramway en larmes pour se rendre chez sa mère, il tente de s’asseoir à l’avant près du conducteur, dans la partie réservée aux Blancs. Claire Julliard a puisé la matière principale de son roman dans les propres souvenirs de Louis Armstrong consignés dans Ma vie à la Nouvelle-Orléans. A 5 ans, voilà donc Little Louis devenu chef de famille, prenant soin de sa petite sœur, faisant les courses et multipliant les petits boulots, pieds nus, pour nourrir la famille qui connaît la faim. Le jour, il est charbonnier, livreur de journaux, laitier, balayeur de tombes. Le soir, il a son couvert chez les Karnofsky qui le prennent sous leur protection. Il les considérera jusqu’à la fin de sa vie comme « sa » famille juive. Ils l’aideront à acquérir son premier instrument de musique. A la tombée de la nuit, il est musicien des rues et chante, avec quelques copains, afin de récolter quelques pièces. Un soir de Nouvel An, le 31 décembre 1912, il tire en l’air avec un pistolet pour faire la fête, et se fait arrêter par la police. Il est envoyé dans une institution pénitentiaire pour enfants noirs abandonnés. Il y reste un certain temps, aucun Blanc n’ayant payé la caution pour qu’il en sorte au plus vite. Mais, il y apprend à jouer du cornet à piston, il intègre la fanfare de l’établissement, dirigée par Peter Davis qui a repéré son immense talent et dont il restera proche tout au long de sa vie. A sa sortie du Refuge, il retourne pelleter du charbon, le vendre à la criée en chantant ou jouant du cornet pour attirer le client. Devenu le père adoptif de Clarence, sur décision du conseil de famille, il veille en outre sur l’enfant de sa cousine décédée, et le fera jusqu’à la fin de ses jours. Le soir, il joue dans les bars, les bouges du quartier chaud de Storyville, fréquentés par les prostituées et les voyous, dans les « honky tonks » où s’invente le jazz à la Nouvelle-Orléans, sur fond de gospels, de blues et de musique de fanfare. Son amour pour sa ville natale, l’enfant de la rue devenu un génie de la trompette le chantera haut et fort et n’hésitera jamais à dire ce que tous les musiciens du monde doivent à cette ville, qu’il quitte pour la première fois, à l’âge de 18 ans, quand Fate Marable le recrute dans son orchestre de jazz sur le Dixie Belle, un de ces « steamers » touristiques (ou bateaux à vapeur) qui remontent le Mississipi. C’est là qu’il troque son cornet à piston contre la trompette, un instrument qui n’était joué que dans les orchestres de luxe. A 20 ans, il quittera définitivement la Nouvelle-Orléans, pour Chicago d’abord, à l’appel de Joe King Oliver, et pour entamer ensuite une grande carrière internationale. Originaire comme lui de la Nouvelle-Orleans, King Oliver incarne la troisième bonne étoile de Little Louis qui l’admire depuis son plus jeune âge et dont il observait et mémorisait les gestes des doigts des mains et le souffle pour apprendre à jouer d’un instrument qu’il rêvait d’acquérir un jour. Avec sa musique, son cornet à piston, sa trompette, sa voix, sa foi en l’humanité, son énergie et sa joie de vivre, il cherchera à vaincre les barrières de la ségrégation, le racisme, l’exploitation de l’homme par l’homme. À l’oreille :
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16 Apr 2021 | #65 – Deux espions sur un plateau | 01:28:04 | |
En plateau :Sergueï Jirnov, ancien officier traitant du KGB, membre de la célèbre et redoutée direction « S », co-auteur avec François Waroux de KGB/DGSE, 2 espions face à face, publié aux Éditions Mareuil. François Waroux, ancien officier traitant du SDECE, puis de la DGSE, co-auteur avec Sergueï Jirnov de KGB/DGSE, 2 espions face à face, publié aux Editions Mareuil. Contexte :L’espionnage est l’un des plus vieux métiers du monde, avec la prostitution. Mais il s’exerce dans le plus grand secret, généralement. On ne parle pas ou très peu du succès de ses activités et missions. Quant à leurs opérations, sauf exception, elles ne sont pas revendiquées. Leurs échecs font davantage de bruit, quand il est impossible de cacher le désordre provoqué ou l’embarras suscité. On sait, par conséquent, peu de chose de la réalité du métier d’espion au quotidien, de sa routine en particulier et de sa discipline. Cette méconnaissance explique sans doute une part des fantasmes entourant l’univers des agents de l’ombre. Elle ne contribue pas peu à renforcer, sinon l’attractivité du métier, du moins la fascination qu’il peut exercer, à en croire les nombreuses productions cinématographiques ou séries cultes dont il fait l’objet. C’est dire à quel point il est rare de pouvoir écouter deux espions face à face parler librement de leur métier ! L’occasion en est fournie grâce à la parution du livre que signent ensemble Sergueï Jirnov et François Waroux, KGB/DGSE, 2 espions face à face, aux Editions Mareuil. C’est la première fois qu’un ouvrage d’échanges entre deux membres de ces deux services est publié. Sergueï Jirnov est un ancien officier supérieur du KGB, diplômé de l’Institut Andropov, opérant pour l’URSS, de 1984 à 1992, au sein de la direction du service dit des « illégaux » : il a principalement opéré en France afin notamment de pénétrer des cercles de décision et d’infiltrer l’ENA. Il est réfugié en France depuis 2001. François Waroux, ancien élève de l’École supérieure militaire de Saint-Cyr, après un début de carrière militaire, a été officier traitant du SDECE, puis de la DGSE, de 1977 à 1995. Il a agi sous couverture à l’étranger pour la France, aux États-Unis, en Éthiopie et au Pakistan, où il a été chef de poste. Après avoir longtemps œuvré dans l’ombre pour deux camps opposés, durant la guerre froide et après la chute de mur de Berlin, ces deux officiers supérieurs ouvrent un dialogue inédit, sans tabou, sur leur carrière au sein des services secrets. Ils confrontent leurs expériences, leurs analyses et les méthodes utilisées par leurs pays respectifs. Travail sous légende, techniques de surveillance, manipulations, honorables correspondants, agents d’influence, angoisses quotidiennes et cas de conscience. La face cachée et complexe qu’implique leur profession, au service de ce qu’on appelle la raison d’État. Sachant que les opérations clandestines de la guerre froide sont toujours couvertes par le secret en Russie comme en Occident, comme le remarque Eric Denécé dans sa préface au livre, les échanges entre ces deux hommes n’en sont que plus passionnants. Même si, dans le domaine du renseignement, le KGB semble un outil d’information, de surveillance et de propagande au service du Parti communiste de l’Union soviétique bien plus puissant que le SDECE et la DGSE, lesquels, soumis la plupart du temps à des impératifs économiques pragmatiques, se concentraient surtout dans le renseignement économique. Ces deux anciens officiers traitants sont-ils d’accord sur certains points et lesquels ? Sur quoi sont-ils en désaccord ? Pourquoi ont-ils choisi ce métier ? Qu’est-ce qui, selon eux, motive un individu à livrer des informations sensibles à un agent traitant et trahir le camp auquel il est supposé appartenir ? Qu’est-ce qu’informer ? Qu’est-ce que renseigner ? Quels rapports les services secrets entretiennent-ils entre eux ? Sont-ils adversaires, concurrents ? Jouent-ils « collectivement » entre services réputés amis ? Sont-ils jaloux de leurs prérogatives respectives ? Si Sergueï Jirnov et François Waroux rejettent tous deux les clichés des films hollywoodiens concernant leur profession, ils reconnaissent volontiers avoir choisi la vie d’espion pour fuir l’ennui d’une existence de bureaucrate. Ils en ont pourtant écrit des fiches durant leur carrière ! et reconnaissent avoir attendu avec impatience d’être envoyés sur le terrain, loin de la maison-mère. L’adrénaline, ils connaissent. Ils en parlent presque avec nostalgie. De la guerre froide à la guerre technologique, en passant par les nouvelles menaces qui frappent le monde et les nouveaux enjeux stratégiques, ils n’éludent aucun sujet dans leurs échanges. Le stress, la solitude, les liens qui se tissent patiemment et se défont en un rien de temps, les ordres, la loyauté. Ils parlent, sans être bavards, se taisent, sans en avoir vraiment l’air. Ils ont servi une cause, un pays, ils ont pris des risques. En cas de pépin, aurait-on remué ciel et terre pour les sauver ? La question se pose-t-elle ? En tout état de cause, ils sont l’un et l’autre convaincus que la richesse de leur expérience et leur témoignage constituent en soi une école de la vie, digne objet de transmission aux jeunes générations. À l’oreille :
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16 Apr 2021 | #66 – L’écrivain russe Andreï Siniavski (1925-1997), raconté par son fils, Iegor Gran | 01:13:14 | |
En plateau :Iegor Gran, auteur phare des éditions P. O. L., l’écrivain dont le 14ème roman s’intitule Les services compétents (2020), préface la réédition aux éditions du Typhon d’André-la-Poisse. Un conte fantastique écrit par son père, l’écrivain Andreï Siniavski, grande figure intellectuelle du monde russe et ex-soviétique. Contexte :Les livres ont souvent une histoire précédant leur parution, dont elle peut résulter, bien loin de l’anecdote. Il arrive qu’ils entretiennent entre eux des correspondances, des échos, des résonances, voire des affinités électives. Le dernier roman de Iegor Gran, Les services compétents, ont ainsi provoqué la réédition d’André-la-Poisse d’Andreï Siniavski (1925-1997), nous plongeant dans une sorte de roman dans le roman, où l’ordre chronologique et logique des choses se bousculent au profit d’une filiation littéraire, ayant pour effet collatéral de nous déstabiliser devant la question du commencement. Par où commencer la narration quand on n’est plus certain de ce qui constituerait le début, le milieu et la fin de l’histoire ? On dira donc en premier lieu que « les services compétents » désignent les services du KGB, dans les années 60, en plein dégel post-stalinien. Ils sont chargés de trouver qui est, ou qui se cache derrière le pseudonyme d’Abram Tertz, un écrivain qui ose défier le pouvoir soviétique en publiant en 1959, de l’autre côté du rideau de fer (en l’occurrence, en France, dans la revue Esprit dirigée alors par Jean-Marie Domenach), un article remettant en cause le réalisme socialiste comme cadre unique et imposé de la production artistique et littéraire en Union soviétique. Abram Tertz récidive quelque temps plus tard en publiant cette fois un récit court relevant du réalisme fantastique. L’enquête du KGB durera six ans. Elle est cocasse, loufoque, pleine de fausses pistes et de rebondissements, menée par des services finalement pas si performants que cela, à la peine pour trouver, depuis la mort de Staline en 1953, la juste mesure de répression nécessaire de la société civile, du moins jusqu’à ce que Nikita Khrouchtchev soit congédié par Léonid Brejnev. Mais ces six années d’enquête et de traque sont aussi six longues années « d’attente » (de stress et d’anxiété) pour Abram Tertz, alias Andreï Siniavski et sa femme Maria Rozanova : ni l’un ni l’autre ne doutent, depuis la publication du premier article dans la revue Esprit, de la capacité du KGB à démasquer et arrêter celui qui revendique le droit au réalisme fantastique. La seule chose qu’ils ignorent tous deux, c’est quand cela se produira. Sans doute n’avaient-ils pas envisagé que cela prendrait tant de temps. Racontée par Iegor Gran, Grand Prix de l’humour noir 2003 pour son roman O. N. G !, c’est un grand moment de dérision et d’autodérision, de satire et de grotesque, de verve comique, où le génie de la langue déploie sa liberté et force jubilatoire dans le labyrinthe de l’absurde. Nous voilà initiés à une histoire à la fois collective et intime, écrite par le fils d’Andreï Siniavski, âgé de 9 mois lors de l’arrestation de son père ! Le procès de ce dernier, en 1966, se tînt en même temps que celui de son ami l’écrivain Youli Daniel qui lui aussi a publié sous pseudonyme des textes dans la revue Esprit. Il fut retentissant. Le tribunal doit statuer sur la nature subversive ou non de la prose d’Andreï Siniavski, lequel a lancé un pavé dans la marre en questionnant les limites du réalisme socialiste dans la littérature et les arts. Le père de Iegor Gran sera condamné à 7 ans de camp, libéré un peu avant terme, en 1971, grâce notamment à une forte mobilisation de l’opinion publique internationale, et prié de quitter l’Union soviétique deux ans plus tard. Ironie de l’histoire, ce procès marquera la fin du dégel, le refroidissement brejnévien et l’acte de naissance de la dissidence en Union soviétique, alors qu’Andreï Siniavski n’avait avec le régime que des divergences d’ordre esthétique, selon ses propres mots. L’écrivain ne rejetait pas la Révolution de 1917, à la façon des Russes blancs, et n’avait pas non plus entrepris une critique globale, politique et militante, du socialisme réel. Il était du reste issu d’une famille de Socialistes Révolutionnaires (S.R.), une organisation politique créée en 1901, résultant de la fusion de plusieurs tendances du mouvement révolutionnaire russe du XIXème siècle, historiquement engagé dans la lutte contre le régime autocratique russe, pour la socialisation des terres et l’organisation des paysans dans le mir. Exilé en France, Andreï Siniavski publie Promenades avec Pouchkine, en 1975. Nouveau scandale. Dans ce livre qu’il a rédigé pour l’essentiel de 1966 à 1968, lors de sa détention au camp de travail du Doubrovlag, et expédié chapitre par chapitre à sa femme sous forme de très longues lettres échappant à la censure, l’auteur défend l’idée de l’autonomie de l’art, ne pouvant être instrumentalisé par aucun pouvoir. Rendant hommage au pionnier de la poésie moderne russe qu’est Pouchkine, il ose souligner le caractère profondément érotique de sa poésie. A la manœuvre cette fois, les représentants de la Russie blanche (des éditions YMCA Press à l’hebdomadaire parisien La Pensée russe, sans oublier Soljenitsyne) qui l’accusent de blasphème, et orchestrent contre lui une véritable cabale allant jusqu’à faire pression sur les universités américaines afin qu’elles annulent les invitations adressées à l’éminent professeur de littérature russe. C’est dans ce contexte qu’Andréï Siniavski entreprend la rédaction d’André-la-Poisse, le récit caustique et drôle des mésaventures d’un écrivain, anti-héros, qui ne provoque que des catastrophes autour de lui, au point d’être rejeté par sa propre mère. Le livre est dédié à Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, grand maître du fantastique vénéré par l’auteur qui prend le parti de nous faire rire et sourire de son personnage. Une parabole posant et exposant la parfaite inutilité de la figure de l’écrivain qui déçoit toujours, qui ne produit aucun bien ou service, qu’on ne comprend jamais ou alors toujours de travers. Sous la malice, et contre la bêtise, un seul et même enjeu universel : l’indépendance de l’écrivain et de l’artiste vis-à-vis de tout pouvoir, quel qu’il soit, l’autonomie de l’art sans laquelle il n’y a pas de liberté de la création. À l’oreille :
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30 Apr 2021 | #67 – La fabrication de l’ennemi : l’Oscar du meilleur acteur décerné à Hollywood ! | 01:18:28 | |
En plateau (virtuel)Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, spécialiste des questions géopolitiques, auteur notamment de Hollywood, arme de propagande massive (éditions Robert Laffont, 2018) et La Fabrication de l’ennemi (éditions Robert Laffont, 2011). ContexteForce est de constater que la fin de la guerre froide ne nous a pas privés « d’ennemis ». Elle n’a signifié ni la fin de l’histoire et la disparition des conflits, ni celle d’une représentation conflictuelle du monde. Choc des civilisations, axe du mal, guerre contre le terrorisme, sont autant d’expressions post-guerre froide attestant des efforts de la pensée stratégique pour rechercher et détecter l’ennemi, avec le goût des formules chocs. La troisième édition du Dictionnaire des mondes rebelles parue aux éditions Michalon en 2001, recensait quelque 400 crises internationales. Dix d’entre elles seulement ont structuré la pensée stratégique occidentale. Comment s’élabore cette « short list » ? C’est la question pertinente que pose Pierre Conesa. Certes, on conçoit aisément que toutes les crises ne constituent pas simultanément des dangers graves et de même intensité. De même, la fin de la confrontation Est/Ouest a eu pour conséquence de relativiser l’importance de certains foyers de crise qu’aucun camp autrefois ne voulait ou pouvait se permettre de négliger. Néanmoins, selon quels processus s’opère, in fine, la sélection des questions qui seront considérées comme les plus graves, les plus menaçantes, et sur lesquelles l’attention des media, et par voie de conséquence celle de l’opinion, se portera ? Comment passe-t-on de 400 à 10 ? Par quel filtre obtient-on les dix dangers considérés comme graves et imminents et désormais perçus comme tels ? Analyse purement rationnelle, bon sens, affects, idéologie, lobbying ? L’ennemi se fabrique-t-il ? Sa perception résulte-t-elle d’un processus de fabrication idéologique et intellectuel dans lequel interviennent différents acteurs, dont l’implication répond à des enjeux pouvant différer de ceux de la connaissance ou de l’analyse supposés contribuer à la prise de décision politique ? Le cinéma américain offre un exemple intéressant illustrant ce qu’est le processus de fabrication de l’ennemi. Dans Hollywar. Hollywood, arme de propagande massive, Pierre Conesa souligne la fonction stratégique qu’il occupe dans la formation de l’identité méfiante des Etats-Unis vis-à-vis de l’Autre. Hollywood n’est pas seulement une usine à fabriquer des rêves, c’est aussi une redoutable machine à fabriquer des méchants. A chaque époque, sa cible et son ennemi. Le Noir, le Rouge, le Jaune. Quand l’ennemi est blanc, il est espion, nazi. Le communiste menace, quant à lui, le pays de l’intérieur et de l’extérieur. Le Frenchie est une incarnation de la figure du méchant depuis la deuxième guerre du Golfe et le refus du Président Chirac d’y engager l’armée française. Sans oublier celle de l’Arabo-Irano-terroristo-musulman, dans la version post-11 septembre de l’ennemi planétaire.Nous avons en Europe une connaissance biaisée du cinéma américain et de sa force de propagande, car ne nous parviennent que les meilleurs films américains, l’œuvre le plus souvent de producteurs indépendants ou d’acteurs finançant par leurs propres moyens cinéma d’auteur. Ainsi Le Dictateur est-il le seul film critique vis-à-vis de l’Allemagne nazie, jusqu’à Pearl Harbor et l’entrée en guerre des États-Unis contre Hitler. Financé par Charlie Chaplin et non par Hollywood qui ne voulait pas se priver du marché de l’Allemagne, son principal client et acheteur de films. Or, note Pierre Conesa, ce ne sont pas les œuvres de quelques cinéastes indépendants qui ont forgé ou forgent majoritairement l’opinion publique américaine. Ainsi, les 2700 westerns de série B, produits sur 20 ans, ont davantage contribué à forger la mémoire collective américaine que les trente excellents films sur les massacres d’Indiens. Il en va de même des 540 films sur les Mexicains, la centaine sur les Chinois, ou les 300 sur les musulmans. Plus que les chefs d’œuvre, c’est le nombre considérable de films médiocres véhiculant une image négative de l’Autre présenté sous les traits d’un ennemi, qui façonne l’opinion américaine et sa bonne conscience. Ce cinéma de masse joue un rôle essentiel dans la conscience collective américaine et dans le récit national américain dont il se fait le porte-parole ou l’interprète. Il construit des stéréotypes, faisant peu de cas de l’histoire et du travail des historiens, renouvelle de façon continue le type de menaces nouvelles pesant sur l’identité blanche, le mode de vie américain, la civilisation ou la planète, que, pour notre plus grand bonheur, les super héros américains, seuls contre tous, viennent combattre : tout cela au premier degré, sans accès possible à un deuxième et troisième degrés ! En ce sens, Hollywood n’est pas seulement une composante grandiose du soft power américain, c’est aussi une arme de propagande massive, notamment dans ses productions de bas de gamme à usage interne. À l’oreille
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07 May 2021 | #68 – Les mères : un nouveau sujet révolutionnaire ? | 01:16:33 | |
En plateauFatima Ouassak, politologue et consultante en politiques publiques, pionnière dans le combat pour l’instauration d’une alternative végétarienne dans les cantines scolaires. A l’initiative du collectif Ensemble pour les enfants de Bagnolet et cofondatrice du Front des mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, elle publie aujourd’hui La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire aux Éditions de La Découverte. ContexteFatima Ouassak a grandi dans une cité ouvrière. Elle vit et milite aujourd’hui dans des quartiers populaires que les pouvoirs publics et nombre d’experts considèrent comme ou ont renommés « territoires perdus de la République », devant désormais faire l’objet d’une « reconquête ». Comme si les hommes et les femmes habitant ces quartiers avaient fait sécession ! S’est-on jamais soucié de la perception que ces derniers ont de leur situation : la caractériseraient-ils par un état de sécession ou bien d’exclusion ? Jamais considérés comme complètement Français, parce que pas Français « de souche », mais issus de l’immigration, frappés plus que les autres citoyens du pays par le chômage, les discriminations à l’embauche, les contrôles au faciès, les violences policières, le décrochage scolaire, la crise sanitaire, etc. Stigmatisés pour certains en raison de leur couleur de peau, de leur religion, perçu comme une menace et un danger dès leur plus jeune âge, voire assimilés à la figure du fanatique terroriste arabo-musulman, comme si la question sociale n’existait pas et comme si les habitants de ces quartiers et leurs enfants n’étaient pas les premières victimes de la pauvreté, des trafics, des violences entre bandes rivales, des préjugés, du racisme, de la montée de l’intolérance et des divers radicalismes religieux, et comme s’ils ne se sentaient pas ou n’étaient pas abandonnés par les pouvoirs publics. Fatima Ouassak parle de ce qu’elle connaît, de son combat au quotidien sur plusieurs fronts : l’anti-racisme, le féminisme, l’égalité des droits pour tous et toutes, l’écologie. Parce qu’elle part de ce que vivent les gens dans les quartiers populaires, elle les mobilise, elle fait d’eux des acteurs et actrices dans la Cité. Elle raconte ses déceptions militantes dans certaines structures de gauche qui l’ont amenée à créer Ensemble pour les enfants de Bagnolet et le Front des mères. Elle n’a pas renoncé à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, quand d’autres à gauche semblent l’avoir fait. Elle n’a jamais démissionné, mais elle parle de la récupération des luttes des habitants des quartiers, de la confiscation de leur parole au prétexte qu’ils ne seraient pas capables d’exprimer ou de formuler des revendications au-delà de la périphérie marginale de leur expérience, et auraient besoin de porte-parole capable de traduire ou reformuler le message de leur lutte ! Elle refuse le fait que les habitants des quartiers populaires soient considérés comme incapables d’accéder à l’universel, représentés comme des éternels « mineurs » ne pouvant accéder à la « majorité », ayant perpétuellement besoin de « bienveillants tuteurs » pour penser et agir. Fatima Ouassak parle d’émancipation et fait des mères l’acteur principal de cette émancipation. Elle met en lumière le fort potentiel révolutionnaire qu’elles représentent dans les quartiers populaires, et en vertu duquel elles sont en mesure de transformer la Cité et de jouer un rôle révolutionnaire dans l’histoire. D’où la puissance des mères. Ensemble, elles ne veulent plus se contenter du rôle de mère-tampon, assigné par les institutions (empêcher les enfants de sortir de la maison, les maintenir devant la télévision et les jeux vidéos, leur apprendre à subir, sans se plaindre, les discriminations comme étant dans l’ordre des choses, à baisser la tête devant chaque mesure vexatoire, chaque atteinte à la dignité de leur personne, etc.), car un tel rôle de mère-tampon les enferme dans la reproduction de l’ordre social établi, injuste, inégalitaire et discriminant. Elles veulent éduquer leurs enfants en leur apprenant à être fiers de leurs parents, de leur combat pour accéder aux mêmes droits que les habitants d’autres quartiers. Elles ne sont pas seules, ni uniquement mères ou femmes, elles sont au cœur du vivre-ensemble et de sa structuration. Elles veulent prendre le pouvoir, redonnent espoir, insufflent un dynamisme, remportent des victoires, participent activement à la déconstruction des préjugés et stéréotypes, réinvestissent les questions de l’éducation et de la transmission, loin de toute passivité, organisent le collectif en tissant des liens autour de projets porteurs d’avenir, contribuent à poser les jalons d’une possible refondation de la Cité. À l’oreille
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14 May 2021 | #69 – Géopolitique des Tsiganes | 01:02:48 | |
En plateauActuellement post-doctorante, Adèle Sutre est agrégée et docteure en géographie. Ses recherches portent sur les trajectoires migratoires et les dynamiques de mobilité et d’ancrage territorial. Sa thèse soutenue en 2017 à l’EHESS s’intitule Du parcours du monde à son invention. Géographies tsiganes en Amérique du Nord (1880-1950). En 2018, elle était commissaire-adjointe de l’exposition Mondes tsiganes. La fabrique des images, qui s’est tenue au Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris. Elle a co-dirigé, avec Ilsen About et Mathieu Pernot la publication de Mondes tsiganes. Une histoire photographique, aux éditions Actes Sud en 2018. Elle vient de publier Géopolitique des mondes tsiganes. Des façons d’être au monde entre circulations et ancrages, au Cavalier Bleu (2021). ContexteQui sont les Tsiganes ? Quels points communs entre des familles manouches d’Auvergne, des Roms de Roumanie ou de Finlande, des Sinti allemands, des Gitans espagnols ou de Camargue, des Zingari italiens, des Gypsies anglais, des Roms australiens, américains ou argentins, des Tchinganés turcs ? Une telle diversité s’accompagne d’une pluralité de représentations et de pratiques de l’espace, entre circulations et ancrages. Dans cette géopolitique des mondes tsiganes, Adèle Sutre propose des clés de lecture pour penser des façons d’être au monde diverses, bien que généralement perçues de l’extérieur comme homogènes. Alors que les Tsiganes ont souvent été présentés comme un peuple « sans histoire », dont les manières d’être et de faire seraient immuables, elle s’attache à rendre compte de toute l’importance des processus historiques dans la compréhension des enjeux contemporains. À l’oreille
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10 May 2021 | #70 – À propos de la liberté d’expression | 01:02:31 | |
En plateauFrançois Héran, sociologue et démographe, professeur au Collège de France où il a été élu, en 2017, sur la chaire « Migrations et Sociétés ». A la tête de l’Institut Convergences Migrations, après avoir dirigé, pendant 10 ans, l’Institut national d’études démographiques (INED), il publie Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression aux éditions La Découverte. ContexteDans un texte publié, le 30 novembre 2020, sur le site de La Vie des idées, François Héran s’adressait aux professeurs chargés de l’éducation morale et civique (EMC), et cheminant en pensée avec eux, se demandait comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression. Il s’agissait d’apporter une contribution personnelle et solidaire à ces enseignants, qui, au retour des vacances de la Toussaint, le 2 novembre, rendaient hommage en classe à leur collègue Samuel Paty, odieusement assassiné après avoir commenté en classe les caricatures de Mahomet. En complément du cadrage de l’éducation nationale et de l’hommage rendu par le président de la République dans la cour de la Sorbonne. Cette lettre ouverte ayant beaucoup circulé et suscité de nombreuses réactions, François Héran a fait le choix de la republier, en développant et argumentant point par point son propos. Qu’est-ce que la liberté d’expression et quel rapport entretient-elle avec les autres libertés fondamentales des citoyens ? Inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans la Déclaration universelle de droits de l’homme de 1948, et dans la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, ces libertés fondamentales sont proclamées indivisibles. Chacune d’entre elles est énoncée et consacrée par un article posant d’abord le principe de la liberté en question, puis celui de son exercice dans les limites de la loi, laissant au législateur la charge de veiller à ce que ces limites ne soient pas liberticides. Ainsi, dans une démocratie libérale, il n’est pas possible de jouir sans entraves d’une liberté en écartant ou bafouant les autres. Liberté d’expression et liberté de conscience forment un couple inséparable, semblables à des tours jumelles. La liberté d’expression ne peut pas étouffer la liberté de croyance. La difficulté réside dès lors dans la question de l’articulation entre elles de ces libertés fondamentales. Articulation nécessaire dès lors que leur mise en œuvre se déploie dans la Cité des hommes, ils ou elles étant libres et égaux devant la loi. Enjeu démocratique par excellence, l’articulation entre elles des libertés fondamentales ne peut se réaliser dans le cadre d’affrontements manichéens ou d’anathèmes destinés à empêcher tout débat, ou le détourner. Parole, écriture, dessin, tenue : toute expression est libre en démocratie sauf exception prévue par la loi, rappelle François Héran. La satire, même blessante, est légitime si elle contribue au débat démocratique. Le principe de la caricature est de désacraliser toute chose : rien n’est sacré. Cela signifie-il pour autant qu’il faille sacraliser la caricature ? Cela légitime-t-il pour autant que l’on sacralise la désacralisation en paralysant toute critique des caricatures ? N’y a-t-il pas là un recul possible ou réel de la liberté de conscience, d’expression ? Est-ce parce que des djihadistes, des extrémistes, des fanatiques confondent tout, que nous devons, à notre tour, tout confondre et manquer de discernement ? Est-ce que pour cibler l’extrémisme de quelques-uns, il est nécessaire de d’avilir la pratique des fidèles ? Forcer le trait autorise-t-il à mettre tout le monde dans le même panier, généraliser, toucher autrui dans sa dignité d’être humain, comme s’il ne faisait pas partie de la Cité ? L’offense gratuite contribue-t-elle au débat démocratique ? Suffit-il de dire que les croyances sont détachables des croyants, quand le dessin échoue à les distinguer ? Que devient la règle d’or du respect mutuel en République ? François Héran souligne que de telles questions ont fait l’objet d’un débat dans le milieu des caricaturistes et que leurs avis divergent. Dans son hommage à Samuel Paty, Emmanuel Macron défendait les caricatures, tout en appelant à revoir l’enseignement de l’Histoire, à combattre les discriminations, à pratiquer le respect mutuel. François Héran le prend au mot et, en s’appuyant sur des enquêtes effectuées selon la méthode du testing, critique, avec des arguments percutants, ceux qui nient l’existence de l’islamophobie, du racisme structurel et des discriminations systémiques. L’ampleur des discriminations ethno-raciales en France se heurte en effet à une culture du déni qui mine le lien social. Les victimes de discriminations sont accusées de se complaire dans la victimisation. On leur dénie le droit de dénoncer l’islamophobie, car ce serait offenser la République une et indivisible. L’universalisme républicain ne gagnerait-il pas en intelligibilité, ou ne perdrait-il pas en abstraction, en s’attachant à recréer du lien social autour de la règle d’or du respect réciproque ? À l’oreille
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21 May 2021 | #71 – Dans la peau d’un passeur | 00:59:00 | |
En plateauStéphanie Coste signe un premier roman époustouflant sur la question migratoire, intitulé Le Passeur (Gallimard) et pour lequel elle a reçu le prix de la Closerie des Lilas, en mars 2021. ContexteQuand la littérature s’empare avec succès d’un sujet d’actualité internationale, comme la question migratoire, elle témoigne de son pouvoir, de sa puissance difficilement égalable à sensibiliser en profondeur le public d’ordinaire indifférent ou blasé par la répétition d’épisodes dramatiques. Autant d’instantanés de vies humaines anéanties, s’effaçant aussi vite de nos esprits qu’elles ont émergé, ne laissant pas le temps de s’imprimer durablement en nous. Le Passeur de Stéphanie Coste est un de ces romans percutants et saisissants qui vous ne vous lâchent pas. Un roman dur mais beau, attestant plus que jamais du rôle vital de la littérature. Écrit à la première personne du singulier, dans un style concis et taillé à la serpe, le roman est une immersion dans la tête et la peau d’un des plus gros passeurs de la côte libyenne. Seyoum fait de l’espoir qu’ont les migrants, rescapés de la très périlleuse traversée du Sahara, de gagner Lampedusa (en Italie) son fonds de commerce. Il achète épaves et vieux rafiots qu’il remplit sans aucun égard pour les normes de sécurité. Le naufrage n’est pas son problème. Il confie le pilotage de l’embarcation de fortune à l’un des migrants à bord, chargé de mener à bon port les passagers clandestins à l’aide d’un GPS (un luxe !) et d’une seule indication : « c’est tout droit ». Voilà dix ans qu’il fait ce job juteux. Sans état d’âmes, il l’organise et fait face à tous les imprévus. Endurci, rude, volontiers cynique et sadique, il ne se prend pas pour un saint, et n’a guère d’illusions sur lui, ni rien ni personne. Il dégage quelque chose de monstrueusement froid qui peut faire douter de sa capacité à l’empathie. D’où la question et le suspense du roman : Seyoum est-il (encore) capable d’humanité ? Nous ne sommes pas dans une fable moralisante. Sans légitimer les activités lucratives d’un chef de gang, la question est bien entendu faussement simple, ou à double détente : qui, en vérité, fait preuve d’humanité dans la question migratoire ? Les États, de part et d’autre de la méditerranée, traitent-ils « les migrants » comme des « sujets » ou comme des « objets », quand ils s’accusent de chantage à l’immigration, quand ils les instrumentalisent dans une crise diplomatique ou bien afin de verser ou non, d’obtenir ou non des fonds européens ? La question, on le voit, ne se résume pas à savoir si un bourreau de passeur aura du cœur face à un couple de migrants en provenance de, et fuyant pour les mêmes raisons que lui, son pays d’origine. Car, dans cette histoire, tout le monde vient d’ailleurs, repoussé d’altérité en altérité, le gain d’un sursis étant l’eldorado permettant de survivre en exerçant à son tour, si besoin ou non, pouvoir et violence sur les autres. Stéphanie Coste qui a vécu au Sénégal et à Djibouti jusqu’à l’âge de 17 ans, a beaucoup voyagé sur le continent africain. Installée désormais à Lisbonne après avoir vécu à Londres, elle a fait de sa propre expérience de l’exil une œuvre littéraire, capable de nous toucher et ébranler face à la question migratoire. Elle nous extirpe du confort intellectuel de l’entre-soi européen pour faire retentir dans la souffrance des exilés africains les propos d’Ernest Hemingway : « Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l’innocence ». Seyoum, le plus gros passeur de la côte libyenne, au cerveau détruit par le khat et l’alcool, est une provocation, une invitation intempestive à filer la métaphore. La littérature est une « mule » qui ne se soucie pas des frontières ! Extraordinaire passeuse d’humanité et d’universalité, elle n’a pas sa pareille pour dire et redire notre appartenance commune au genre humain. Pour redonner un visage et une voix à des êtres humains présentés comme des hordes migratoires et des menaces. Pour prévenir leur déshumanisation et leur réduction à une altérité qui serait incapable de réfléchir notre propre image. Pour rappeler avec toute la force d’un interdit qu’en tout temps, en tout lieu, il n’est pas possible, il n’est pas tolérable qu’une partie de l’humanité décide de se désintéresser d’une autre, de la rejeter, de l’accuser de tous les maux, au point de ne plus voir en l’autre son prochain, de s’en débarrasser. Le naufrage des consciences n’est pas localisable sur un point précis du globe. Il nous concerne collectivement. Difficile de s’en dédouaner ! À l’oreille
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28 May 2021 | #72 – Il y a 50 ans, se tenait le premier Congrès mondial tsigane | 01:19:07 | |
En plateau (virtuel) :Jean-Pierre Liégeois, sociologue, a fondé en 1979 et dirigé jusqu’en 2003 le Centre de recherches tsiganes de l’Université Paris Descartes/Sciences sociales, Sorbonne. Depuis le début des années 1980, il coopère avec le Conseil de l’Europe et la Commission européenne (de 1984 à 2001) en qualité d’expert pour les questions concernant les Roms et les Tsiganes. Ses travaux, publiés depuis 1967, sont parmi ceux qui ont ouvert de nouvelles perspectives de compréhension des communautés roms/tsiganes, par l’examen critique des politiques menées à leur égard, par la présentation du développement des organisations roms/tsiganes, et par la définition de propositions destinées à améliorer la situation difficile de 10 à 12 millions de personnes constituant la plus grande minorité d’Europe. ContexteDu 8 au 12 avril 1971 se tenait dans la banlieue de Londres le premier Congrès mondial tsigane avec des délégués en provenance de 14 pays auxquels s’ajoutent des observateurs d’autres pays. L’objectif est de fédérer les Roms, de susciter leur action dans le monde entier et d’interpeller ainsi l’opinion publique internationale sur la situation des Roms. « Nos problèmes sont partout les mêmes », déclare, dans son allocution, le président du Congrès, ajoutant que « nous avons été passifs assez longtemps ». Il y est question d’émancipation et de mobilisation en faveur de la défense des droits, de l’identité, de la culture et de la langue des Roms. Jean-Pierre Liégeois, témoin et acteur de cette histoire, souligne la mutation politique que représente cet événement dans l’univers des Roms (passage de la tradition à de nouvelles formes d’actions politiques, avec les enjeux que cela comporte) et son caractère révolutionnaire. Il a été précédé par d’autres tentatives analogues pour la défense des groupes de Gitans. La Communauté mondiale gitane, association créée en 1959 à Paris, par Ionel Rotaru, a été dissoute en 1965 à la demande de la préfecture de police. Vint ensuite la création du Comité international tsigane, en dissension avec certaines idées utopiques de Rotaru, mais reprenant néanmoins certains points de son programme. C’est ce Comité, implanté dans la banlieue Est de Paris, qui organise le Congrès de 1971 qui se tient à Londres. Le Comité changera de nom en 1978, à Genève, devenant l’Union romani internationale (URI). En 1971, les participants à cette première mondiale affirment leur volonté de passer d’une pression subie vers l’uniformisation à une politique consciente de fédération, en vue d’une adaptation (et non pas d’une intégration ou assimilation) aux autres sociétés. Ils veulent devenir des sujets de l’histoire et non plus seulement l’objet des politiques de rejet, d’exclusion, de discriminations, d’extermination, de réclusion, d’assimilation. Car, quelles que soient par ailleurs les différences considérables existant entre les politiques précitées à l’égard des Roms, elles sont ouvertement ou plus insidieusement la négation d’une réalité ethno-culturelle. Une réalité ethno-culturelle que les États refusent de reconnaître. Négation quand on exclut, expulse, enferme, déporte, extermine. Négation dans sa variante « soft » quand on veut intégrer, assimiler, ou quand on traite les Tsiganes, les Roms, les Gitans, les Gens du Voyage comme des cas sociaux ou marginaux. Afin de signifier qu’ils ne veulent plus se laisser définir par les représentations et stéréotypes des autres, ils rejettent le terme de Tsigane et ses diverses variantes linguistiques, et choisissent l’éponyme de « Rom ». Geste inaugural à forte charge symbolique, annonçant l’avènement de temps nouveaux et émancipateurs : la désignation n’est pas une prérogative des autres, on ne peut reprendre, sans distance critique, la terminologie à connotation péjorative imposée par les autres sociétés. En choisissant leur dénomination et désignation, ils affirment à la fois leur identité et le droit au respect de cette identité. Le Congrès décida aussi l’adoption d’un hymne et d’un drapeau. Il fit de la journée du 8 avril la Journée internationale des Roms, et cinq commissions furent instituées : affaires sociales, éducation, crimes de guerre (recherche sur le génocide perpétré par les nazis, perpétuation du souvenir des Roms, constitution des dossiers de dommages de guerre), linguistique et culturelle. Jean-Pierre Liégeois souligne que le Congrès de 1971, dans ses décisions, reprend une bonne part des propositions et actions décidées à Bucarest, en 1933, lors d’une Conférence organisée par les Roms de Roumanie : adoption d’un drapeau, création d’une bibliothèque et d’une université roms, intensification des échanges entre les organisations roms afin de renforcer l’identité et le combat pour les droits des Roms. La Seconde guerre mondiale, les persécutions et l’extermination par les nazis ont tué dans l’œuf le réveil rom : l’intelligentsia fut décapitée et beaucoup choisirent le retour à l’invisibilité pour tenter de se protéger. Il fallut attendre plus de trois décennies pour que le flambeau soit repris. L’Union romani internationale (URI) est désormais une ONG interlocutrice des Etats, des instances européennes et internationales, dont le rôle est reconnu par les Nations Unies. Depuis le début des années 1990, et la chute du mur de Berlin, il s’est encore renforcé notamment auprès de l’OSCE. Elle se bat pour la reconnaissance de la culture et de la langue des Roms, contre les politiques de rejet et d’assimilation, elle entreprend des démarches en ce sens auprès du Conseil de l’Europe, du Conseil européen, des différentes instances de l’ONU, et de l’OSCE. Parallèlement, le nombre des organisations politiques et culturelles roms a considérablement augmenté, tout comme leur champ d’action (régional, national, européen et mondial) et leur champ de compétences (politique, culture, scolarisation, droits de l’homme). Les femmes et les jeunes Roms sont aussi devenus des acteurs et vecteurs importants de cette lutte. Toutefois, dans une Europe cédant de plus en plus au repli identitaire, le défi des prochaines années sera d’empêcher la recrudescence de manifestations d’hostilité à l’égard des Roms et le retour des politiques de rejet qui inciteraient les Roms à se rendre de nouveau aussi invisibles que possible, dans l’attente de jours meilleurs. Un slogan résumait le Congrès de 1971 : « le peuple rom a le droit de rechercher sa propre voie vers le progrès ». Cinquante ans plus tard, force est de constater que la plus importante minorité d’Europe reste la plus discriminée. Si une prise de conscience au niveau des instances européennes et internationales a bien eu lieu, elle reste insuffisante pour renverser la donne. Le chemin est encore long pour que les Roms puissent forger sans crainte un futur en accord avec leur style de vie et leurs croyances. À l’oreille
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04 Jun 2021 | #73 – Une histoire des gauches en Israël | 01:32:05 | |
En plateauThomas Vescovi, enseignant dans le secondaire, chercheur indépendant en histoire contemporaine, auteur de nombreux articles publiés dans le Middle East Eye, Le Monde diplomatique, Moyen Orient, publie aux éditions La Découverte, dans la collection des Cahiers libres, L’échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël. ContexteEn s’appuyant sur de nombreux entretiens réalisés au cours des dernières années avec des cadres et des militants politique israéliens, et sur les travaux les plus récents au sujet d’Israël et de sa société, Thomas Vescovi nous offre une plongée au sein de l’histoire politique du pays. Remontant aux sources du mouvement sioniste, dont l’aile gauche cherchait à bâtir en Palestine un État pour les juifs sur des bases socialistes, il raconte l’histoire des mouvements progressistes et révolutionnaires juifs et israéliens. En 50 ans, ce qui était au départ une utopie aboutit à la création d’un État : Israël. La gauche a joué un rôle déterminant dans la création de cet Etat et un rôle central dans les trois premières décennies de la vie politique du pays, jusqu’en 1977, avant que la droite israélienne, alliée à différents mouvements et partis politiques religieux, ne domine désormais la scène politique du pays. Comment, depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995, la gauche israélienne a-t-elle entamé un déclin qu’elle semble avoir les plus grandes difficultés à surmonter ? Comment la droite israélienne est-elle devenue hégémonique, culturellement et politiquement ? Peut-on expliquer ce phénomène en se focalisant uniquement sur l’État d’Israël ou bien doit-on tenir compte du recul global des forces de gauche et de la droitisation des sociétés dans le monde ? Quelle part de responsabilité les forces de gauche portent-elles dans leur recul ici et là ? Thomas Vescovi interroge la nature profonde de la crise que traverse la gauche ou les différents courants de la gauche en Israël, qu’ils aient été au pouvoir ou non, et quelle que soit ou fût leur représentativité dans la société. Quel est l’impact de la crise sur le Camp de la Paix et sur les processus de paix ? Une partie des débats qui ont animé les mouvements progressistes et révolutionnaires juifs à leurs origines animent encore d’une certaine façon leurs héritiers. Ces débats riches, intenses et dramatiques se développent à la fin du XIXème siècle et au début du XXème dans des situations impériales où les minorités (nationales, ethniques, religieuses, culturelles) s’interrogent afin de savoir si la question de la défense de leurs droits en tant que minorité dans un cadre majoritaire est soluble dans la seule question sociale. Quelle garantie offrent d’autre part les États-nations, marqués par la montée des nationalismes et le rejet de plus en plus violent de celles et ceux qu’ils considèrent comme des citoyens de seconde zone, auxquels il est reproché non pas tant de ne pas s’assimiler que de ne pas être assimilables ? Que faire quand les 32 États représentés à la conférence d’Evian, réunie à huis clos du 6 au 14 juillet 1938 (à la demande de F. D. Roosevelt, inquiet de la montée de l’antisémitisme en Europe), confirment le refus des pays participants d’ouvrir leurs ports aux juifs allemands chassés par Hitler ? Que faire quand, dès décembre 1942, les Alliés disposent d’informations incontestables sur la destruction en cours des Juifs d’Europe par le régime nazi, et ne font rien par impuissance ou indifférence ? Sans oublier que dès 1933, le juriste Raphaël Lemkin avertissait sans succès de l’imminence du danger, en demandant que le droit international prenne les dispositions nécessaires afin d’empêcher et de condamner le crime des crimes qu’on qualifiera par la suite de génocide ? C’est dans ce contexte effroyable que la question des Arabes de Palestine fut l’impensé du sionisme, comme le remarque l’historien Walter Laqueur. Et c’est toujours dans ce contexte inoubliable que prennent sens les questions de Thomas Vescovi telles que comment peut-on être sioniste et de gauche ? Existe-t-il encore une gauche en Israël ? Comment construire une société juste et égalitaire avec les Palestiniens ? Est-ce possible et réalisable ? Comment contrer les assauts de la droite sioniste et des mouvements religieux ? Comment construire durablement la paix ? À l’oreille
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10 Jun 2021 | #74 – Allez les Bleus ! | 00:56:40 | |
En plateau (virtuel) :Pierre Cazal, historien du football, ancien collaborateur de la Fédération française de football (FFF), est l’un des plus grands connaisseurs contemporains de l’équipe de France de football. Il publie L’épopée des Bleus à l’Euro aux éditions Mareuil. Contexte : L’Euro 2020, reporté en 2021 en raison de la crise sanitaire, débute. Les Bleus en sont les favoris, dit-on, même si rien n’est jamais gagné d’avance. Toutefois, l’occasion se présente à eux de réaliser un doublé Coupe du monde – Euro, à l’instar de ce qui s’est passé en 1998 et 2000. Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de France pourrait quant à lui réaliser un doublé historique (Coupe du monde et Euro en tant que joueur, puis en tant que sélectionneur) : une première en Europe ! De 1958 à 2001, Pierre Cazal passe en revue les 15 éditions passées de l’Euro depuis sa création. Il souligne combien cette compétition a mis du temps à gagner ses lettres de noblesse et s’installer dans le paysage sportif international. On reprochait à l’Euro de faire de l’ombre à la Coupe du monde et la compétition manquait de financement. Désormais, plus personne ne conteste la légitimité de l’Euro qui réunit 55 pays participants pour l’édition 2021. Un indéniable succès médiatique et financier. Passionné de football, collectionneur et statisticien, Pierre Cazal a travaillé durant trois ans sur les archives de la FFF. Il en a tiré un livre, L’équipe de France de football, l’intégrale des 487 rencontres, publié en 1992 et complété en 1998, aux éditions First. Le livre de chevet de nombreux amateurs ! Dans L’épopée des Bleus à l’Euro, il tente d’établir rétrospectivement les causes des échecs et des réussites de la France. Il insiste sur le fait que l’analyse lucide des échecs a pavé les chemins de la réussite. Comment le football français est sorti de sa traversée du désert dans le milieu des années 1980 ? Quelles sont aujourd’hui les chances des Bleus, champions du monde et finalistes du dernier Euro, de gagner en 2021 ? Quelle est l’ossature et la composition de l’équipe de France qui voit le retour de Karim Benzema ? Quel rôle joue le sélectionneur de l’équipe de France dans cette alchimie qui peut conduire à la victoire ? Un rôle difficile en général, tant il est pris en tenaille entre la Fédération, les joueurs, les médias et le public. Comment Didier Deschamps en tirant les leçons de son expérience, de ses échecs comme de ses réussites, est devenu l’architecte des Bleus, déterminé à les conduire non seulement jusqu’à la victoire en 2021, mais jusqu’à celle de la Coupe du monde du Qatar ? À l’oreille :
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11 Jun 2021 | #75 – Dans les camps de personnes déplacées juives (1945 -1952) | 01:12:59 | |
En plateau (virtuel)
ContexteA la fin de l’été 1945, un million de « personnes déplacées » (DPs, displaced persons) parmi lesquelles des Juifs européens survivants ou rescapés de l’extermination, demeurent en Allemagne dans des camps ouverts par les autorités internationales. Comment s’organise, à la fin de la guerre, la prise en charge de ces personnes déplacées? Qui sont-elles ? Pour quelles raisons se constituent, dans les zones d’occupation américaine et britannique, des centres de rassemblement et camps pour personnes déplacées juives et yiddishisantes dans l’attente d’un retour au foyer ou une possibilité d’émigration ? Or, comme le souligne Nathalie Cau, la fin de la guerre ne signifie pas la fin de l’antisémitisme. Le pogrom de Kielce, contre des Juifs polonais majoritairement rescapés de la Shoah, un an après la fin de la guerre, le 4 juillet 1946, fut l’événement catalyseur ruinant les espoirs de certains survivants de pouvoir retourner dans les lieux dont ils avaient été chassés par le régime nazi expansionniste. L’attente dans ces centres de rassemblement pour personnes déplacées juives n’ayant plus ni foyer, ni possibilité de rapatriement dans un pays d’Europe, sera longue, durant parfois plus d’une décennie. Les conditions de vie y sont d’autant plus difficiles que les populations concernées sont rescapées des camps de la mort. Ces centres furent pourtant le berceau d’une intense vie culturelle et artistique, qui constitua sans doute l’un des derniers moments d’une expression culturelle yiddish, riche et foisonnante telle qu’elle existait en Allemagne et en Europe en général jusqu’à la Shoah. Des artistes comme Herman Yablokov viennent des Etats-Unis par solidarité et apporter leur soutien à ces populations. Des événements sportifs sont organisés. Se développe sur place un impressionnant théâtre de langue yiddish. De nombreuses troupes de théâtre voient le jour et les meilleures d’entre elles obtiennent l’autorisation rarement accordées de sortir des camps pour se produire aussi à l’extérieur, dans d’autres camps de transit, à proximité, ou plus éloignés, ou dans des villes allemandes ou européennes. Analysant des documents exceptionnels, des clichés photographiques notamment, Nathalie Cau étudie les différentes formes d’expression artistiques ou performances dans les communautés de réfugiés. Elle explore les liens entre performances, histoire, mémoire et politique. Des clichés pris lors du jeu de Pourim de Landsberg-am-Lech, en 1946, montre un rituel insolite (mi-religieux mi profane) substituant au personnage traditionnel d’Haman, le persécuteur archétypal du Rouleau d’Esther (le vingt-et-unième livre de la Bible hébraïque) de multiples effigies d’un Hitler d’opérette. Elle constate que les performances en question ne sont ni dans le « grand silence » ni dans « l’irreprésentable », à la sortie de la guerre. Et si les spectacles des troupes théâtrales sont l’occasion de transmettre le répertoire traditionnel (celui de Sholem Aleykhem par exemple), ils racontent aussi la destruction, ou dessinent les contours d’une société nouvelle, aspirant désormais à se constituer comme nation et rejoindre l’Etat d’Israël. Par ces performances théâtrales, les personnes déplacées juives tentent de survivre et survivront grâce à la vie culturelle qu’elles produisent, rappellant avec force qu’aucune partie de l’humanité ne peut décider d’éliminer de la surface de la terre une autre partie de l’humanité. Portraits d’eux-mêmes par eux-mêmes, ces performances témoignent de leur histoire passée, présente et de la possibilité d’un avenir par la constitution d’un imaginaire commun esthétique et politique. Les multiples obstacles bureaucratiques à l’obtention d’un visa pour les Etats-Unis, l’Australie ou la Palestine, la confirmation de l’impossibilité d’une réintégration en Europe ont transformé ces centres de rassemblement de personnes juives déplacées en camps de transit où l’attente des personnes rescapées des camps de la mort se mue en Attente messianique. À l’oreille
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28 Jun 2021 | #76 – L’ami arménien | 01:00:00 | |
En PlateauAndreï Makine est l’auteur d’une œuvre considérable : Prix Goncourt, Prix Goncourt des Lycéens et prix Médicis pour Le Testament français en 1995, grand prix RTL-Lire pour La musique d’une vie en 2001, prix Prince de Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 2005, prix Casanova pour Une femme aimée en 2013, prix Cabourg du roman pour Au-delà des frontières en 2019. L’écrivain, élu académicien en 2016 au fauteuil précédemment occupé par la romancière Assia Djebar, publie L’ami arménien aux éditions Grasset. ContexteComment d’une rencontre fugace et passagère, plus qu’improbable pour tout dire, peut naître une amitié fondatrice ? L’ami arménien est le roman d’une amitié de jeunesse qui dévoile un épisode crucial dans la vie d’Andreï Makine. Ce qui aurait pu n’être qu’un vague souvenir d’une époque révolue, à plus d’un titre, irradie de sa présence, témoigne de sa permanence, en un mot comme en cent, fait sens, illuminant un double destin dont seul hérite rétrospectivement le narrateur depuis la mort, peu de temps après leur rencontre, de cet ami d’enfance. Le narrateur qui vit dans un orphelinat de Sibérie devient, à la suite d’une rixe dans l’atelier de menuiserie d’un établissement scolaire, le garde du corps d’un jeune garçon, Vardan, d’un an plus âgé que lui et de santé fragile, car atteint d’une maladie incurable l’empêchant de suivre une scolarité régulière. C’est en le raccompagnant chez lui que le narrateur s’aventure pour la première fois dans un quartier si déshérité, mal famé et éloigné du centre de la ville qu’on l’appelle par dérision « le Bout du diable ». Là, dans cette périphérie, vivent, pêle-mêle et relégués, des individus n’ayant comme « biographie que la géographie de leurs errances », cas sociaux, zeks, anciens prisonniers des camps sibériens et quelques familles en provenance de la République socialiste soviétique d’Arménie caucasienne, située à 5000 kms de la Sibérie où leurs proches ont été envoyés en détention préventive. Elles sont venues vivre au plus près de ces prisonniers politiques pour attendre avec eux, de part et d’autre des murs de la prison, la tenue de leur procès. Nous sommes dans l’Union soviétique des années 1970, l’émergence de la contestation du régime soviétique, qu’elle porte sur la question des droits de l’homme ou la question nationale, fait l’objet d’une répression politique dans les 15 républiques socialistes soviétiques de l’Union. Le contexte, l’arrière-plan historique dans lequel s’ancre le récit, est évoqué afin de rendre compte des aléas de l’histoire ayant permis la rencontre éblouissante entre deux adolescents, celle de Vardan, un garçon étrange et pas tout à fait comme les autres, et de son protecteur, un orphelin qui se sentira « adopté », dès qu’il aura franchi le seuil de ce quartier et la modeste demeure de ces « résidents en suspens », formant une minuscule et temporaire colonie que le narrateur imagine comme un « royaume d’Arménie ». Renversement de perspectives, le narrateur missionné comme « sentinelle de la vie menacée » de Vardan se sent devenir « autre et vertigineusement ailleurs ». Il pénètre, émerveillé, dans un halo de magie rendu possible par l’hospitalité avec laquelle il est accueilli, recueilli par Chamiram, la mère de Vardan, Gulizar et Sarven. On ne dira pas que, soudain, dans l’amitié naissante de ces deux jeunes adolescents, les rapports de force se sont inversés, que le plus fort n’est pas toujours le plus fort, quand bien même, dans ce roman d’initiation, le plus bouleversé et ébranlé dans cette rencontre, est le narrateur, le seul survivant de cette relation amicale. Car, ce qui se qui se joue dans la fulgurance de leurs liens d’amitié, c’est le surgissement d’un monde où momentanément, miraculeusement, les relations entre les individus ne passent pas par les rapports de force. Mais par l’échange, le don, l’ouverture à l’étrangeté de l’autre. Révélation de la beauté du monde et des choses, de la poésie de l’univers, de notre appartenance à un cosmos, vision qui donne à voir ce qu’on n’a jamais vu, pu ou voulu voir, qui autorise un autre regard, ouvre de nouvelles perspectives et dimensions dans notre rapport à l’existence ou notre façon d’être au monde. Une dilatation du temps dont on est témoin. D’une telle vision, on ne saurait être nostalgique, car elle ne s’efface pas. Dans ce roman d’Andreï Makine, fruit d’une longue gestation dont la publication en 2021 ne doit rien à la guerre qui a fait rage entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, à l’automne 2020, l’amitié est une alternative à la bêtise humaine. Une expérience extraordinaire qui libère l’être humain de toutes les réductions identitaires, matérialistes ou consuméristes envahissantes. Qui modifie notre regard sur l’histoire, qui n’est pas seulement continuité ou discontinuité, répétition du même ou rupture épistémologique. Une expérience capable, çà et là, de modifier, d’altérer, notre conception ou représentation du monde en nous rendant « étonnamment attentif à cette mystérieuse possibilité de s’écarter de ce que tout le monde prenait pour la seule et unique voie admise ». Hier, aujourd’hui, demain. Un conte philosophique sur la liberté. Si difficile et si rare. Celle exemplaire de Chamiram par exemple. Hors norme. Un livre qui répond « au désir de partager cet instant de beauté », qui nous plonge au cœur de la création littéraire. Une écriture toute en retenue, qui contient l’émotion, sans la tuer, pour mieux restituer son intensité fulgurante. À l’oreille
Pour aller plus loinAndreï Makine, L’ami arménien, éditions Grasset, 2021 | |||
01 Jul 2021 | #77 – Lutter contre les discriminations : une urgence et un défi de tous les jours ! | 01:12:59 | |
En plateauJean-Michel Dupont, militant altermondialiste et formateur en matière de lutte contre les discriminations. ContexteLutter de manière efficiente contre toutes les formes de discriminations est un défi national, européen et international. C’est aussi un défi que chacun chacune doit relever dans son environnement quotidien, professionnel ou personnel, dans la rue ou dans les transports, dans ses relations sociales, car il concerne les rapports à l’autre, à autrui. A titre d’exemple, deux rapports ou études illustrent l’ampleur du défi et l’urgence d’agir. Citons pour commencer le Défenseur des droits qui, après avoir lancé une enquête en 2016 sur « le profilage racial dans les contrôles policiers », souligne, dans son rapport du 22 juin 2020, qu’une partie de la population est surexposée aux contrôles policiers et à des relations dégradées avec les forces de l’ordre, que cette surexposition est de nature discriminatoire, et que « l’expérience répétée des discriminations et leur nature systémique ont des conséquences délétères et durables sur les parcours individuels, les groupes sociaux concernés et la cohésion de la société française. » En second lieu, mentionnons le baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi qu’en décembre 2020 le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont publié conjointement, comme chaque année. Cette 13ème édition explore les enjeux d’interdépendance des attitudes hostiles au travail et met en lumière de manière inédite leurs conséquences sur les individus et leurs parcours professionnels. L’enquête s’intéresse à quatre types de comportements hostiles au travail :
Qu’est-ce donc qu’une discrimination ? Est qualifié comme discriminant un traitement défavorable envers un ou plusieurs individus, certaines catégories sociales, groupes ou minorités s’il remplit deux conditions cumulatives : il doit être fondé sur un critère défini par la loi (sexe, âge, handicap, origine, religion, etc. : la loi définit 25 critères) et relever d’une situation visée par la loi (accès à l’emploi, aux services, au logement, etc.). Or, un traitement défavorable constitue une rupture d’égalité qui n’est pas sans conséquences. C’est pourquoi, la lutte contre les discriminations est indissociable de la promotion de l’égalité. Pour rappel, l’égalité est au cœur de l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » La Déclaration de 1789 est inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 et la double référence à l’une et l’autre est reprise dans le préambule de la Constitution de 1958 fondant la Vème République. Quant à la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, son article premier stipule :
Le cadre normatif dont s’est doté la France protège l’égalité des droits et sanctionne les diverses manifestations de discrimination, de racisme et d’antisémitisme. Adossé à des normes internationales et européennes, il constitue un corpus juridique parmi les plus complets qui soient. Indispensable, il ne suffit toutefois pas à garantir son application, et sa mise en œuvre rencontre de nombreux obstacles. D’où l’importance d’une sensibilisation à la lutte contre les discriminations. Jean-Michel Dupont présente les enjeux de la lutte contre les discriminations et ceux de leur prévention. Ils ne sont pas uniquement d’ordre juridique mais aussi d’ordre social et économique. Citant une étude récente de France Stratégies (2017), il précise ainsi le coût économique des discriminations, chaque année, en France : il est évalué à 150 milliards d’euros. Il faut ajouter aussi le coût des discriminations sur la santé des personnes victimes de discriminations, de harcèlement dans le monde du travail (d’ordre sexiste, raciste, anti-syndical, etc.) dont la dégradation de l’état de santé a un impact certain sur le budget de la sécurité sociale. Sans oublier non plus les conséquences sur la cohésion sociale et l’inquiétant divorce entre la théorie et la pratique quand il s’agit de « Liberté, Égalité, Fraternité ». Comment cependant chaque personne peut-elle jouer un rôle actif, être acteur et préventeur dans la lutte contre les discriminations ? Jean-Michel Dupont explique que pour sensibiliser à la question des discriminations, il est important de savoir comment se construisent nos représentations individuelles et collectives et comprendre l’impact qu’elles ont sur le collectif humain auquel on appartient. Selon quels mécanismes se fabriquent nos préjugés, à partir de stéréotypes que chacun forge de façon quasi spontanée sans s’en rendre compte ? Comment ensuite glisse-t-on des préjugés aux discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes ? Pourquoi est-il important de prendre conscience de ces processus de fabrication ? Que nous apprend l’analyse de la fameuse rumeur d’Orléans (1961) ? Comment la passivité, loin d’être neutre, peut sinon provoquer, du moins entériner, renforcer, démultiplier les discriminations, parfois sans intention exprès de nuire, stigmatiser, harceler, persécuter ? Pourquoi l’absence d’intention explicite de discriminer ne signifie pour autant qu’il n’y a pas discrimination dans les faits ? Pourquoi, par conséquent, doit-on prendre en considération les conséquences d’une attitude, d’une pratique, d’une politique, pour juger s’il y a, ou non, discrimination ? Pourquoi est-il important de distinguer la discrimination systématique de la discrimination systémique, l’absence de la première ne suffisant pas à réfuter l’existence de l’autre ou sa possibilité ? La paresse intellectuelle a un coût et des conséquences. Raison pour laquelle il est indispensable d’apprendre à penser par soi-même. Penser par soi-même, penser en se mettant à la place de tout autre, penser toujours en accord avec soi-même de manière conséquente, les trois maximes du sens commun telles qu’énoncées par le philosophe Emmanuel Kant dans la Critique de la Faculté de juger (1790) renvoient pour la première à la pensée sans préjugés et à l’autonomie de la raison qui ne doit jamais être passive, la seconde renvoie à la pensée élargie (faire en soi l’expérience de l’autre), la troisième est celle de la pensée conséquente. Ces trois maximes, idées régulatrices qui orientent notre pratique, sont au fondement du vivre ensemble et de la possibilité d’une cohésion sociale. À l’oreille
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09 Jul 2021 | #78 – Ceux qui sont restés là-bas | 01:05:00 | |
En plateauJeanne Truong, critique d’art et commissaire d’exposition, romancière, publie Ceux qui sont restés là-bas aux éditions Gallimard. ContexteSi Jeanne Truong n’en est pas à son premier livre, elle signe avec Ceux qui sont restés là-bas son premier roman de facture classique, empruntant une narration de type chronologique, bien différente des fragments poétiques et de l’écriture en forme archipélagique à laquelle elle s’adonnait jusqu’à présent, de façon expérimentale. Pourtant, ce roman, qui nous plonge dans l’effroi du régime de Pol Pot et des Khmers rouges (1975-1979), Jeanne Truong confie qu’elle le porte depuis longtemps, depuis toujours pour ainsi dire, comme l’enfant en elle qui ne meurt pas et qui est né au Cambodge. C’est donc sur une part d’elle-même, de sa vie, de sa biographie, de son histoire, une part de l’histoire des siens, si peu ou mal connue du reste du monde, qu’elle appelle notre attention aujourd’hui. Narang, le narrateur, est un enfant de 7 ans, né dans les cabanes de la mort, dans ces camps dans lesquels le régime des Khmers rouges envoya les habitants des villes, suspectés d’embourgeoisement, de sympathie capitaliste et considérés comme une menace pour la révolution en marche qui en fondant le Kampuchéa démocratique, voulait créer un homme nouveau. Ce fut au contraire un grand chaos sans nom, une immense catastrophe, qui en résulta : non seulement une désorganisation totale du pays, mais l’élimination d’environ un quart de la population tuée par les jeunes soldats fanatisés de Pol Pot, ou bien morts de faim et d’épuisement en conséquence directe des conditions de vie atroces qui leur furent imposées. A ces éléments de contexte interne, s’ajoutent d’autres facteurs régionaux et internationaux qui ont gravement contribué à la détérioration de la situation. On l’oublie souvent, mais le Cambodge fut un théâtre annexe de la guerre du Vietnam. Unis dans la lutte contre les Français et pour la décolonisation de l’Indochine, puis pour chasser les Américains du Sud Vietnam, les communistes vietnamiens et cambodgiens ont néanmoins des divergences d’ordre géopolitique. Un conflit politique et territorial oppose en effet de longue date le Vietnam et le Cambodge. Si les communistes cambodgiens, voulant s’affranchir de la tutelle des communistes vietnamiens, s’emparent de Phnom Penh avant la chute de Saïgon, c’est dans la crainte que les forces du Viêt Minh ne mettent la main sur la capitale du Cambodge et ne créent sous leur égide une fédération (regroupant le Vietnam, le Cambodge et le Laos). Les Khmers rouges s’opposent à la traditionnelle visée hégémonique du Vietnam sur le Cambodge et la région, et veulent reprendre au Vietnam le territoire du Kampuchéa Krom qu’ils considèrent comme leur berceau historique. En outre, la rupture entre l’Union soviétique et la Chine, à la fin des années 1950, se mue en rivalité sino-soviétique, laquelle, en pleine guerre froide, s’invite dans la région de l’Asie du Sud-Est, dès lors que le Vietnam bénéficie du soutien de l’URSS et le Cambodge de celui de la République populaire de Chine. Enfin, au même moment les Etats-Unis, dans un souci de contrer l’influence soviétique en Asie du Sud-Est, se rapprochent de la Chine communiste et soutiennent alors cette dernière dans la région. Ainsi, des hommes, des femmes, des enfants, de simples civils qui n’eurent pas les moyens de s’enfuir, furent les victimes de ces jeux, rivalités et conflits. Le récit de Jeanne Truong se situe au moment de l’arrivée des troupes vietnamiennes au Cambodge en 1978 qui libèrent la population civile des camps au fur et à mesure de leur avancée dans le territoire, jusqu’à la chute du régime des Khmers rouges en 1979. Narang et les survivants de son camp prennent le chemin de l’exode en direction de la Thaïlande. Alors qu’ils ont cru que le pire était derrière eux, beaucoup seront tués en franchissant ou après avoir franchi la frontière. Narang est donc un enfant doublement miraculé. En échappant tout d’abord au destin des enfants soldats ou gardiens du régime des Khmers rouges qui dénoncent et tuent père et mère, il tient en échec le projet des Khmers rouges fondant l’espoir de créer un homme nouveau sur les générations nées dans les cabanes de la mort. Mais il perd, à l’âge de cinq ans, l’usage de la parole. Muet, il pose un regard sans concession sur le monde qui l’entoure, il sait qu’il est en quelque sorte en enfer, qu’il doit en sortir, qu’il en sortira pour sauver sa mère devenue une mort vivante, une mère morte habitant désormais le royaume des ombres perdues. D’où vient la force de cet enfant ? Il connaît intuitivement où est le bien et le mal et s’il ne peut le dire, l’énoncer ou le formuler, cela ne l’empêche pas d’agir. Avec bienveillance. Guidé par la volonté de faire le bien. Sa perception aiguë de la situation et des dangers l’amène à développer des affinités avec d’autres personnes, des êtres qui comme lui ont échappé à la déshumanisation, et sortent de l’anonymat collectif. Ici et là, il parvient à prouver, lui qui n’a pas connu rien d’autre que les cabanes de la mort, qu’un autre monde est possible, meilleur, attentionné. Qu’il n’y a pas de fatalité du pire, qu’il y a toujours une autre option. Et qu’il n’y a pas « de crime plus horrible que de souiller le cœur des enfants », comme l’écrivait Paul Claudel dans L’oiseau noir dans le soleil levant. En Thaïlande, Narang échappe encore à la mort. Incarne-t-il une figure extra-ordinaire ? Son innocence et sa bonté semblent être tout ce qui reste de son enfance volée et spoliée, lui qui n’a pas non plus fréquenté les bancs de l’école. Mais sa permanence et sa persistance lui valent une aura particulière donnant au récit une certaine respiration, préparant le lecteur à l’insolite rencontre de la transcendance, sous les traits d’un enfant de 7 ans. Ou l’invitant à méditer en tout temps en tout lieu sur la beauté de l’enfance et ses mystères insondables. À l’oreille
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10 Sep 2021 | #79 – De Massoud à Massoud : L’Afghanistan, vingt ans après les 9 et 11 septembre 2001 | 00:58:13 | |
En plateauSalvatore Lombardo, journaliste et écrivain, directeur d’un master en Relations internationales et Politiques globales au sein de la Swiss UMEF University à Genève, publie De Massoud à Massoud, 20 ans après, aux éditions Mareuil. ContexteAlors que les États-Unis d’Amérique et le monde commémorent la mémoire des 2977 victimes des attentats du 11 septembre 2001, les Afghans n’ont pas oublié qu’ils avaient été précédés, deux jours plus tôt, le 9 septembre 2001, par l’assassinat du Commandant Ahmad Shah Massoud, commis par deux Tunisiens du parti Ennahda, se présentant comme journalistes. Vingt ans plus tard, le journaliste et écrivain Salvatore Lumbardo retrace le destin tragique de ce Chef de guerre et homme politique, qu’il a bien connu et auquel il a déjà consacré deux ouvrages. Présenté parfois comme le « Che Guevara musulman », incarnant plus certainement la possibilité d’un Afghanistan libéré de toute occupation étrangère, quelle qu’elle soit, ce héros national afghan transcendait les divisions ethniques et rivalités tribales. Qui était-il ? Quelle était sa vision stratégique ? Quel était son projet de société ? Pourquoi les puissances occidentales, à commencer par les Américains, ne l’ont que peu ou pas soutenu ? Vingt ans après l’intervention américaine en Afghanistan – laquelle ne put chasser les Talibans du pouvoir que grâce aux compétences militaires sur le terrain du Commandant Daoud, fidèle compagnon historique de feu Massoud – dans le cadre d’une coalition internationale, à la suite des attentats du 11 septembre, dans quel état est le pays ? Quel bilan dresser, alors que le retrait américain fait suite à l’accord négocié avec les Talibans par l’administration Trump et appliqué par le Président Joe Biden ? Pourquoi l’armée afghane n’a pas combattu les Talibans, précipitant leur retour au pouvoir ? Ahmad Massoud, le fils du Commandant Massoud, refuse quant à lui de quitter le pays et reprenant le flambeau, veut organiser la résistance face aux Talibans. Il se retrouve, avec ses hommes, dans la vallée du Panjshir servant aussi de refuge à la population afghane ayant fui l’avancée des Talibans. Salvatore Lumbardo qui connait le jeune Massoud depuis les obsèques de son père, expose les défis qui se posent à lui. À l’oreille
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17 Sep 2021 | #80 – Retour sur 40 ans de R&B | 01:15:32 | |
En plateauBelkacem Meziane, musicien professionnel, enseignant, conférencier et chroniqueur pour Soul Bag et New Morning Radio, publie This is how we do it, 40 ans de R&B en 100 albums, aux éditions Le mot et le reste. ContexteAu milieu des années 1980, le paysage musical noir américain est en pleine mutation. Le funk et la soul évoluent ; Michael Jackson et Prince deviennent des pop stars internationales. Une partie de la jeunesse se reconnait davantage dans le hip-hop, en lien avec la réalité des quartiers noirs. De jeunes artistes sentent qu’ils peuvent faire la synthèse de toutes ces sensibilités. Cette musique va prendre le nom de rhythm & blues, ou celui de son abréviation r & b, terme générique par lequel le public et l’industrie désignent depuis plusieurs décennies la musique populaire noire, distincte du blues, du jazz et du gospel. Belkacem Meziane nous raconte la grande aventure du R&B, depuis le Harlem Hit Parade, en passant par le « race records », appellation aussi imprécise que raciste sous laquelle étaient rangés tous les titres en vogue dans la communauté noire (qu’ils relèvent du swing, du blues ou du gospel), jusqu’à l’officialisation du terme rhythm & blues / r & b correspondant à la diffusion de cette musique au niveau national, quand le r & b fait aussi son entrée dans les foyers de l’Amérique blanche, imposant un style, y compris vestimentaire, et revisitant le mythe américain du self made man avec la légende du « fabulous ghetto ». Qui sont les chefs de file de cette révolution qui débute avec les stars du new jack swing, les boys bands élevés au gospel comme les girls groups sexy ? Quels sont les labels qui se spécialisent dans le r & b, qui sont les producteurs de génie, les musiciens, les ingénieurs du son qui contribuent au succès de cette musique ? Comment des artistes comme Mary J. Blige, R. Kelly ou Beyoncé vont s’imposer comme les nouveaux souverains de la great black music et des icônes planétaires ? À l’oreille
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17 Sep 2021 | #81 – Dans les coulisses des opérations clandestines | 01:08:39 | |
En plateauEric Denécé, ancien analyste du renseignement, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), publie La nouvelle guerre secrète. Unités militaires clandestines et opérations spéciales, aux éditions Mareuil. Ouvrage écrit en collaboration avec Alain-Pierre Laclotte, ancien cadre des troupes aéroportées, dirigeant actuellement l’une des principales sociétés de sécurité privée française, après avoir passé vingt ans au ministère de la Défense. ContexteLa fin de la Guerre froide a entraîné une mutation de grande ampleur dans la nature du renseignement. Durant Guerre froide prévalait en effet, souligne Eric Denécé, le renseignement d’ordre stratégique et civil. Dédié à la connaissance des capacités ennemies, il portait sur des objectifs de grande taille (nombre de garnisons, site de missiles, bases aériennes et navales, usines de production d’armements, mouvements de troupes, etc.) et sur une analyse de la situation internationale dominée par des enjeux stratégiques (négociations sur les armements classiques ou nucléaires, décryptage des intentions, connaissance des organigrammes civils et militaires, etc.). Désormais, depuis vingt ans au moins, le renseignement de type opérationnel et tactique est devenu prépondérant, pour faire face à la multiplication des conflits asymétriques, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Le but du renseignement n’est plus tant d’identifier les moyens et les activités des ennemis que d’anticiper ses opérations et d’identifier les cibles visées afin de les protéger. L’objectif est également de localiser les cellules adverses afin de les détruire. » Pour acquérir les informations nécessaires au démantèlement de réseaux mettant en danger la paix et la sécurité internationales, le besoin de nouvelles unités militaires spécialisées, agissant clandestinement, et recourant à de nouvelles méthodes opérationnelles, est apparu. Plusieurs pays ont ainsi créé de petites unités de recherche humaine, opérant en civil et en secret, chargées de conduire des opérations de renseignement au profit des forces spéciales, des forces régulières ou des services de renseignement. Eric Denécé identifie et décrit ces unités militaires clandestines qui jouent un rôle primordial dans les conflits actuels. Un travail inédit réalisé à partir de sources et d’une documentation disponibles, sachant que tout n’est pas libre d’accès et qu’aucune information, même partielle, n’est révélée ou ne filtre dans certains États. Il précise encore que ce genre d’unités militaires clandestines sont apparues dans des pays n’ayant pas de gendarmerie. Ce qui en fait une spécificité britannique, américaine et israélienne. Si historiquement, les premières unités militaires clandestines, chargées du « renseignement spécial » ont vu le jour au Royaume-Uni et en Israël, dans les années 1970, dans un contexte urbain, on notera cependant côté britannique l’existence de l’unité militaire de renseignement Phantom qui opéra secrètement durant toute la Seconde Guerre mondiale. On pointera aussi le fait que les stratégies contre-insurrectionnelles élaborées par la Grande-Bretagne, dans le cadre de la défense de son Empire colonial, furent perfectionnées et appliquées jusqu’aux accords de Vendredi Saint du 10 avril 1998, en Irlande du Nord, non seulement contre l’IRA, organisation militaire et clandestine, mais aussi contre la population civile et catholique. Aux Etats-Unis, le Pentagone disposait d’un service militaire secret intitulé The Pond, qui opérait parallèlement à la CIA. En Israël, les premières unités militaires clandestines apparaissent en 1951 et sont issues des sections arabes du Palmakh. Si les unités militaires britanniques, américaines et israéliennes ont acquis de fortes et indéniables compétences dans le registre opérationnel et tactique depuis 2001, se pose la question de la vocation spécifique de ce type d’unités. Crées à l’insu des instances en charge du contrôle du renseignement, et dans le but de leur échapper, œuvrant au profit de l’autorité militaire et dans son giron, ces unités ont montré qu’elles étaient parfois susceptibles de dérives (escadrons de la mort, torture, budget dissimulé, financement opaque). Si elles semblent avoir marginalisé les services civils de renseignement, n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une remilitarisation du renseignement, quand par exemple la CIA effectue des frappes de drones ? Doublons contreproductifs ou recentrage en vue d’une meilleure efficience ? À l’oreille
Pour aller plus loin
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01 Oct 2021 | #82 – De l’Afghanistan au Sahel: quels enseignements ? | 01:24:12 | |
En plateauMichel GOYA, historien, ancien colonel des troupes de marine, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat, a enseigné à Sciences-Po et l’École pratique des hautes études (EPHE), en parallèle de sa carrière opérationnelle. Auteur de nombreux ouvrages dont Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, paru chez Tallandier en 2015, il tient également un blog consacré aux questions stratégiques, intitulé La voie de l’épée. ContexteVingt ans après les attentats du 11 septembre 2001 qui ont provoqué en réaction une intervention américaine et internationale en Afghanistan, le retrait américain (décidé sous Trump, mais effectif depuis août dernier sous la présidence de Biden), laisse perplexe : « Tout ça pour ça ? », interroge Michel Goya. L’erreur stratégique américaine ne fut-elle pas de décider de frapper les Talibans au même titre qu’Al-Qaïda ? de mettre sur le même plan, voire de confondre et faire la guerre à la fois à une organisation terroriste (Al-Qaïda, hébergée en Afghanistan par les Talibans) et un ennemi identifié comme étatique (les Talibans au pouvoir, lesquels bénéficiaient de la protection du Pakistan redoutant de voir l’Afghanistan devenir une zone d’influence indienne). N’aurait-il pas fallu découpler les deux ? Ce qui aurait permis de fixer un objectif clair, tangible à une opération militaire internationale et d’atteindre des buts de guerre clairement définis. Michel Goya rappelle que ce sont les nations qui font la guerre, pas les armées, même si les militaires sont en première ligne dans l’accomplissement des opérations. Cela signifie que la définition des buts de guerre, des objectifs à atteindre, sont assignés aux armées par le pouvoir politique. Lorsque le pouvoir politique, en France le président de la République, décide d’une intervention armée à l’extérieur, il répond la plupart du temps à la nécessité d’envoyer, en réaction rapide à un événement, un signe fort aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Que se passe-t-il néanmoins quand on intervient militairement, sans buts de guerre clairement définis, quand on envoie en opérations extérieures des militaires sans objectifs précis et tangibles ? Comment met-on ainsi les militaires en difficulté, tantôt en raison de l’indécision politique ou de ses contradictions, tantôt en raison de l’impréparation, tantôt en ne leur donnant pas les moyens de vaincre en raison de contraintes budgétaires ou sans déclarer qu’on est en guerre ? Comment s’étonner ensuite de l’enlisement sur le terrain ou de l’impact considérable des réactions émotionnelles sur la poursuite cohérente ou non d’un engagement militaire ? L’analyse des vingt années d’intervention militaire en Afghanistan montre encore que, dans son déroulé et ses séquences, le sort de la population locale fut négligé, l’amélioration de ses conditions de vie secondaire, sans oublier de mentionner les dommages collatéraux des opérations qui firent de nombreuses victimes parmi les civils. Comment dans ces conditions « gagner les cœurs » ? Lorsqu’en 2006, après avoir depuis 2003 concentré l’essentiel de leurs efforts en Irak, les Américains veulent reprendre la situation en main en Afghanistan, ils découvrent à quel point les Talibans sont implantés dans tout le pays, au point de devenir non seulement une organisation de guérilla mais un contre-pouvoir localement efficace, face à un régime présidentiel institué à Kaboul, sur le modèle des institutions américaines, mais masquant difficilement la réalité d’un Etat faible, où l’afflux de capitaux et d’ONG ne parvient pas à renverser la donne, mais accentue la corruption et la dérive kleptocrate. D’où l’incontournable question des leviers disponibles lors d’une intervention dans un Etat faible structurellement. Et la nécessité de le distinguer du cas d’un Etat provisoirement affaibli, mais susceptible de retrouver à moyen terme stabilisation et consolidation d’antan. Le déploiement de stratégies contre-insurrectionnelles, qui plus est importées de l’extérieur, dans un Etat provisoirement affaibli ou bien dans un Etat faible ou failli, peut-il produire les mêmes effets ? Dans quelle mesure et jusqu’à quel point, le cas échéant, est-il légitime de comparer le retrait américain d’Afghanistan et le redéploiement français de l’opération Barkhane au Sahel ? Michel Goya revient sur le contexte de l’opération Serval, puis celui de l’opération Barkhane, ainsi que sur les récentes déclarations du Premier ministre malien, Choguel Maïga, à la tribune des Nations-Unies accusant la France d’abandon en plein vol. Au-delà de la volatilité des accusations passant, au gré des circonstances, de l’ingérence à l’abandon, déclarations souvent motivées par des fins de politique intérieure, Michel Goya pointe le fait que le Mali, ce n’est pas la « Françafrique » : l’engagement français au Sahel remonte aux années 1990, dans un contexte de lutte anti-terroriste. En revanche, depuis son indépendance, en 1962, le Mali a toujours eu des liens avec l’Union soviétique, notamment en matière de coopération militaire (formation des généraux maliens et équipements des forces armées). La poursuite de ces relations avec la Russie d’aujourd’hui ne constitue donc pas une nouvelle donne, ou un renversement d’alliance, mais une marge de manœuvre. Quant au redéploiement français, relocalisation hors Mali, au Niger, et réduction de la voilure (l’opération Barkhane est forte actuellement de 5200 hommes), il n’est pas sans lien non plus avec le besoin de recentrer certaines priorités sur le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. À l’oreille
Pour aller plus loin
Et Radio Cause commune, Le monde en questions, n°53 (Michel Goya, La guerre, hier et aujourd’hui : retour d’expériences) et n°57 (Michel Goya, La mort comme hypothèse de travail) | |||
11 Oct 2021 | #83 – L’Inde d’aujourd’hui | 01:14:56 | |
En plateau (virtuel)
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18 Oct 2021 | #84 – Londres et Liverpool avec les Beatles | 01:01:10 | |
En plateau (virtuel)Philippe Brossat, ancien publiciste, n’ayant jamais renié son amour du rock, publie Londres et Liverpool avec les Beatles. Un guide de voyage d’Abbey Road à Penny Lane, aux éditions Le mot et le reste. ContextePhilippe Brossat nous emporte dans le tourbillon de Londres et Liverpool, les deux villes fondatrices de la mythologie des Beatles. Son guide exhaustif des lieux où quatre garçons dans le vent (John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr) ont laissé des traces durables, recense 300 adresses racontant, quartier par quartier, un fragment de leur histoire, entre précision historique et anecdote. La voie royale afin de répondre à la question fondamentale : c’est quoi au juste l’ADN des Beatles ? Commençons le voyage par l’industrielle Liverpool. Dingle, le quartier de Ringo Starr au cœur du Liverpool miséreux et laborieux. Le royaume par excellence des working class heroes. Dans cette zone portuaire, souffle un vent violent : les rixes entre bandes, teddy boys et marins, y sont fréquentes. Les jeunes rêvent d’un autre avenir que celui de leurs parents qui ont connu la faim, la misère, le froid, l’habitat insalubre. Ils sont toutefois les premiers à réceptionner ce que les navires, en provenance des Etats-Unis, rapportent dans leur cargaison: cigarettes, whisky et rock’n’roll. Les jeunes de Dingle sont donc les premiers à écouter Elvis Presley, tout en se demandant si le rock et la pop ne sont pas leur avenir. Ça marchera en tout cas pour les Beatles, tous originaires de Liverpool. Alors, une ballade à Woolton s’impose – car c’est le quartier qui a sans doute le plus d’attaches sentimentales avec les Beatles, celui de l’adolescence de John et Paul – avant de se rendre au City center, sur Matthew Street, direction le Cavern Club qui vit éclore la légende des Fab Four. C’est là par exemple que le génial Brian Epstein, qui deviendra leur manager jusqu’à sa mort, à l’âge de 32 ans, les découvre un soir. Depuis Liverpool John Lennon Airport, il est possible de gagner Londres, ou, plus écolo, prendre le train pour arriver à la gare de St Pancras, en souvenir du Mad Day. Rendez-vous ensuite à Saint John’s Wood/ Kilburn. Dans ce quartier charmant et ultra résidentiel, se concentrent trois lieux qui participent aussi de la légende des Beatles : Abbey Road et son passage clouté, la maison de Paul McCartney et le studio de leur toute première audition refusée par le label Decca. Qu’à cela ne tienne, ils iront chez EMI, grâce à George Martin, leur producteur, le cinquième de la bande des quatre. Le détour par Chelsea ne se refuse pas, c’est l’épicentre de la culture pop mondiale dans la seconde moitié des années 1960. Bienvenue dans le Swinging London, où jeunes et riches héritiers viennent s’encanailler avec les enfants des working class heroes, devenus des pop stars, tandis qu’à Soho, la vie nocturne bat son plein. Côté conscience politique, John Lennon sera le plus engagé. Qu’est-ce que la Beatlemania ? Pourquoi et quand les Beatles arrêtent-ils de donner des concerts ? Que reste-t-il de cette époque ? Qu’est-ce qui caractérise le son si particulier de leur musique ? À l’oreille
Pour aller plus loinPhilippe Brossat, Londres et Liverpool avec les Beatles. Un guide de voyage d’Abbey Road à Penny Lane, éditions Le mot et le reste, 2021. | |||
27 Oct 2021 | #85 – Dernière oasis | 00:54:51 | |
En plateauCharif Majdalani, écrivain libanais, chef du département des Lettres françaises de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth, publie Dernière oasis aux éditions Actes Sud. ContexteDernière oasis est le huitième roman du Libanais Charif Majdalani. Un roman qui a bien failli ne jamais voir le jour. Si sa rédaction fut entreprise avant la plongée du Liban dans l’actuelle crise politique, économique et sociale, l’ampleur de cette crise dans un pays qui n’en manqua pas tout au long de son existence centenaire, ébranla la plume de l’écrivain pourtant confirmé. Comment produire de la fiction romanesque quand son pays s’effondre, se noie, dans l’indifférence des nations et l’incompétence, doublée de cynisme, de ses dirigeants politiques, aussi immuables que corrompus ? Face à un tel collapse, face à la détresse réelle des gens, comment écrire et publier quelque chose comme : « La marquise sortit à cinq heures » ? Charif Majdalani se mit ainsi début juillet 2020 à l’écriture d’un carnet de bord, Beyrouth 2020. Journal d’un effondrement, publié à l’automne de la même année, aux éditions Actes Sud. Un journal qui fut à son tour contrarié, brutalement interrompu, un mois plus tard, par l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020 : il porte en conséquence, dans sa chair pour ainsi dire, la césure indélébile entre un avant et un après l’explosion. Que faire quand l’histoire, la brutalité des événements et la violence s’invitent dans la vie d’un écrivain et ses projets d’écriture ? Se complaire dans des dilemmes sans fin ? Partir ou rester au Liban ? Écrire ou ne pas écrire ? Abandonner la fiction romanesque pour un autre type d’écriture, celle du journal, genre littéraire à part entière, choix assumé d’un texte qui reste, malgré tout, destiné à être lu ? Sans abandonner pour autant la rédaction de son journal, dont la suite fera peut-être l’objet d’une nouvelle publication, le romancier trancha en faveur de la fiction romanesque et décida de publier le manuscrit de Dernière oasis. Dans ce roman écrit à la première personne, le narrateur est un marchand d’art, spécialiste de l’Antiquité orientale, qui accepte la douteuse invitation, sonnant comme un défi, de venir expertiser les morceaux d’une frise assyrienne et de têtes sculptées provenant vraisemblablement de l’antique Khorsabad. Trésor de guerre ? Pillage ? Toujours est-il que pour accomplir sa mission, le narrateur se rend dans le nord de l’Irak, à la veille de la prise de la plaine de Ninive et de la chute de Mossoul entre les mains de Daesh, à l’été 2014. Dans un décor surréel, suranné, il attend la venue d’un certain général qui devrait lui en dire davantage. Cette attente devient matière à réflexion. Et clin d’œil au Désert des Tartares de Dino Buzzati. Si le temps semble avoir suspendu son vol, l’imagination s’empare des esprits pour échafauder toutes sortes de théories sur le rôle et la fonction des hommes dans l’histoire. L’histoire se répète-t-elle ? Tout est-il écrit d’avance ? Que peuvent les humains sur le cours des choses ? Y a-t-il de bonnes ou de mauvaises décisions ? L’analyse rétrospective d’un événement est-elle en mesure de nous livrer une vérité, d’indiquer par exemple, dans l’advenue de ce dernier, ce qui relève respectivement du pouvoir d’action d’un individu et du hasard, de l’aléa, de la pure contingence ? De quoi sommes-nous vraiment responsables ? De notre bonne ou mauvaise lecture (interprétation) des événements ? Que signifie notre volonté ou notre désir de rendre intelligible le théâtre du monde, envers et contre tout ? Autant de questions qu’il n’est plus temps de se poser quand l’histoire s’accélère et que le narrateur bascule dans l’horreur, le rocambolesque et les intrigues d’un polar sur la scène du Moyen Orient. Faut-il rechercher du sens à tout prix ? Question tragique et/ou tragi-comique ? Pourquoi la littérature en disant le monde, met-elle fin au chaos ? Serait-elle notre dernière oasis ? À l’oreille
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29 Oct 2021 | #86 – Le lobby saoudien en France | 01:00:02 | |
En plateau
ContexteL’Arabie saoudite est l’un des pays les plus secrets au monde. Les difficultés récurrentes à obtenir des informations sur ce qui s’y passe ont fini par décourager journalistes, chercheurs ou ONG de mener des enquêtes approfondies, des travaux de recherche ou des rapports circonstanciés. Que sait-on par exemple de la disparition des princes félons, des interventions militaires extérieures du pays au Bahreïn et au Yemen ? Qui sait que l’esclavage y fut aboli en 1962 ? Qui se souvient du blogueur Raif Badawi ? Pierre Conesa et Sofia Farhat racontent l’enquête qu’ils ont menée au cœur de la stratégie diplomatique de l’Arabie saoudite. Si, à partir des années 1980 et 1990, et jusqu’au 11 septembre 2001, elle se déploie surtout régionalement, attentive à contrôler les médias arabes, les journalistes et les voix dissidentes, ainsi qu’à promouvoir la chaîne Al-Arabiya, contre sa concurrente Al-Jazzira financée par le Qatar, elle devient beaucoup plus offensive, quand il s’agira de faire face au fait que quinze des dix-neuf terroristes des attentats du 11 septembre sont saoudiens et que le pays diffuse, depuis des décennies, le wahhabisme/salafisme partout dans le monde. Le résultat du déploiement de cette nouvelle stratégie de communication porta ses fruits, puisqu’en fin de compte Ryad fit l’objet de peu de critiques internationales. Le pays ne fut jamais dénoncé comme un Etat voyou ni figurant dans un quelconque axe du mal. Quels liens particuliers le pays entretient-il avec les Etats-Unis depuis la découverte du pétrole ? Que nous apprend l’histoire de ce royaume, berceau du wahhabisme, depuis sa création et refondation lors de la dislocation de l’Empire ottoman durant le premier conflit mondial : la conquête du Hedjaz dans les années 1920 avec la prise des villes saintes de La Mecque et Médine mettant fin à mille ans de chérifat hachémite (lignée descendants du grand-père du prophète) ; la fusion des provinces du Nejd et du Hedjaz donnant naissance à l’actuelle Arabie saoudite en 1932 ; la découverte du pétrole en 1938 ; la lutte contre le nassérisme et le socialisme arabe ; la prise de la Grande Mosquée de La Mecque, en novembre 1979, par des fondamentalistes islamistes inaugurant ainsi un cycle de violences, qui, dans sa matrice sunnite, se prolonge dans les guerres des années 80, la guerre civile algérienne des années 90, les attentats du 11 septembre 2001, et jusqu’à nos jours avec Al-Qaïda et l’Etat islamique ? Comment le pays a revu toute sa communication en recrutant des cabinets de lobbying, en contractant avec les cinq plus grandes sociétés internationales de relations publiques (trois américaines et deux françaises), sachant qu’il ne disposait pas, par ailleurs, de diaspora pouvant lui servir de relais dans la mise en place d’un vaste réseau d’influence ? Que nous apprend l’étude des Saoudi Cables ou Saoudi Leaks ? Sofia Farhat qui les a traduits et analysés, expose notamment comment s’explique le traitement différencié dans la presse arabe de la retentissante affaire Khashoggi, du nom de ce journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, longtemps proche du pouvoir, tombé en dissidence ou en disgrâce depuis 2017 et l’avènement de Mohammed ben Salmane, alias MBS, au statut de prince héritier et dirigeant de fait du pays. Exilé aux Etats-Unis, le journaliste obtient la nationalité américaine et tient une chronique dans le Washington Post. Il est assassiné dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite, à Istanbul, le 2 octobre 2018, dans de sordides conditions, dégradant passablement l’image du pays à l’étranger. Si l’affaire fit grand bruit dans le monde occidental, elle eut aussi ses répercussions dans le monde arabe. Ainsi, en Irak, pays dépendant de l’argent saoudien pour sa reconstruction, on ne traita pas l’affaire Khashoggi de la même façon qu’au Liban. La rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite dans le pays du Cèdre se refléta dans la façon dont les médias locaux couvrirent l’affaire, selon leur proximité ou leurs affinités politiques avec l’Arabie saoudite ou bien avec l’Iran. Comment, de son côté, la presse tunisienne a-t-elle couvert l’événement ? Quelles sont en France les cibles du lobby saoudien ? Si l’opinion publique lui importe assez peu, les hommes politiques, les décideurs, les acteurs économiques, les faiseurs d’opinion, les élites des communautés musulmanes concentrent en revanche toute son attention. Demain, après avoir racheté Newcastle, l’Arabie saoudite parviendra-t-elle à acheter l’Olympique de Marseille (OM) ? À l’oreille
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10 Nov 2021 | #87 – Avicenne, le philosophe persan | 01:09:30 | |
En plateau
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16 Nov 2021 | #88 – Être une femme aujourd’hui au Liban | 01:12:52 | |
En plateauSofia Farhat, analyste géopolitique, spécialiste du monde arabe. ContexteSofia Farhat s’attache à démontrer en quoi le genre et l’intersectionnalité sont non seulement une des manières possibles d’aborder l’actualité libanaise aujourd’hui, mais encore en quoi cette approche est particulièrement pertinente et éclairante pour qui veut comprendre les enjeux sociétaux. Bien entendu, on se méfiera des généralisations hâtives, source d’erreur. S’agissant des femmes au Liban, il n’y a pas une homogénéité dans l’appréhension de la condition féminine. Les situations diffèrent selon la classe, la catégorie sociale, la communauté d’appartenance, la nationalité, le statut (natives, réfugiées, employées de maison venant d’Afrique et dont les passeports sont confisqués, etc.). L’extrême fragmentation d’une société multiconfessionnelle, compartimentée, hiérarchisée, a du reste empêché pendant longtemps les femmes de formuler collectivement des revendications au niveau national, en dépassant l’enfermement de chacune d’entre elles dans leur communauté d’origine. La mobilisation massive de la rue libanaise, en octobre 2019, fut de ce point de vue un grand tournant. Elle a permis aux femmes de toutes les confessions et origines sociales de se retrouver, fréquenter, connaître, et assumer de lutter pour leurs droits. Combien sont-elles dans un pays de quatre millions d’habitants ? Difficile de répondre car le dernier recensement effectué au Liban remonte à 1932 ! A l’initiative des autorités mandataires françaises, il a permis d’établir une cartographie du pays, à partir de critères ethniques et religieux, laquelle sert jusqu’à ce jour à déterminer le nombre de députés que chaque communauté peut envoyer au Parlement. Les femmes au Liban ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leur enfant, privilège masculin, destiné à empêcher les femmes de se marier en dehors de leur communauté d’origine. L’enfant qui n’est pas reconnu par son père, n’a donc pas de papier et ne peut être scolarisé. Les Libanaises jouèrent ainsi un rôle capital dans le mouvement de contestation civile. Elles furent à l’avant-garde dans la revendication d’une société laïque, d’une conception de la citoyenneté affranchie du cadre étroit et contraignant du communautarisme. Ce sont elles qui prirent aussi en charge les questions d’ordre logistique dans les manifestations : ravitaillement en eau et nourriture, garde d’enfants, pour que les manifestations se poursuivent sans interruption. Vivant dans un pays où elles font face quotidiennement à des coupures d’eau et d’électricité, elles ont développé une ingéniosité, un savoir-faire, des compétences qu’elles mirent à profit afin d’organiser et coordonner le mouvement qui n’aurait pu se prolonger autant sans l’engagement et le soutien des femmes descendues dans la rue. Elles sont néanmoins aujourd’hui les premières victimes de la crise économique, de la flambée des prix, du chômage, des pénuries des médicaments, de l’immense détresse frappant une population dont les trois quarts vivent désormais en-dessous du seuil de pauvreté. Ces difficultés actuelles s’ajoutent à celles qui étaient déjà notoirement connues : l’absence d’égalité professionnelle entre femmes et hommes, les discriminations à l’emploi, la difficile réinsertion sociale et professionnelle des femmes après une perte d’emploi, etc. En dénonçant les inégalités dont elles étaient victimes, en brisant les tabous, en luttant contre les discriminations qu’elles subissent, les violences conjugales ou sexistes, elles ont aussi contribué à souligner les nombreux paradoxes et contradictions dont souffrent la société et le système libanais. Dans le sillage de leurs revendications, elles ont su également faire entendre la voix d’autres minorités discriminées, LGBT, transgenres, réfugiées, employées de maison, personnes en situation de handicap. Elles ont porté sur la place publique le scandale de l’oppression et de la répression, tantôt visibles, tantôt occultées. Elles ont aussi par leur mobilisation, aux côtés d’ONG locales, notamment après l’explosion du 4 août 2020, montré l’inefficience de l’Etat, l’incurie des pouvoirs publics réduits à requérir l’aide de puissances étrangères pour éteindre un incendie. Seront-elles demain le fer de lance d’une révolution politique et sociale dans un pays qui s’enfonce de plus en plus profondément dans une crise multidimensionnelle dont on ne voit pas la fin ? Quel rôle pour la diaspora libanaise forte de 15 millions d’hommes et de femmes ? À l’oreille
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22 Nov 2021 | #89 – Rdv à New York chez Arleen Schloss, au 330 Broome Street | 01:00:03 | |
En plateau
ContexteA la fin des années 1970, le quartier du Bowery, dans le Lower East Side de New York souffre d’une réputation de coupe-gorge, depuis des décennies. Florissant au XIXème siècle, voie de passage quasi obligé pour tous les immigrants débarquant à Ellis Island, le quartier n’a cessé de se paupériser depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, au point de devenir le symbole du déclin d’une ville en grande difficulté financière. Les prix de l’immobilier s’y effondrent, une atmosphère permissive y règne, autant de facteurs favorisant l’installation de lieux alternatifs et celle de nombreux artistes à partir des années 1960. Parmi eux, Arleen Schloss et son compagnon « Cow Boy » Ray Kelly. Qui est Arleen Schloss ? Née en 1943, c’est une artiste aux pratiques hybrides, multimédia, travaillant sur l’alphabet, le langage et la diction, toujours à l’affût de nouvelles pratiques artistiques. Le loft new-yorkais qu’elle a acheté au 330 Broome Street, pour une poignée de dollars, est une ancienne manufacture de mannequins, qui fut autrefois une école. Il devient à la fin des années 1970 un lieu d’expérimentation hors du commun. Arleen y reçoit tous les mercredis, pendant 18 mois, une programmation hybride de concerts, performances, lectures, expositions ou projections. Chaque semaine, des flyers, réalisés sur la photocopieuse de Tod Jorgensen, annoncent l’événement, égrenant une liste hétéroclite d’artistes plus ou moins connus du mythique underground new-yorkais. Chaque mercredi, on croise ainsi au 330 Broome Street des personnalités telles que Glenn Branca, Alan Vega, Kim Gordon, Thurston Moore, Liquid Liquid, Jean Basquiat, Aï Weïweï, etc. Trente ans plus tard, Baptiste Brévart et Guillaume Ettlinger, qui vivent entre Paris et Hanovre, rencontrèrent Arleen, chez elle, en 2011. De leur amitié durable naquit progressivement l’idée originale d’entreprendre un travail archéologique sur la mémoire évanescente de ce lieu d’expression et d’expérimentation hors normes. Ils ont rassemblé un grand nombre de témoignages exceptionnels et documents inédits. Avec la précieuse collaboration de Pauline Chevalier, historienne de l’art, et Guillaume Loizillon, musicologue et compositeur, ils retracent l’histoire des arts parallèles du légendaire underground new-yorkais. À l’oreille
Pour aller plus loinBaptiste Brévart et Guillaume Ettlinger, Wednesdays at A’S, 330 Broome St. NY 1979-1981. Avec la collaboration de Pauline Chevalier et Guillaume Loizillon, Animosa, 2021 | |||
23 Nov 2021 | #90 – Dante, plus dantesque que jamais ! | 00:55:45 | |
En plateauDanièle Robert, écrivain, critique et traductrice littéraire, membre de la Société Dantesque de France, a traduit l’ensemble des œuvres poétiques de Paul Auster, Catulle et Ovide. Elle a obtenu le prix Laure-Bataillon classique et le prix Jules-Janin de l’Académie française pour ses traductions d’Ovide. Elle publie aux éditions Actes Sud, à l’occasion du 700ème anniversaire de la mort de Dante en 1321, une traduction novatrice de La Divine Comédie. CONTEXTE :Né en 1265 et mort en 1321, Durante degli Alighieri dit Dante est l’auteur de La Divine Comédie, chef d’œuvre de la littérature mondialement reconnu. Il est considéré comme le « père de langue italienne ». Le 14 septembre 2021 marquait le 700ème anniversaire de sa mort. Danièle Robert a la poésie bien chevillée au corps. Elle se meut avec une aisance sans pareille dans l’univers poétique d’auteurs aussi différents que Paul Auster, Catulle, Ovide et Dante. Sa traduction novatrice de Dante, un événement littéraire salué par la critique, nous propose pour la première fois en France, dans son intégralité, une lecture du poème prenant en compte la structure voulue par le poète florentin. C’est en respectant la dimension orale du texte, son mouvement, sa cadence musicale, ses jeux de sonorités, en puisant au cœur même de la création dantesque les éléments caractéristiques de son écriture afin de les transposer en français tout en respectant la spécificité des deux langues, que Danièle Robert relève le défi consistant à permettre au lecteur d’aller plus avant dans la découverte de la beauté de ce chef d’œuvre universel. Mais qu’est-ce que La Divine Comédie ? Il s’agit avant tout d’un voyage, d’une expérience intérieure, d’un témoignage composé de trois parties : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Le poète décrit dans chaque partie ce qui s’y passe, ce dont il est témoin en présentant au lecteur des atmosphères très différentes. Mais il s’agit d’un voyage en plusieurs étapes avec un commencement et un terme, à considérer comme un tout et Dante nous invite à l’accomplissement de ce voyage. Pas question d’en comprendre le sens et la portée si l’on s’arrête à l’Enfer. Il faut poursuivre la route (la lecture). Dans ce voyage, Dante est accompagné, guidé par Béatrice, une figure féminine qui joue un rôle crucial dans le récit et qu’il convient d’opposer à celle de Francesca rencontrée en Enfer, comme deux visions différentes de l’amour. Après avoir souligné l’importance de lire jusqu’au bout La Divine Comédie, et donc d’effectuer ce voyage imaginaire qui perd son sens profond s’il reste inachevé, Danièle Robert explique les raisons pour lesquelles elle a choisi de traduire Dante en vers rimés. Qu’est-ce que la terzina et la terza rima qui forment la base de la structure totale et du sens du poème, son moteur, sa rythmique créatrice de sens ? Terzina, terza rima, trio, valse, trois temps, le souffle de la Trinité préside au principe de composition de l’œuvre. Œuvre majeure, La Commedia continue d’exercer une influence majeure sur les générations suivantes d’artistes, peintres, écrivains, poètes, musiciens. Les yeux d’Elsa d’Aragon en sont un bon exemple où l’on retrouve l’influence de Dante, des poètes courtois et de la poésie arabe. Cette confluence des influences que l’on retrouvait dans l’œuvre du poète florentin s’exprime aussi dans la capacité de Dante, père de la langue italienne, à forger une langue moderne sans tuer la richesse des dialectes dont la vivacité perdure aujourd’hui encore en Italie. À l’oreille
Pour aller plus loin
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15 Dec 2021 | #91 – Sale guerre : l’invasion du Mexique par les États-Unis (1846-1848) | 01:10:00 | |
En plateau
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22 Dec 2021 | #92 – Night Fever : la fabuleuse histoire du disco (troisième partie) | 01:12:53 | |
En plateauBelkacem Meziane, musicien professionnel, enseignant, conférencier et chroniqueur pour Soul Bag et New Morning Radio, est l’auteur notamment de Night Fever, 100 hits qui ont fait le disco, paru aux éditions Le mot et le reste, en 2020. ContexteAlors que les discothèques sont de nouveau fermées pour une durée indéterminée, en raison de la crise sanitaire, nous poursuivons avec Belkacem Meziane le cycle d’émissions consacrées à la fabuleuse histoire du disco, ses origines, son âge d’or et son héritage, le disco demeurant encore aujourd’hui l’essence profonde de ce qu’on appelle la dance music. New York, 1974. Les communautés gay, noire et latine se côtoient et se mélangent sur les dancefloors des nouveaux temples de la nuit appelés « discothèques », lieux de libération sexuelle et des paradis artificiels, où les DJs font danser, chaque week-end, sur de la soul, du funk ou des raretés afros et latines, une foule venue oublier les tourments d’une époque en pleine crise économique et existentielle. Chocs pétroliers de 1973 et 1979, fin des Trente Glorieuses (1945-1975), crise économique et sociale, publication des Pentagon Papers (1971) par le New-York Times et le Washington Post, scandale du Watergate (1972-1974), fin de la guerre du Vietnam (1955/1965-1975) de plus en plus contestée par l’opinion publique, y compris par certains de ses vétérans, séquelles de la guerre, etc. Une époque qui n’en a pas encore fini avec la ségrégation raciale et les discriminations, la pauvreté qui n’a jamais quitté certains quartiers. Une époque où l’homosexualité ne peut s’afficher publiquement. Une époque qui devient aussi plus individualiste, où l’on danse pour chasser le spleen, pour rêver, le week-end, d’une ascension sociale qui vous est refusée dans la semaine, pour briser le plafond de verre (une expression qui apparaît aux Etats-Unis à la fin des années 70), pour se libérer du carcan social, pour s’affirmer et pour exprimer paradoxalement sa passion de vivre, le désir d’une autre vie, l’appétence pour un autre monde. Au commencement de cette aventure, raconte Belkacem Meziane, il y a la fameuse soirée du 14 février 1970 au Loft, laquelle est considérée comme l’acte de naissance du phénomène disco. Emblématique, cette Saint-Valentin de 1970 est porteuse de deux éléments essentiels dans le disco : le thème de l’amour qui sera le grand mot d’ordre du disco et le rôle capital des DJs dans la constitution d’un répertoire disco originel. C’est donc ainsi que le 14 février 1970, le célèbre DJ David Mancuso inaugure son club new-yorkais, The Loft, en organisant la soirée Love saves The Day. C’est un club ouvert d’emblée à tous, contrairement aux clubs sélects de la jet-set. On y vient afin d’écouter et danser sur une musique rare, de qualité et qu’on entend nulle part ailleurs, proposée par cet ancien hippie, véritable créateur de tendances musicales, et chez qui tous les autres DJs importants du disco vont se former. Grâce aux DJs, des titres musicaux connaissent des succès phénoménaux jusqu’à se hisser au n°1 des Top 100, grâce à leur passage en discothèques, bien antérieur à celui en radio. Lancés en discothèques, ils sont ensuite repris sur les ondes. Dans Night Fever, Belkacem Meziane replace le disco dans son héritage soul, funk, gospel primordial, et le confronte aux différentes sensibilités qui le font grandir pour devenir un style à part entière. Il souligne le rôle des producteurs, dont quelques-uns de génie, eux-mêmes musiciens, dans l’émergence du disco, une musique conçue en studio, faite d’arrangements, avec la participation de musiciens chevronnés. À l’oreille
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28 Dec 2021 | #93 – Le Pakistan | 01:08:14 | |
En plateau (virtuel)Gilles Boquérat, historien spécialiste de l’Asie du Sud contemporaine, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), a publié Le Pakistan en 100 questions, aux éditions Tallandier en 2018. Contexte
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05 Jan 2022 | #94 – Quand le bio sent bon l’arnaque | 01:07:49 | |
En plateau (virtuel)François Grudet, agriculteur, inventeur de la culture en rond et en spirale, homme d’affaires ayant fait reculer le désert en Lybie sous Khadafi, puis dans de nombreux pays du Moyen Orient, endosse aujourd’hui le rôle de lanceur d’alerte en publiant Pour en finir avec l’utopie du bio, aux éditions Mareuil. ContexteFrançois Grudet est agriculteur, fils d’agriculteur, dont la famille est implantée dans la Beauce depuis toujours pour ainsi dire. Mais il est avant toute chose un amoureux de la terre. Sa conviction profonde pourrait bien se résumer dans cette maxime de Leonard de Vinci, placée en exergue de son livre : « Va prendre tes leçons dans la nature, c’est là qu’est notre futur ». Quant à sa devise, il l’emprunte au philosophe anglais Francis Bacon : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant ! ». Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Tout d’abord, être à l’écoute des besoins de la plante cultivée, à chaque moment de sa croissance. Mais, les besoins d’une plante variant en fonction du terrain, il faut donc aussi connaître la nature du sol dans lequel elle est cultivée, grâce à des prélèvements effectués et analysés en laboratoire. C’est seulement en fonction des résultats de ces analyses qu’il est possible d’établir avec une précision extrême les besoins de la plante et surveiller sa croissance en ne lui prodiguant que ce dont elle a besoin et au bon moment. François Grudet appelle cela le « biberonnage ». Passionné par son métier, il est aussi un inventeur. Il irrigue la terre en rond, technique américaine, mais il défriche également en rond. Contrairement à l’agriculture conventionnelle, américaine ou européenne, cette pratique de la culture en rond laisse entre les cercles des « as de carreaux », utilisables à d’autres fins (élevage ou cultures maraîchères), mais François Grudet ne laboure que les parcelles circulaires situées sous le bras de l’arroseur à pivot. Drainage circulaire, culture en rond et en spirale, donnent des résultats spectaculaires pour un coût très bas à l’hectare. C’est ainsi qu’il a par exemple accepté de verdir le désert libyen, en faisant pousser blé et luzerne sur du sable, seulement après analyse précise du sol et du sous-sol, lequel renfermait de l’eau en quantité, rendant le projet réalisable. Pourquoi François Grudet qui a expérimenté depuis plus de 50 ans une agriculture privilégiant le long terme, se fait-il aujourd’hui lanceur d’alerte en dénonçant les dérives actuelles du bio ? Car enfin, n’était-ce pas pour notre plus grand bien, notre santé, que nous nous sommes lancés dans la révolution du bio ? N’est-ce pas pour sortir de l’agro-industrie et du système agro-alimentaire bourré de pesticides chimiques de synthèse ou pas, d’additifs, de sel ou de sucre non nécessaires que nous nous sommes convertis au bio ? N’est-ce pas pour lutter contre les cancers ou l’obésité que nous nous sommes engagés dans la révolution du bio ? En s’appuyant sur des sources officielles (Objectif du plan bio 2022, liste des produits de synthèse autorisés) et des tableaux comparatifs concernant l’impact économique de la filière, François Grudet nous éclaire sur les arcanes de ce bio désormais de masse : un bio au cahier de charges allégé et dont les méthodes de production sont très éloignées des promesses vendues aux consommateurs. Force est en effet de constater qu’il est en vérité très facile de contourner « si nécessaire » les textes officiels européens. Contrairement aux idées reçues, les producteurs de bio n’ont en réalité pas d’obligation de résultats, mais seulement de moyens. Les déclarations de bonne foi suffisent souvent à remplacer les contrôles scientifiques attendus. Des produits industriels sont homologués « bio » par centaines, alors qu’ils peuvent se révéler fort néfastes pour l’environnement et la santé, tout autant que leurs équivalents non bio. Bienvenue dans le monde du bio light, du faux bio, de la supercherie où les lois vertueuses votées en fanfare sont assorties de centaines de dérogations permettant le contournement des normes, où les labels « bio » sont étonnement généreux envers la chimie, voire la pétrochimie ! Bienvenue au royaume de l’agriculture bio où la simple bonne foi et l’absence de contrôle font souvent loi. Il y a là un parfum de scandale ! un biogate ! François Grudet propose une alternative : l’agriculture raisonnée et scientifique, qui s’appuyant sur une analyse fine des besoins de la terre et des cultures, produit des aliments sans aucune toxicité pour un coût inférieur à celui du bio. Argument non négligeable ! Sans oublier que le fait de convertir 100% de la surface cultivable de la France au bio ne pourrait nourrir qu’un tiers de la population, renforçant le renchérissement des prix, la dépendance des ménages vis-à-vis des cours du marché mondial et de la fluctuation des prix des produits agricoles, et augmentant d’autant à l’échelle du globe l’insécurité alimentaire, les risques de pénuries et les famines. À l’oreille
Pour aller plus loinFrançois Grudet, Pour en finir avec l’utopie du bio, éditions Mareuil, 2021 | |||
12 Jan 2022 | #95 – Présidence française du Conseil de l’UE : des priorités au service de qui ? | 01:22:00 | |
En plateauOlivier Petitjean, coordinateur de l’Observatoire des multinationales, une ONG et un site d’investigation. En collaboration avec Corporate Europe Observatory, une autre ONG, l’Observatoire des multinationales publie une enquête sans concession sur les liens entre le gouvernement français et les grandes entreprises, alors que la France assume durant le premier semestre 2022 la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE). ContexteL’Observatoire des multinationales est un média indépendant consacré à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et porté par l’association Alter-médias, créée en 2008, qui regroupe des journalistes, acteurs associatifs, syndicalistes, chercheurs et citoyens et édite le journal Basta !, un média indépendant centré sur l’actualité économique, sociale et environnementale. La vocation de l’Observatoire des multinationales est de constituer un pôle d’information et de ressources destiné à fournir une information indépendante sur les pratiques des sociétés multinationales et leurs impacts, tout en faisant la promotion des valeurs que sont le respect de l’environnement, la justice sociale et la démocratie. Tous les travaux de l’Observatoire (enquêtes et dossiers consacrés notamment aux grands groupes économiques français) sont mis à la disposition des citoyens, des élus, de la société civile, des pouvoirs publics et des acteurs économiques. La France a pris au 1er janvier 2022 la présidence du Conseil de l’UE, à la suite de la Slovénie, et en avance de six mois sur le calendrier initialement prévu, en raison du Brexit. Le Conseil, qui a un rôle législatif et politique, est l’institution la plus puissante de l’UE, plus puissante que le Parlement européen et la Commission européenne. C’est aussi la moins transparente : il est difficile par exemple de connaître la position précise des États membres sur certains sujets débattus et arbitrés en son sein, et il est impossible de savoir quels sont les lobbys qui influencent les décisions prises par le Conseil, décisions ayant néanmoins un impact certain sur le quotidien de l’ensemble des citoyens européens. Ceci explique-t-il cela ? Alors que vont se discuter durant la présidence française (de janvier à juin 2022) plusieurs législations, cruciales pour l’avenir de l’Europe et relatives à l’urgence climatique, au plan de relance, au numérique, au nucléaire, à la fiscalité, aux droits sociaux, à la santé, etc. (avec à la clé d’importants financements publics), on aimerait pouvoir dire que les décisions publiques sont bel et bien protégées de la mainmise et de l’influence des grandes entreprises, y compris au niveau du Conseil. Or, l’enquête menée par l’Observatoire des multinationales et le Corporate Europe Observatory met au contraire en lumière les liaisons dangereuses entre les intérêts publics et privés, ayant pour conséquence de biaiser les priorités du gouvernement français pour l’UE. La présidence française du Conseil de l’UE a été en effet préparée en collaboration étroite avec les industriels et leurs lobbys. Derrière les grands discours sur la démocratie européenne, la souveraineté et le climat, en dépit de l’hommage rendu au Panthéon, à l’occasion du lancement de la présidence française du Conseil de l’UE, à Jean Monnet et Simone Veil, deux piliers de la construction européenne, le président de la République et le gouvernement français se sont-ils alignés, en pratique, sur les demandes et les intérêts des grandes entreprises ? Le rapport révèle en tout cas que sur les 40 rendez-vous de lobbying rendus publics par le représentant permanent de la France et son adjoint à Bruxelles depuis le 1er juillet, 31 ont eu lieu avec des entreprises ou des lobbys industriels, et seulement 2 avec la société civile. Pendant ce temps, les « portes tournantes » entre secteurs public et privé vont bon train à Paris et à Bruxelles : un conseiller en énergie à la représentation française à Bruxelles a travaillé auparavant pour TotalEnergies, tandis que d’anciens conseillers sur les questions financières travaillent maintenant pour la Société Générale, Amundi et la Fédération bancaire française, principal lobby du secteur. Il en va de même dans les ministères parisiens chargés de la présidence française de l’UE. D’où la question : la présidence française est-elle sous influence ? Ses accords de « sponsoring » conclus avec les constructeurs automobiles Renault et Stellantis ne sont-ils pas l’illustration la plus criante de cette approche biaisée ? Promouvoir un plus grand contrôle des forces économiques et de la concurrence, promouvoir le renforcement de l’autonomie européenne sont incontestablement des objectifs louables. Tout l’enjeu est de savoir comment on procède au-delà de toute rhétorique grandiloquente. Qu’est-ce que l’autonomie stratégique si cette dernière ne bénéficie d’aucune charpente institutionnelle ? Car pour affirmer la souveraineté climatique, numérique, industrielle de l’UE, la présidence française veut favoriser l’émergence de « champions français ou européens » dans les secteurs stratégiques. Soit ! Mais les intérêts et les priorités de ces champions industriels européens sont-ils différents de ceux des multinationales américaines et chinoises que le gouvernement français critique ? Qui s’en porte garant ? Faut-il remettre un chèque en blanc à des champions industriels européens sans leur demander de contrepartie et sans s’assurer qu’ils respectent et défendent bec et ongles le modèle social européen ? « Sous prétexte de promouvoir la « souveraineté économique » de l’Europe, Emmanuel Macron et son gouvernement poussent surtout pour un soutien politique et financier de plus en plus massif aux grandes entreprises et à leurs technologies problématiques », explique Olivier Petitjean. « Notre rapport donne un aperçu du travail d’influence et de lobbying qui s’est exercé depuis des mois pour s’assurer que les priorités de la présidence française du Conseil de l’UE resteraient alignées sur les intérêts des grandes entreprises. » Plus que jamais, il convient donc de faire preuve de vigilance vis-à-vis de la communication de la présidence français, laquelle coïncidera avec la campagne présidentielle et la tenue des élections en avril 2022. Entre rhétorique et réalisations concrètes, il y aura peut-être loin de la coupe aux lèvres ! La volonté affichée du président de la République de « cesser de construire l’Europe en s’isolant des citoyens » serait-elle contredite dans les faits par son gouvernement peu soucieux de transparence derrière les portes closes du Conseil ? Quelles propositions afin d’empêcher le Conseil et la présidence française d’être une courroie de transmission pour les milieux d’affaires et l’industrie ? L’Observatoire des multinationales demande de toute urgence d’ouvrir les décisions du Conseil de l’UE aux citoyens européens, de façon à empêcher la capture de l’UE par les entreprises. Il faut édicter des règles strictes pour empêcher l’accès privilégié des industriels aux décideurs, il faut encore un blocage des portes tournantes et enfin conférer de véritables pouvoirs de contrôle aux députés afin qu’ils puissent demander des comptes au gouvernement sur les décisions prises à Paris et à Bruxelles. À l’oreille
Pour aller plus loin« Une présidence sous influence ? Les priorités biaisées d’Emmanuel Macron et du gouvernement français pour l’UE », rapport de l’Observatoire des multinationales et Corporate Europe Observatory, décembre 2021. | |||
14 Jan 2022 | #96 – L’anti-démocratie au XXIème siècle | 01:06:31 | |
En plateauHamit Bozarslan, historien et sociologue du fait politique, spécialiste du Moyen Orient, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), publie L’anti-démocratie au XXIème siècle. Iran, Russie, Turquie, aux éditions du CNRS. ContexteQu’est-ce que l’anti-démocratie au XXIème siècle ? Un nouveau concept qui éclipserait celui de « démocratie illibérale », de « l’autoritarisme mis à jour », de « l’État-cartel », du « régime hybride », de « l’autoritarisme compétitif », de « la démocratie autoritaire », ou bien de « l’autoritarisme démocratique » ? Hamit Bozarslan souligne que cette profusion conceptuelle témoigne d’abord du fait que les démocraties sont en crise, discréditées, attaquées, remises en cause, brutalisées, de l’intérieur et de l’extérieur, à des degrés divers. Afin de faire avancer le débat et la compréhension de ce qui se passe actuellement, il suggère l’emploi du terme d’anti-démocratie pour souligner « la particularité de certains régimes du XXIème siècle qui se considèrent explicitement comme des réponses nationales, anti-universalistes, viriles et guerrières au système démocratique, « cosmopolite », « efféminé » et « corrompu » ». Parmi les anti-démocraties contemporaines, Hamit Bozarslan se focalise sur trois pays : l’Iran, La Russie et la Turquie. Trois régimes qui, sans rejeter le principe des élections, sans supprimer le parlement, la Cour constitutionnelle, la cour des comptes, etc. parviennent à les vider de « leur charpente institutionnelle d’autonomie, interdisant dans la pratique toute possibilité de contrôle et d’équilibre des pouvoirs, de même qu’une quelconque alternance politique ». Autre caractéristique de ces trois régimes, l’absence de relation apaisée avec le passé et en particulier leur XXème siècle. On constate dans les trois cas étudiés la volonté de restaurer dans sa prétendue pureté originelle la nation pensée comme « une entité organique » qui aurait été dévoyée par la trahison de ses élites occidentalisées. A cela s’ajoute aussi une volonté de revanche sur l’histoire se traduisant par une forte nostalgie impériale et la tentative de restaurer/instaurer une hégémonie régionale au nom d’une mission historique. A cet égard, ces anti-démocraties se distinguent de la Chine, une anti-démocratie d’un autre type, dictature numérique et régime visant à l’hégémonie mondiale, en paix avec son histoire, sa grandeur passée étant considérée comme rétablie et la révolution maoïste intégrée dans sa continuité historique millénaire en tant qu’épisode de délivrance nationale. En quoi ces régimes anti-démocratiques ont-ils des traits communs avec les nationalismes ou totalitarismes du passé ? En quoi sont-ils néanmoins différents, issus de leurs contextes historiques respectifs, et de leur temps, en se prêtant de fait moins facilement que par le passé à des projets d’organisation et d’encadrement total de la population ? Hamit Bozarslan explique comment l’individualisme moderne et post-moderne limite l’emprise « organique » de ces régimes sur leurs sociétés qui peuvent être séduites par les discours guerriers ou complotistes de leurs dirigeants, sans pour autant obéir à ses injonctions de politique nataliste, vouloir se sacrifier et mourir pour la nation ou accepter la militarisation des économies nationales. C’est la raison pour laquelle se multiplient le recrutement de milices et forces paramilitaires pour mener les guerres, que se développent les mécanismes de corruption ou clientélistes permettant au « chef » de disposer du soutien inconditionnel d’un bloc hégémonique, qui lui est redevable de sa richesse et son pouvoir. Quant à la question sociale, elle est occultée par une représentation religieuse du monde dans laquelle la pauvreté est une fatalité, et non pas un scandale. En guise de redistribution des richesses, la charité et l’aumône permettent aux plus démunis de ne pas mourir de faim et de froid. Quel avenir pour ces régimes anti-démocratiques confrontées à des difficultés économiques croissantes mettant en évidence les écarts entre les discours symptomatique d’une volonté de puissance et la réalité ? Quelles constances structurant ces régimes révèlent leur rhétorique mobilisatrice, guerrière, menaçante, au-delà ou malgré les déclarations de circonstance ? Quelles perspectives néanmoins entre une réforme impossible, car elle signifierait la fin de ces régimes, et une révolution imminente improbable, tant les diverses forces d’opposition et formes de résistance sont réprimées, affaiblies et isolées? À l’oreille
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26 Jan 2022 | #97 – This is how we do it ! 40 ans de R&B (Partie 2) | 01:04:48 | |
En plateauBelkacem Meziane, musicien professionnel, enseignant, conférencier et chroniqueur pour Soul Bag et New Morning Radio, publie This is how we do it, 40 ans de r&b en 100 albums, aux éditions Le mot et le reste. ContexteAu milieu des années 1980, le paysage musical noir américain est en pleine mutation. Le funk et la soul évoluent ; Michael Jackson et Prince deviennent des pop stars internationales. Une partie de la jeunesse se reconnait davantage dans le hip-hop, en lien avec la réalité des quartiers noirs. De jeunes artistes sentent qu’ils peuvent faire la synthèse de toutes ces sensibilités. Cette musique va prendre le nom de rhythm & blues, ou celui de son abréviation R & B, terme générique par lequel le public et l’industrie désignent depuis plusieurs décennies la musique populaire noire, distincte du blues, du jazz et du gospel. Belkacem Meziane poursuit, dans cette deuxième émission consacrée à ce style musical, le récit de la grande aventure du r & b, depuis le Harlem Hit Parade, en passant par le « race records », appellation aussi imprécise que raciste sous laquelle étaient rangés tous les titres en vogue dans la communauté noire (qu’ils relèvent du swing, du blues ou du gospel), jusqu’à l’officialisation du terme rhythm & blues / R & B correspondant à la diffusion de cette musique au niveau national, quand le r & b fait aussi son entrée dans les foyers de l’Amérique blanche, imposant un style, y compris vestimentaire, et revisitant le mythe américain du self made man avec la légende du « fabulous ghetto ». Qui sont les chefs de file de cette révolution qui débute avec les stars du new jack swing, les boys bands élevés au gospel comme les girls groups sexy ? Quels sont les labels qui se spécialisent dans le r & b, qui sont les producteurs de génie, les musiciens, les ingénieurs du son qui contribuent au succès de cette musique ? Comment des artistes comme Mary J. Blige, R. Kelly ou Beyoncé vont s’imposer comme les nouveaux souverains de la great black music et des icônes planétaires ? À l’oreille
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02 Feb 2022 | #98 – Le Journal d’Alix | 00:49:44 | |
En plateau (virtuel)Iegor Gran, écrivain, publie Le Journal d’Alix, un roman, et le seizième livre de cet auteur phare des éditions P.O.L. ContexteAprès avoir observé durant la crise sanitaire la fragilité de la démocratie, de la civilisation, de l’humanité, après avoir dénoncé la bêtise de la technocratie sanitaire perdant la tête à propos d’un virus dont les conséquences ne sont en rien comparables à celles de la grippe espagnole ni à celles d’une guerre, grande ou petite, Iegor Gran publie un roman, Le Journal d’Alix, dans lequel il décrit une obsession. Alix, une jeune femme de 35 ans, a un fantasme androphage. « Quand l’homme est mangé cru, il est moelleux sous la dent, sa chair est délicate, et je ne sais jamais quel vin choisir. » Sujet tabou et fantasme inavouable ! Alix n’est jamais passée à l’acte, mais s’en approche dangereusement. Si elle ne se définit pas comme féministe au départ, elle masque sa pulsion androphage sous les traits d’un féminisme radical en lutte contre la domination du patriarcat. Juste retour des choses, les femmes ne sont-elles pas mangées à toutes les sauces depuis des lustres ? Et puis, l’homme n’est-il pas naturellement bon ? Toujours afin de canaliser sa pulsion androphage virant à l’obsession, Alix entreprend la rédaction d’un journal intime, auquel elle confie tout, sans détour, s’appliquant comme une écolière dans une démarche narrative au point de suivre un atelier d’écriture, elle dont écrire n’est pas le métier. Il était une fois… Alix au pays des merveilles ? C’est l’histoire d’une nana chelou, ogresse sur les bords, prédatrice ou castratrice d’un genre spécial ? Comment son carnet Moleskine se retrouve-t-il dans les mains d’un juge d’instruction en tant que pièce à conviction, alors qu’il n’était destiné à aucune publicité ? Quel lien entretiendrait-il avec une affaire judiciaire en cours, un fait divers, devenant un sujet de débat public ? Et puis, quel rapport avec le projet éco-végétarien d’une cantine 100% sans dioxines (tolérance zéro pour la viande bovine, ovine, porcine, ou la volaille, quand bien même son étiquetage mentionnerait le pays d’élevage et celui d’abattage) ? Ce projet est porté par le département Prospection, dans lequel travaille Alix, au sein d’un Institut sous la tutelle du ministère de la Culture. Dûment validé par le département Consolidation, puis par les stratosphères de la direction générale, conformément à la chaîne hiérarchique, la mise en œuvre d’un tel projet joue-t-elle un rôle catalyseur dans la mobilisation de tout un département entièrement féminisé, à l’exception de son chef ? Comment ce dernier parvient-il à cristalliser contre lui le potentiel de révolte de son équipe qui se radicalisant chaque jour davantage se métamorphoserait presque en meute ? En quoi la cantine, lieu stratégique, emblématique, ou non, d’une certaine qualité de vie au travail, devient le lieu où chacun pointe son nez pour afficher, par conviction ou mimétisme, son éco-responsabilité solidaire ? Le rendez-vous à ne pas manquer des ruminants de tout poil ! Les absents ont toujours tort. Mais qui est donc Alix ? Iegor Gran, grand prix de l’humour noir pour son roman O.N.G. en 2003, signe un roman dont l’ironie délicieuse, le loufoque et le rocambolesque nous délestent de la pesanteur des carcans, libérant un espace-temps pour penser librement et sourire, jaune parfois. Quant au langage, entre androphagie, autofiction, autotest et autophagie, il est assurément à la fête ! À l’oreille
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09 Feb 2022 | #99 – La Chine aujourd’hui : puissance et failles | 01:06:00 | |
En plateau (virtuel)Valérie Niquet, spécialiste des relations internationales et des questions stratégiques en Asie, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) depuis 2010, publie La Chine en 100 questions, aux éditions Tallandier. ContexteLa Chine fascine, ce n’est pas nouveau, mais elle inquiète aussi, et c’est un phénomène plus récent. Hier comme aujourd’hui, elle reste largement méconnue, souligne Valérie Niquet. Ce qui nuit à la juste évaluation de sa puissance, dans tous les domaines, de l’économique au stratégique, mais encore à la perception de ses failles. L’analyse s’en trouve parfois biaisée. Pour diverses raisons et à diverses fins, la menace est plus souvent exagérée que minimisée, même si cela ne signifie pas que la Chine n’est pas une menace ou qu’elle n’est pas perçue comme telle dans son environnement proche et plus lointain. Qu’en est-il de la stratégie de puissance de la Chine aujourd’hui et cette dernière a-t-elle les moyens de son ambition ? Le Parti communiste chinois a célébré en 2021 son centenaire et il tiendra son XXème Congrès à l’automne 2022. Pour l’heure, le Président chinois Xi Jinping, après vingt-trois mois d’isolement dû à la pandémie, a profité de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver, boycottée par Washington, pour rencontrer les principaux dirigeants présents, dont Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie. Les deux hommes d’État visent-ils vraiment ensemble le leadership d’un « monde post-occidental » ? La Russie et la Chine, deux puissances nucléaires, partageant l’objectif de repousser loin de leurs frontières respectives la présence ou l’influence américaine. Mais, observe Valérie Niquet, pour la Chine, la relation bilatérale avec les États-Unis domine toutes les autres, structurant ainsi sa vision du monde. La Chine souhaiterait qu’ils lui reconnaissent un statut de superpuissance, qui en ferait en quelque sorte l’égal des États-Unis, reléguant le reste du monde, à commencer par les partenaires régionaux des États-Unis, au second plan. Si la stratégie américaine faisant de l’Asie un pivot déplaît à Pékin (qui lui préfère de beaucoup l’attitude isolationniste des États-Unis), c’est que la puissance américaine est perçue comme la seule capable d’empêcher la Chine d’exercer une hégémonie régionale. Du côté américain, l’élection de Joe Biden n’a pas modifié la perception de la Chine comme une menace. D’où le soutien américain au Japon, sur la question des îles Senkaku, ou aux Philippines, sur la question de la mer de Chine. La mise au pas de Hong Kong par la Chine, mettant brutalement fin au statut « un pays, deux régimes », inquiète Taïwan, indépendante de facto depuis 1949, avec une incontestable évolution démocratique depuis les années 1980. Que signifient les mesures d’intimidation chinoises vis-à-vis de l’île de Taïwan qui, prudente, se garde de proclamer son indépendance ? Quelles sont aujourd’hui les capacités militaires de la Chine, laquelle, afin de combler son retard technologique, a considérablement modernisé son armée, renforcé sa force de frappe, s’est dotée d’une force navale qu’elle n’avait pas jusqu’alors ? Si l’armée chinoise est bien la deuxième au monde, Valérie Niquet rappelle que cette armée n’a livré aucun combat depuis 1979, lors du conflit qui l’a opposée au Vietnam et dont l’issue ne fut pas des plus glorieuses pour la Chine. En conséquence, et à ce jour, les Etats-Unis demeurent les garants de la sécurité pour ses alliés au Japon et en Asie. La capacité nucléaire et balistique de la Chine lui permet certes de mettre en œuvre une stratégie de dissuasion et d’intimidation efficace, mais contreproductive à certains égards, et ne remettant pas en cause la supériorité des Etats-Unis dans ce domaine aussi. Sur le plan intérieur, quels sont les obstacles et les difficultés auxquels le régime est confronté ? A l’occasion du Nouvel An chinois, le autorités chinoises ont autorisé cette année la circulation et le déplacement de ses ressortissants désireux de rejoindre leurs familles pour les fêtes. La forte croissance économique dont a bénéficié jusqu’à maintenant le pays, a contribué à garantir la stabilité sociale. Mais, qu’adviendra-t-il en cas de stagnation ou recul dans les prochaines années ? La méritocratie, la politique égalitaire et soucieuse du développement durable, objectifs proclamés du régime, sont dans les faits contrariés par la corruption, les réseaux et les clans. Il devient de plus en plus difficile de maintenir un fort taux de croissance et de préserver l’environnement à la fois. Or les questions environnementales constituent également un potentiel facteur de déstabilisation et de contestation qui mobilise localement les gens. Par ailleurs, la faiblesse du système légal décourage l’initiative, l’esprit d’entreprise et nuit à terme à l’innovation. La pandémie, partie de Chine (et de la ville de Wuhan), a révélé les forces et les faiblesses du régime, au-delà de la propagande. Le maintien du passeport intérieur imposé en 1958, pendant le Grand Bond, instauré pour empêcher l’exode rural, a instauré une grande inégalité entre population rurale et citadine. Les migrants intérieurs, ayant quitté les zones rurales, ne bénéficient pas en ville, de la protection sociale ou d’un accès aux écoles pour leurs enfants. Officiellement, en vertu de leur passeport intérieur, ils sont toujours des « ruraux ». Le régime craint de perdre le contrôle de la population, en cas d’abrogation de ce document. Toute réforme du système est en effet perçue comme une mise en danger possible du régime, lequel est fortement traumatisé par l’épisode Gorbatchev et il fait de sa survie une priorité. La répression religieuse, culturelle, politique, sociétale n’a cessé de se renforcer depuis la consécration de Xi Jinping comme leader suprême. La thématique nationaliste de plus en plus présente depuis Tienanmen, le processus de légitimation permanente dans lequel est engagé le régime voulant en finir avec le siècle d’humiliations qu’a connu la Chine avant la Révolution, et cherchant à convaincre de sa supériorité, peuvent-ils amener la Chine à succomber à la tentation aventuriste, en cas d’aggravation de difficultés économiques ou autres ? À l’oreille
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2017 et 2021
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11 Feb 2022 | #100 – Le temps des guépards | 01:25:55 | |
En plateauMichel GOYA, historien, ancien colonel des troupes de marine, spécialiste de la guerre moderne, de l’innovation militaire et du comportement au combat, a enseigné à Sciences-Po et l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), en parallèle de sa carrière opérationnelle. Auteur de nombreux ouvrages dont Le temps des guépards. La guerre mondiale de la France, de 1961 à nos jours, qui vient de paraître aux éditions Tallandier, il tient également un blog consacré aux questions stratégiques, intitulé La voie de l’épée. ContexteSpécialiste des questions militaires et des conflits, Michel Goya analyse la période actuelle de tensions et crises internationales en rappelant d’une part que la guerre ou la menace de guerre, est une forme de dialogue, certes violent, destinée à faire plier l’adversaire. Ce qui suppose d’avoir au préalable clairement défini son objectif. Il note d’autre part à quel point le besoin de précision et de nuances sont de rigueur dans l’analyse pour une juste évaluation de la situation. Deux exemples à l’appui avec les crises ukrainienne et malienne. La Russie organise-t-elle une opération militaire contre l’Ukraine ? Oui, c’est évident. Se prépare-t-elle pour autant à envahir le pays ? Pas forcément ! Ce serait en tout cas aller à l’encontre de sa pratique habituelle. Non pas que la Russie n’ait historiquement jamais envahi de pays, mais quand elle décide de le faire, elle agit généralement par surprise. Depuis la destitution de Victor Ianoukovytch, en 2014, la Russie a mené six opérations militaires contre l’Ukraine. Une opération froide, sans combat, consistant à un déploiement rapide de forces militaires à la frontière de l’Ukraine, laquelle permit ensuite la réalisation de cinq autres opérations, chaudes cette fois, mais limitées, dont la saisie-éclair de la Crimée et le soutien masqué aux mouvements séparatistes du Donbass. Ces opérations, restées sous le seuil de la guerre ouverte, relèvent de « la guerre avant la guerre » selon l’expression du chef d’état-major des armées, le général Burkhard. L’Ukraine essaya de reprendre le contrôle de l’ensemble de son territoire et d’y affirmer sa souveraineté, conformément aux garanties d’intégrité et de sécurité posées par le mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994. Après un premier succès relatif, cette tentative provoqua en retour une escalade des tensions se traduisant finalement en 2014 et 2015 par deux cuisantes défaites des forces militaires ukrainiennes. L’Ukraine fut alors stratégiquement neutralisée avec l’annexion de la Crimée, reliée ensuite à la Russie par un pont automobile et ferroviaire, et le placement de facto sous protectorat russe des deux républiques du Donetsk et de Louhansk autoproclamées, suivie ensuite de la distribution massive de passeports russes aux populations locales. Quant aux pays occidentaux, ils n’ont pas bougé, par crainte et/ou impuissance. Pourquoi 7 ans plus tard, en 2022, assiste-t-on à une montée en puissance des tensions ? Que signifie, à court terme et à long terme, la mobilisation visible des forces russes aux frontières ukrainiennes ? Empêcher toute remise en cause du statu quo par l’Ukraine ? Obtenir un gain diplomatique par une finlandisation du pays, à défaut d’une orientation politique et stratégique pro-russe ? Quel rôle a joué le départ précipité et chaotique des Etats-Unis d’Afghanistan dans l’appréciation de la situation globale et du rapport de forces mondial par la Russie ? Sur le terrain, le rapport des forces est bien plus favorable aujourd’hui à la Russie qu’en 2014, et elle bénéficie en outre des acquis de son expérience militaire en Syrie, tandis que l’Ukraine est restée militairement faible, malgré quelques efforts d’amélioration et sans aide extérieure massive, de nature à renverser la donne. Comment réagissent les pays de l’Est devenus membres de l’OTAN et de l’UE ? L’Otan sortira-t-elle renforcée de la crise ? La présence militaire américaine dans la région augmentera-t-elle paradoxalement, en cas de neutralisation de l’Ukraine ? S’agissant des tensions entre le Mali et la France, Michel Goya distingue l’opération Serval de l’opération Barkhane. Il rappelle les erreurs commises, les maladresses diplomatiques ayant conduit à la crise actuelle, les difficultés et impasses du redéploiement des forces françaises dans la région (au Niger notamment) et les considérables difficultés logistiques que pose concrètement le désengagement de forces armées envoyées au loin. Il constate l’absence de profondeur historique des décisions politico-stratégiques. L’opération Barkhane est lancée en août 2014 dans l’euphorie de la victoire de l’opération Serval quelque mois plus tôt, mais sans tenir compte du fait qu’on se lance alors dans quelque chose que l’on n’a pratiquement jamais réussi jusque-là. Suprême inconséquence, souligne Michel Goya, non seulement on se lançait avec Barkhane dans une opération très hasardeuse au Mali et au Sahel, mais avec une dispersion et une diminution des moyens, puisqu’on s’engluait en même temps en Centrafrique, on s’engageait en Irak et quelques mois plus tard, on lançait même 10 000 soldats dans les rues de France avec l’opération Sentinelle, le tout en poursuivant les réductions d’effectifs et de budget. Or, précise Michel Goya, le scénario consistant à venir au secours d’un État défaillant mis en danger par une organisation armée importante avait pourtant été joué plusieurs fois, du Tchad au Mali en passant par le Rwanda, pour ne parler que des engagements où la France avait le premier rôle. Cela n’a fonctionné qu’une seule fois, au Tchad avec les opérations Manta et Epervier, de 1983 à 1987, car la faiblesse de l’État qui demanda alors l’aide de la France, était conjoncturelle, et non pas structurelle, comme c’est le cas au Mali. Dans le livre qu’il vient de publier, Le temps des guépards. La guerre mondiale de la France depuis 1961, Michel Goya précise le constat. Sur les 32 opérations importantes de guerre ou de stabilisation menées par la France depuis 1961, les seules qui ont réussi alignaient correctement les planètes de la stratégie : un objectif clair et réaliste, des moyens adaptés et l’acceptation du risque. On a su doser à chaque fois ce qui suffisait, sans aller trop loin, le trop loin se mesurant essentiellement à la solidité de la planche sur laquelle on s’appuie. Quant au titre de l’ouvrage, Le temps des guépards, rappel du livre d’Yves Courrière, Le temps des léopards, il renvoie aussi au félin symbole des unités terrestres en alerte d’intervention. À l’oreille
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23 Feb 2022 | #101 – A comme Amour, D comme Dictionnaire, I comme Istanbul | 00:59:57 | |
En plateauMetin Arditi, écrivain francophone d’origine turque, auteur d’essais et de romans, parmi lesquels Le Turquetto (Actes Sud, 2011, prix Jean Giono) et L’enfant qui mesurait le monde (Grasset, 2016, prix Méditerranée), publie le Dictionnaire amoureux d’Istanbul aux éditions Plon-Grasset. ContexteL’écrivain Metin Arditi a pris l’habitude de déclarer sa flamme sous forme de dictionnaire. Avec la publication du Dictionnaire amoureux d’Istanbul, il signe en effet son troisième de la série, après Dictionnaire amoureux de la Suisse et Dictionnaire amoureux de l’esprit français. Il considère du reste que ces trois volumes forment une trilogie, se complètent harmonieusement et contribuent à saisir sur le vif et dans le détail sa manière d’être au monde. Avec amour. Et bonheur. Un fil rouge relie entre eux Istanbul, l’esprit français et la Suisse. Il naît à Istanbul, vit en Suisse et écrit en français.
La ville cosmopolite aux racines plurielles s’est construite par strates et par intégration. Byzance, Constantinople et Istanbul. Mais, comment en parler ? C’est par le biais du discours amoureux que Metin Arditi part à la conquête de la ville qui fut par trois fois capitale d’empire, et demeure sa ville natale. Sur les traces de deux mille ans d’histoire comme sur celles de sa famille descendant des juifs chassés d’Espagne au XVème siècle et qui trouvèrent refuge dans l’Empire ottoman. De l’antiquité païenne au christianisme grec puis latin, puis de nouveau grec, jusqu’à l’islam. Du sac de Byzance à la prise de Constantinople. Il souligne le pragmatisme de l’Empire ottoman à son apogée, avant son lent déclin. L’avènement de la République. A la géographie exceptionnelle d’une ville située en Europe et en Asie, position stratégique et militaire du détroit, il mêle une géographie du cœur nous faisant cheminer du quartier de Makça où il est né, jusqu’aux 7 collines, en longeant le Bosphore, la rive gauche et la rive droite de la Corne d’Or, la mer Noire, la mer de Marmara, les îles des Princes. Sans oublier le quartier de Pera, devenu Beyoğlu dès 1925, ni la rue des Fabricants d’encre ! Pourquoi Sainte-Sophie fascine ? Qui est l’architecte Sinan ? Pluralité des musiques, des parfums, des saveurs stambouliotes, raffinement de sa cuisine, palette chromatique aux couleurs éclatantes et nuances de gris feutré, tout attire le flâneur à la recherche du hüzün, cette forme de mélancolie qui pourrait bien être à Istanbul ce que la madeleine est à Proust. Qui habite qui ? A Istanbul, Metin Arditi est dans son élément, chez lui, dans sa demeure, dans son œuvre et son univers romanesque. Pas d’amour sans chagrin, dit aussi Metin Arditi. Le pogrom de septembre 1955. Le Varlık Vergisi. On n’esquivera pas certains des sujets qui fâchent et que l’on retrouvera sous formes d’entrées ou bien dispersés çà et là, au gré des pages, dans le dédale des rues et ruelles d’Istanbul et le labyrinthe de nos vies. À l’oreille
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02 Mar 2022 | #102 – Comment l’université broie les jeunes chercheurs | 01:07:23 | |
En plateauAdèle B. Combes, docteure en neurobiologie, initiatrice du projet « Vies de thèse », publie Comment l’université broie les jeunes chercheurs. Précarité, harcèlement, loi du silence, aux éditions Autrement. ContexteInitiatrice du projet « Vies de thèse », elle-même docteure, Adèle B. Combes a enquêté sur le quotidien de jeunes apprentis-chercheurs inscrits en doctorat, le plus haut diplôme universitaire. Qu’est-ce qui l’a conduite à se lancer dans un tel projet, elle qui n’est pas sociologue, et à porter à la connaissance du grand public le résultat de ses recherches ? Chaque année 15 000 doctorants se lancent avec passion dans une thèse, mais certains sont confrontés au cours de leur cursus à des dysfonctionnements, déviances, abus de pouvoir, compétition féroce, toute-puissance de certains directeurs de recherches, dont ils ne sortent pas indemnes. Afin de documenter son propos, Adèle B. Combes a élaboré un questionnaire complété par un échantillon de plus de 1800 personnes, permettant d’étoffer par des éléments quantitatifs (chiffres et statistiques), les témoignages recueillis par ses soins. Elle révèle l’existence d’un mal-être certain, à des degrés variés, chez de nombreux doctorants aux statuts divers, rémunérés ou non. Si la plupart d’entre ceux qui sont inscrits dans des disciplines scientifiques bénéficient d’un contrat, c’est loin d’être le cas de la majorité des doctorants en sciences humaines. Pour autant, la détention d’un contrat de travail/recherche ne signifie pas nécessairement l’excellence des conditions de travail, l’absence de sollicitations sans limites de la part d’encadrants ou la non-dévalorisation du travail effectué. Ainsi, le tableau qu’elle dresse des conditions de travail de jeunes apprentis chercheurs est consternant : 20% des personnes ayant répondu à son questionnaire disent avoir subi un harcèlement moral, une personne sur deux déclare avoir subi une violence psychologique durant ses années de doctorants (au minimum trois ans), et 21% des personnes interrogées ont vu le fruit de leur travail confisqué par d’autres. A cela s’ajoute des cas de harcèlement sexuel et violences sexuelles, des discriminations, sans oublier la précarité et la solitude de certains d’entre eux. Comment de telles conditions dégradées d’études et de recherche peuvent-elles avoir cours dans le système universitaire, conduisant certaines personnes au suicide ou les détournant définitivement de la recherche alors qu’elles en avaient au départ le goût et l’aptitude ? Quelle formation à l’encadrement reçoivent les personnes habilitées à diriger des recherches ? Sans généraliser son propos, Adèle B. Combes suggère que la pression de la publication des travaux peut expliquer une part des dysfonctionnements et déviances, de même que l’insuffisance des moyens. Si certains directeurs de recherche sont plein de bienveillance et de respect envers leurs étudiants, d’autres abusent manifestement de leur pouvoir considérable pouvant aller jusqu’à empêcher ou ruiner la carrière de futurs chercheurs et futurs collègues. Bénéficiant du contexte favorable de la libération de la parole, l’enquête d’Adèle B. Combes contribue à une prise de conscience dans les universités de l’existence d’un environnement discriminatoire (sexisme décomplexé, homophobie, racisme, exploitation des jeunes chercheurs étrangers, etc.) et brise la loi du silence. Comment lutter contre les abus de pouvoirs, la souffrance morale, voire physique qu’ils engendrent, l’altération de la santé mentale et physique de certains qui en résultent ? Comment mesurer l’ampleur du phénomène ? À l’oreille
Pour aller plus loinAdèle B. Combes, Comment l’université broie les jeunes chercheurs. Précarité, harcèlement, loi du silence, éditions Autrement | |||
06 Mar 2022 | #103 – La guerre de Poutine contre l’Ukraine (1) | 01:04:04 | |
En plateauHamit Bozarslan, historien et sociologue du fait politique, spécialiste du Moyen Orient, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de L’anti-démocratie au XXIème siècle. Iran, Russie, Turquie, publié aux éditions du CNRS. ContexteEn attaquant et envahissant l’Ukraine sur plusieurs fronts, au nord, à l’est et au sud, le 24 février 2022, Poutine a sidéré une grande partie du monde par son passage à l’acte. En basculant d’une stratégie de la tension maximale (au seuil de la guerre) à la guerre totale, il a osé faire ce qui paraissait improbable ou ce qu’on a refusé de croire possible jusqu’à la dernière minute. Erreur d’appréciation, selon l’historien et sociologue Hamit Bozarslan, car le discours guerrier du dirigeant russe n’est pas métaphorique, il mène à la guerre. Le Président russe agit conformément à ce qu’il a dit ou écrit. Son régime antidémocratique se pense et se pose comme « une réponse nationale, anti-universaliste, virile et guerrière » face à la menace existentielle que représente à ses yeux le système démocratique perçu comme « cosmopolite », « efféminé » et « corrompu », assimilé au mal absolu. Au prix de distorsions du réel et d’un révisionnisme historique, il se croit investi de la mission historique de restaurer la puissance perdue de la grande Russie, sa grandeur trahie par ses propres élites intellectuelles et politiques occidentalisées, et contaminées par les idées européennes de révolution, de libertés civiles et politiques, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’Ukraine est punie pour avoir voulu maintenir le cap de l’indépendance proclamée en 1991, et pour juger la perspective européenne plus attractive que celle d’une intégration dans une union regroupant l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie, sous l’hégémonie de cette dernière. Car aux yeux de Poutine, l’Ukraine est une terre russe, tout au plus une entité folklorique. Passé l’effet de sidération, on notera en tout premier lieu l’émergence d’une résistance ukrainienne à laquelle personne ne s’attendait, ni côté russe ni côté occidental. Le pays de 44 millions d’habitants n’a pas plié face au chantage et la terreur, y compris nucléaire. La population choisit de se défendre et de se battre, avec les moyens du bord. La résistance s’installe dans la durée. En second lieu, l’offensive militaire russe n’est pas parvenue à progresser aussi vite que prévu, ce qui a empêché la Russie de placer la communauté internationale devant le fait accompli, comme elle le fit en 2014, avec l’annexion éclair de la Crimée. Troisième constat : la réaction sans précédent de l’Europe, des États-Unis, du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies (sanctions inédites contre la Russie, fournitures d’équipements, de matériels de défense à l’Ukraine), et une mobilisation de l’opinion publique internationale face à laquelle la Russie mise au ban est désormais confrontée. Enfin, en Russie même, malgré l’intense répression à l’encontre des opposants et de la société civile et la réduction au silence des médias indépendants, la protestation contre la guerre en Ukraine se fait entendre, qu’elle émane de simples citoyens ou de personnalités du monde culturel, voire d’oligarques tentés de prendre leurs distances vis-à-vis du régime poutinien. Par encontre, aucune manifestation pro-Poutine d’envergure et en soutien à la guerre ne semble se dérouler, contrairement à ce qui s’était passé en 2014. Le régime anti-démocratique obsédé par la peur du changement, des réformes et de toutes formes de contestation pouvant provoquer sa chute, est-il aveuglé au point de ne pas se rendre compte que la guerre en Ukraine est une fuite en avant qui pourrait lui être fatale ? Comment et à quel prix peut-il continuer à se maintenir en place ? Comment fera-t-il face à ses contradictions (rêve de puissance, nostalgie néo-impériale, grandeur retrouvée d’une part ; effondrement du pacte social de relative stabilité économique et financière ainsi que statut de nouveau paria de la communauté internationale d’autre part ?) Comment faire la guerre (état d’alerte maximale) tout en la niant, et la qualifier d’opération spéciale ? Le monde de demain ne sera plus ce qu’on pensait qu’il était. Nouvelle guerre froide ? En tout état de cause, il convient de prendre en compte la coexistence de plusieurs temporalités, à court et moyen termes. En Ukraine, les villes bombardées, assiégées, sous blocus, tomberont aux mains des troupes russes, sans renversement du rapport des forces sur le terrain, sans engagement occidental dans le ciel et sur terre. Mais la résistance civile s’organise et se renforcera contre l’occupation, l’oppression et la répression ; la guerre se poursuivra de façon hybride et asymétrique. En Russie, la mobilisation contre la guerre et contre l’autocratie pourrait donner naissance à une nouvelle ère de la dissidence, débarrassée du nationalisme grand-russe. La mobilisation de l’opinion publique internationale contre la guerre et l’autocratie, dénoncées comme menaces à la paix et sécurité internationales, amplifiera la contestation et la résistance ; elle pourrait également en plaçant l’engagement au cœur de l’actualité, contribuer à l’amélioration de la qualité du débat dans les démocraties en crise. À l’oreille
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09 Mar 2022 | #104 – Le murmure des âmes perdues | 01:03:18 | |
En plateauGeorges Salinas, contrôleur général, ancien chef adjoint de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), durant les attentats de 2015 à Paris, directeur de la sécurité de la Présidence de la République et Chef du Groupe de Sécurité du Président de la République (GSPR), publie Le murmure des âmes perdues aux éditions Mareuil. ContexteEt si le polar ne se contentait pas d’ausculter le corps malade de la société, ni même seulement de sonder les âmes, mais explorait aussi le vaste monde, nous invitant à décrypter la réalité géopolitique d’un monde globalisé en perpétuel mouvement ? Partons donc à l’aventure avec le polar géopolitique, loin des préjugés, et à rebours des stéréotypes et lieux communs dont est souvent accusé le genre. Georges Salinas publie Le murmure des âmes perdues aux éditions Mareuil. Un polar haletant, comme il se doit, mais aussi décapant, plein d’émotion contenue, de grandeur et d’humanité, dans lequel le commissaire François Delarocha, chef de la brigade de répression du proxénétisme au 36, quai des orfèvres, s’intéresse à une bien étrange affaire, qui sur fond de trafic humain, de drogue et de terrorisme, va le mener sur les traces de son père, « le chat d’Oran », de son histoire familiale, mais aussi de l’histoire mondiale du XXème, de la décolonisation au 11 septembre. Qu’est-ce qui pousse Georges Salinas, ancien chef adjoint de la BRI (l’antigang) durant les attentats de 2015, et qui dirige depuis août 2021 la sécurité de la Présidence de la République, à écrire des polars ? Il a toujours écrit, fait-il observer. Mais encore ? Une façon de mettre à distance ses activités professionnelles ou bien, au contraire, une façon de réfléchir sa pratique ? Une volonté, un besoin de transmettre ? Dans la peau d’un grand flic qui pense en homme d’action et agit en homme de pensée, mais pour qui la vie est une ruse (qui rusera vivra, dit le proverbe), quels sont les craintes, les doutes, les espoirs, les déceptions du commissaire François Delarocha ? Quel type de relation entre celui qui est désigné comme l’ennemi et celui qui le traque ? « On combat des ennemis et le jour où on apprend à les connaître, on s’aperçoit qu’ils sont comme toi et moi, des êtres humains ». Ruse de l’histoire ? Ruse de la raison ? À l’oreille
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